Malgré la forte demande de main d'œuvre
Voilà pourquoi 80% des réfugiés ne s'en sortent pas sans aide sociale en Suisse

Quatre personnes réfugiées sur cinq reçoivent de l'argent de l'État en Suisse. Beaucoup d'entre elles travaillent, mais ne gagnent pas assez pour vivre sans l'aide sociale. Cela devrait changer à l'avenir.
Publié: 23.04.2023 à 06:15 heures
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Dernière mise à jour: 23.04.2023 à 14:36 heures
Camilla Alabor

Tekle A.* arrive dix minutes plus tôt que prévu – bien que ses journées soient plutôt chargées. Cette Erythréenne de 43 ans est mère célibataire, assistante dans une garderie et coordinatrice de projet dans une association de réfugiés. Une fois par semaine, elle va à l'école.

«Je gagne bien ma vie, explique-t-elle en marchant d'un pas pressé à travers la gare centrale, «mais malheureusement, ce n'est pas suffisant». Elle reçoit un soutien supplémentaire des services d'aide sociale. «Pour l'instant», précise-t-elle, avant d'ajouter: «J'espère que je n'aurai bientôt plus besoin de cet argent.»

Tekle A. et sa fille de dix ans ne sont pas l'exception, mais la règle: plus de 80% des réfugiés et des personnes requérantes d'asile admises à titre provisoire en Suisse bénéficient de l'aide sociale. Compte tenu de la pénurie de main-d'œuvre en Suisse, c'est un pourcentage étonnamment élevé.

Ce chiffre peut paraître impressionnant, mais il ne dit pas tout: plus de 80% des personnes réfugiées ou admises à titre provisoire en Suisse bénéficient de l'aide sociale.
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Beaucoup ne gagnent pas assez

Mais le taux d'aide sociale ne permet pas de représenter toute la vérité. D'abord, une grande partie des bénéficiaires sont des enfants – et font donc paraître le taux plus important qu'il ne l'est en réalité. Ensuite, le taux d'activité des réfugiés et des personnes admises à titre provisoire dépasse les 40%. En d'autres termes, beaucoup de ceux qui bénéficient de l'aide sociale travaillent.

Une contradiction? Non, répond Sibel Karadas, déléguée à l'intégration du canton d'Argovie: «Dans une famille avec enfants, le salaire d'un des parents ne suffit généralement pas» pour s'affranchir de l'aide sociale. Surtout s'il s'agit d'un emploi mal rémunéré. Pour que les deux parents puissent travailler, il faudrait que la garde des enfants soit assurée. «Cela pose souvent des problèmes, relève Sibel Karadas. Il y a déjà un manque général de places de crèche.»

Travailler, mais rester pauvre

En d'autres termes, de nombreuses familles font partie, comme Tekle A., des working poor, soit celles et ceux qui travaillent, mais gagnent trop peu pour vivre. En outre, de nombreuses femmes réfugiées sont contraintes de rester à la maison pour la garde des enfants, ce qui les empêche de suivre un cours de langue par exemple.

Derrière le taux élevé d'aide sociale se cachent également des «facteurs individuels», selon les mots de Sibel Karadas. Certaines personnes réfugiées n'ont fréquenté l'école que quelques années. D'autres sont traumatisées ou physiquement handicapées. «Il y a donc une part de personnes qui ne pourront jamais entrer pleinement sur le marché du travail», poursuit l'experte de l'intégration.

Des décisions d'asile qui traînent

Pour Sibel Karadas, un taux d'activité de 80% – c'est le taux d'activité de l'ensemble de la population – n'est pas réaliste. La Confédération a également contribué indirectement à cette situation critique. Beaucoup de celles et ceux qui sont arrivés en Suisse en 2015 avec la grande vague de réfugiés n'ont reçu leur décision d'asile que trois ou quatre ans plus tard. Mais sans ce papier, les mesures de soutien restent hors de portée: pas de cours de langue, pas de formation. «Pour ce groupe, nous constatons un grand besoin de rattrapage», confirme Nina Gilgen, responsable du service d'intégration du canton de Zurich.

Et qu'en est-il de la motivation des personnes exilées? Grâce à son travail, Tekle A. a souvent contact avec d'autres bénéficiaires du statut de réfugié. La plupart d'entre elles et eux souhaiteraient atteindre l'indépendance financière. Mais pour une bonne partie de ces gens, dit-elle, «il est difficile de comprendre pourquoi, malgré un travail, ils n'ont que quelques centaines de francs de plus sur leur compte à la fin du mois que s'ils vivaient entièrement de l'aide sociale». Elle explique alors à chaque fois aux personnes concernées: «C'est dans votre propre intérêt de quitter l'aide sociale.»

Tekle A. elle-même pourra commencer l'année prochaine un apprentissage d'assistante socio-éducative – neuf ans après son arrivée en Suisse. Et ce, dans la garderie où elle travaille déjà aujourd'hui. Elle a bon espoir de pouvoir bientôt voler de ses propres ailes sur le plan financier. En effet, elle ne peut travailler qu'à temps partiel en tant qu'assistante de garde: «Nous intervenons en tant que soutien. Comme il y a moins d'enfants à la garderie le mercredi et le vendredi, nos services ne sont pas nécessaires ces jours-là.»

La politique d'intégration est-elle efficace?

Le cas de Tekle A. est exemplaire: sans diplôme reconnu, certaines personnes réfugiées trouvent certes un travail, mais celui-ci est souvent mal payé et leur situation est précaire – les chances de sortir à long terme de l'aide sociale sont donc faibles.

La Confédération et les cantons sont conscients de cette problématique. La réforme de l'asile est entrée en vigueur en 2019. Grâce à des procédures accélérées, la majeure partie des personnes demandant l'asile doit recevoir une décision officielle dans les cinq mois. Le programme d'intégration est également entré en vigueur dès 2019: les personnes réfugiées doivent désormais pouvoir suivre des cours de langue et suivre une formation le plus rapidement possible. Le préapprentissage d'intégration nouvellement créé sert aussi à cela. En effet, sur un marché du travail suisse qui se spécialise de plus en plus, les travailleuses et travailleurs non qualifiés voient leur chance d'être embauché se réduire comme une peau de chagrin.

L'un des objectifs du programme d'intégration est le suivant: sept ans après leur arrivée, la moitié des personnes réfugiées doit être «durablement intégrée dans le marché du travail». Une analyse de la Confédération montre que cet objectif est tout à fait réalisable. Sur l'ensemble des personnes réfugiées entrées en Suisse en 2014, environ 55% d'entre elles avaient un emploi sept ans après leur arrivée. Ce groupe est donc mieux intégré que les personnes réfugiées arrivées plus tard et dont le taux d'activité se situe aujourd'hui autour des 40% mentionnés.

Optimistes face à l'avenir

Nina Gilgen, du service d'intégration zurichois, est optimiste quant au parcours de celles et ceux qui sont arrivés en Suisse après 2015: «Ce n'est qu'une question de temps avant que le taux d'activité n'augmente. Les mesures de notre programme d'intégration commencent seulement à porter leurs fruits.»

Tekle A. envisage, elle aussi, l'avenir avec optimisme. Elle se réjouit de commencer son apprentissage l'année prochaine. «Mon objectif est de m'éloigner des services sociaux et d'être un bon modèle pour ma fille», dit-elle, avant d'ajouter: «Je veux être une mère forte et indépendante pour elle.»

*Nom connu de la rédaction

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