Cuisine Lab, à Genève
Dans ce resto, des chefs réfugiés servent de vrais bons plats exotiques

Dans le quartier des Nations, le Cuisine Lab est un resto à vocation gastronomique et sociale: on y mange des plats préparés par des chefs réfugiés venus mettre leur savoir-faire au service des gourmands.
Publié: 07.04.2023 à 13:24 heures
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Dernière mise à jour: 11.04.2023 à 15:28 heures
Amal Safi

Un shiro érythréen délicatement épicé, une salade fattouche syrienne rafraîchissante, ou encore un poulet tikka sri-lankais au chutney de coriandre, tout ça au menu du même restaurant. C’est le concept du Cuisine Lab, un restaurant dont le menu fait le grand écart entre l'Erythrée, la Syrie et le Sri-Lanka. Pourquoi ces trois pays en particulier, et comment assurer dans les assiettes: c'est ce qui m'a décidé à pousser la porte de cet établissement du quartier des nations à Genève.

Trois cordons bleus en cuisine

Aux commandes de ce resto, trois personnes infusent leur élan d’amour pour leur cuisine dans des plats aux goûts équilibrés et recherchés. Si l'on regarde vers l'Erythrée, on voit Saba Temelso, cheffe à l’énergie et à la générosité débordantes. En plus de sa délicieuse assiette dégustation, demandez son tiramisu et vous vous verrez servir un délicat petit pavé droit aux angles impeccables et à la mousse de mascarpone aérée et joliment décorée de cacao, un véritable niveau de compétition. «L’Erythrée a été colonisée par l’Italie, alors ce dessert a été importé dans nos habitudes culinaires et je connais très bien la recette», dit la cheffe.

Assiette dégustation érythréenne, avec sa fameuse galette injera
Photo: Cuisine Lab

Côté Syrie, c'est Talal Rankousi, 30 ans d’expérience en cuisine dans plusieurs restaurants à Damas, qui propose des plats traditionnels de son pays. Ses assiettes sont très végétariennes et peu connues du public suisse, comme le mutabal shawandar préparé avec des betteraves cuites et du tahini, accompagné de son pain maison. Ayant une formation de base en pâtisserie, le dessert du jour est souvent de son cru, comme le wardat ashta, un mille-feuille de pâte fine et croustillante, fourrée de crème à base de lait et infusée à la fleur d’oranger.

La salle du Cuisine Lab: ambiance chaleureuse, décoration lumineuse, et service sympathique.
Photo: Amal Safi
Le «wardat ashta», une pâte légère fourrée de crème à base de lait, parfumé à la fleur d’oranger et aux éclats de pistache.
Photo: Cuisine Lab

Et enfin plus à l'est se trouve Gaayathri Sathasivam, la cheffe qui ramène la gastronomie sri-lankaise au Cuisine Lab, avec des propositions colorées tout droit sorties d’un tableau d’été. «Les plats sont comme nous, une variété de couleurs dans une même assiette, c’est autant un plat qu’une œuvre picturale», décrit-elle. Un de ses plats signatures est le chicken kottu, une spécialité à base de poulet au curry piquant et de légumes finement hachés, un des best sellers du menu d’hiver. Pour ce printemps, elle propose des brochettes de poulet tikka (qui veut dire morceau) au chutney de coriandre, une sauce raïta à base de yaourt, de piment et de paprika et son pain naan maison.

Le poulet tikka, au menu de printemps.
Photo: Cuisine Lab

Des plats de là-bas avec des ingrédients d'ici

On pourrait penser que les plats proposés nécessitent des céréales ou des légumes spéciaux qui ne poussent pas sous nos latitudes. Or, les plats sont réalisés en grande partie avec des produits locaux, sauf pour les épices qui sont importées. Ces ingrédients de proximité sont issus du potager des Nations, géré par l’association Genève Cultive et situé à deux pas du restaurant. Une petite terre agricole au milieu des édifices d’acier et de verre décorés des drapeaux des différentes agences onusiennes.

Le potager des Nations fournit les produits cuisinés au restaurant.
Photo: Jardin des Nations

Cette volonté d’utiliser des produits de proximité implique certes des contraintes, mais cela favorise aussi la créativité. Et il faut voir ces trois-là à l'œuvre: insortables du potager, s’arrêtant sur chaque nouveau légume croisé et qui en les goûtant font jaillir de leur esprit les ébauches de nouvelles recettes qui se retrouveront bientôt dans les assiettes du restaurant.

Un projet socio-gastronomique

Le restaurant Cuisine Lab a ouvert en février 2023, résultat d’un projet initié déjà en janvier 2021, et qui s’est concrétisé en 2022 par une levée de fonds impliquant la Loterie romande, la Ville de Genève et un crowdfunding sur la plateforme SIG Impact. Ont suivi de longues procédures administratives relatives à l’ouverture du restaurant. Autant dire que détermination et esprit d’équipe devaient être au rendez-vous pour maintenir le noyau du groupe autour de ce projet ambitieux.

A l’origine, René Bangert, Dan Stein et Sarah Hoibak, tous trois issus de la Genève internationale, ont eu l’idée de cette entreprise qui permet à des personnes issues de l’asile d’exploiter leur talent dans leur activité professionnelle, souvent mésestimé par les organismes d’intégration socio-professionnelle.

Saba, Talal et Gaayathri étaient présents dès le début du projet, d’où la place qu’occupe leurs trois traditions culinaires sur la carte du restaurant. «Cependant, avoir un établissement qui n’emploie et ne forme que des réfugiés est contre-productif, car le but est que ces personnes puissent à terme s’intégrer dans le tissu économique suisse classique», explique Boza Sery-Kore, co-directeur en charge du programme social au sein de Cuisine Lab.

Pour celui-ci, «pour que les cheffes et les chefs puissent perfectionner leur français, s’exposer à la culture de travail locale et utiliser le même langage culinaire que leurs homologues formés en Suisse, le restaurant doit avoir une équipe diversifiée, mêlant personnel local et issu de l’asile».

À ce propos, le directeur du restaurant, Christophe Genevay, ajoute: «L’ADN du projet fait que des personnes avec un parcours migratoire viennent naturellement, nous avons Marina, une réfugiée ukrainienne au service ; Drake, un réfugié guinéen à la plonge et au service, qui va bientôt commencer une AFP [attestation fédérale de formation professionnelle], que la personne soit suisse ou réfugiée, si elle a l’attitude ou l’envie, je lui donne sa chance.» L’équipe, complétée par un sommelier et deux responsables de la formation, servent une soixante de couverts lors du service de midi, au sein d’un restaurant qui ne désemplit pas depuis son ouverture.

Des chefs étoilés contribuent

Soucieux de proposer des plats créatifs d’excellence, l’établissement s’entoure de chefs de renom. A son lancement, le Cuisine Lab a été parrainé par le chef allemand étoilé Thomas Frebel. Ancien directeur de création du mythique Noma à Copenhague, il a également fondé son propre restaurant, Inua, à Tokyo pour lequel il a reçu 2 étoiles Michelin. Ayant parcouru le monde à la découverte de traditions culinaires, ce projet de cuisines du monde réunies au sein du même établissement l’a convaincu. Thomas Frebel a par ailleurs participé à plusieurs événements de lancement du restaurant, et a prodigué ses conseils sur les menus.

L’équipe de Cuisine Lab, Serge Labrosse et Valentin Hofmann lors du repas donné à l’occasion de la venue d’Ignazio Cassis.
Photo: GaultMillau

Le chef genevois Serge Labrosse et son acolyte Valentin Hofmann ont également été séduits par le concept, et ont animé un atelier avec les trois chefs de Cuisine Lab. L'équipe a même séduit Ignazio Cassis, pour qui elle a réalisé un menu végétarien complet et 100% local lors de sa venue à Genève à l'occasion de la conférence sur le climat en avril 2022. Une preuve que projet gastronomique et social peut également rimer avec excellence culinaire.
Cuisine Lab
Rue Michelle Nicod 2, 1202 Genève
Service du midi du lundi au vendredi de 12h à 14h, plats à partir de 26 francs
Apéritif et tapas les mardis, jeudis et vendredis de 18h30 à 20h30

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