Marco Odermatt à l'interview
«Je suis très mauvais perdant»

Victoire après victoire, rien ne peut arrêter Marco Odermatt. Pour Blick, il se confie sur ses concurrents, son caractère et même la crise climatique. Interview.
Publié: 07.01.2024 à 14:54 heures
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Dernière mise à jour: 07.01.2024 à 17:15 heures
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Marcel W. Perren

Marco Odermatt, ce tour de force à Adelboden peut-il être mis sur le même plan que vos médailles d'or olympiques et mondiales?
En tant que Suisse, gagner à Adelboden devant ces fans grandioses et dans cette ambiance unique, c'est en tout cas plus spécial qu'une victoire à un autre endroit. C'est indescriptible et tellement beau de pouvoir ressentir l'enthousiasme de tous ces spectateurs.

Pourtant, tout n'a pas toujours été facile ici. À quel moment avez-vous ressenti le plus de frustration?
2018 m'a fait chier... parce que j'étais 31e et que j'ai manqué d'un cheveu la qualification pour la deuxième manche. Je l'ai regardée avec mes fans dans les tribunes. J'ai fait la même chose un an plus tard, après m'être blessé au ménisque quelques semaines plus tôt à Alta Badia.

Aujourd'hui encore, si vous aviez été éliminé lors de la première manche, regarderiez-vous la compétition avec vos fans depuis les tribunes?
Je ne pense pas. Mais à l'époque, je connaissais personnellement chaque membre de mon fan-club. Il s'agissait de personnes avec qui je regardais volontiers une retransmission sportive en privé.

Marco Odermatt enchaîne les victoires sur le circuit.
Photo: Sven Thomann

Bien que votre fan-club compte aujourd'hui de nombreux membres, qui ne vous connaissent plus forcément personnellement, vous êtes quand même rentré chez vous l'année dernière avec leur bus après votre victoire ici. Certains supporters ont dû perdre la tête lorsque vous êtes monté dans le car, n'est-ce pas?
Comme très peu de supporters avaient 0,0 pour mille d'alcool dans le sang, certains faisaient déjà la sieste sur leur siège lorsque je suis monté dans le bus à 20 heures. Et comme il y avait de bons amis assis autour de moi, j'étais de toute façon parfaitement protégé.

Pourquoi n'avez-vous pas quitté Adelboden par vos propres moyens?
Comme j'avais pris l'avion pour me rendre dans l'Oberland bernois depuis le camp d'entraînement de Reiteralm, ma voiture n'était pas à Adelboden. Le bus des supporters était donc pour moi la variante la plus simple pour rentrer à la maison. D'autre part, c'était aussi pour moi le meilleur moyen de trinquer à la victoire avec les fans. Avant de franchir la frontière nidwaldienne, nous avons fait la fête dans mon bar habituel à Lucerne.

Quel est votre bar préféré?
Der Jodlerwirt, qui est tenu par mon copain Simon de Beckenried. C'est un magnifique temple de la musique populaire, où je peux laisser libre cours à mon côté rustique.

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«Ma plus grosse gueule de bois? C'était en 2018!»
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C'est ici que vous avez eu votre plus grosse gueule de bois?
Non, je l'ai eue en 2018 lors de la finale de la Coupe du monde à Are. Je n'ai pu y participer que parce que j'ai été plusieurs fois champion du monde junior cette saison. À ma grande surprise, je me suis classé dans le top 15 en descente et en super-G et j'ai ainsi obtenu mes premiers points de Coupe du monde de vitesse. Logiquement, j'ai fêté cette première lors de la légendaire Audi-Party. J'étais alors logé dans un appartement avec Daniel Yule, et ce dernier n'a presque plus fermé l'œil après mon retour de cette fête, car je devais tout le temps aller aux toilettes. Deux jours plus tard, je me suis quand même classé dans le top 15 du slalom géant.

Si Marco Schwarz, Aleksander Aamodt Kilde et Henrik Kristoffersen vous invitent à boire une bière le même soir, avec qui préférez-vous trinquer?
Avec Kilde. De ce trio, c'est avec Aleksander que j'ai eu le plus de contacts jusqu'à présent, j'ai beaucoup de sympathie pour lui.

Et Kristoffersen?
En privé, je n'ai pas vraiment connu Henrik jusqu'à présent. Et vu son comportement en tant que coureur, je ne lui donnerai certainement pas la note 10.

Cet hiver, il a violemment menacé des activistes du climat lors du slalom de Gurgl. Qu'en pensez-vous?
On peut discuter de savoir si la menace de violence était la bonne chose à faire dans cette situation. Mais j'ai trouvé fondamentalement bien qu'il envoie un signal contre l'action de ce groupement. Nous ne devons pas nous laisser faire. Le fait est que nous, les skieurs, sommes directement concernés par le changement climatique, et qu'il nous est de plus en plus difficile de nous entraîner correctement sur la neige des glaciers. Mais cela n'apporte absolument rien si quelques personnes prennent d'assaut l'aire d'arrivée d'une course de Coupe du monde et influencent ainsi la compétition de manière injuste. Après l'interruption en question, les conditions étaient moins bonnes pour les autres participants.

Au printemps dernier, vous avez été attaqué par un représentant de Greenpeace parce que vous n'aviez pas signé la pétition sur le climat que le spécialiste autrichien de la vitesse Julian Schütter avait transmise à la FIS. Regrettez-vous cette décision?
Non. Si j'avais apposé ma signature sur ce papier, je me serais décrédibilisé, car en tant que skieur, je ne peux pas répondre à 100 % aux exigences de cette lettre. Il est très clair que chaque branche et chaque personne doit être consciente qu'elle doit faire de son mieux pour l'environnement. Mais le cirque du ski n'est définitivement pas le plus gros problème en la matière. Rien qu'aux Etats-Unis, 50'000 vols sont effectués en moyenne chaque jour. La Coupe du monde alpine s'envole deux fois par saison vers l'étranger. Et comme notre série s'appelle Coupe du monde et non Coupe d'Europe, il est en effet important que nous disputions des courses sur d'autres continents.

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«Le cirque du ski n'est définitivement pas le plus gros problème en matière d'environnement»
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Ne suffirait-il pas de ne se rendre qu'une fois par saison en Amérique du Nord pour des courses de Coupe du monde?
Je ne vois vraiment pas de gros problème à cet égard. En novembre, nous nous rendons au Canada et aux Etats-Unis pour les courses de vitesse, et en février pour le géant et le slalom à Aspen et Palisades Tahoe. Il y a peut-être dix athlètes qui, comme moi, participent aux épreuves techniques et de vitesse. La plupart des skieurs ne se rendent qu'une fois par an en Amérique du Nord. C'est très peu, si l'on compare avec d'autres sports mondiaux comme le football ou la formule 1. Les CEO de grands groupes effectuent trois à quatre vols par semaine.

Il y a quelques années, vous avez exaucé le dernier vœu d'un inconnu en lui rendant visite sur son lit de mort. Comment cela s'est-il passé?
La famille de cet homme a fait part de ce souhait à mon manager Michael Schiendorfer. Comme c'était en été et que je n'avais pas de performance sportive à fournir le lendemain, j'ai accepté. J'ai monté une vidéo avec quelques images de moi en course, puis je suis allé à l'hôpital avec mon copain Gianluca Amstutz. Ce que j'ai vécu là-bas m'est revenu beaucoup plus violemment que je ne le pensais.

Dans quelle mesure?
Ce n'était pas comme si je pouvais encore une fois m'asseoir sur un canapé avec cet homme et parler normalement. Il était accroché à d'innombrables tuyaux sur son lit de mort. Et même si j'ai senti que ma visite avait apporté une grande joie à cet homme et à ses proches, je ne sais pas aujourd'hui si je referais une telle chose.

Il y a dans votre entourage de nombreuses personnes que vous qualifiez de particulièrement sociales. Pourtant, on dit toujours qu'un champion doit aussi être un peu replié sur lui-même...
Pour ma part, je ne me qualifierais jamais de particulièrement social. Bien sûr, je demande toujours à mon entourage qui a besoin de vêtements ou d'autre matériel de ski. Et il est important pour moi que mes collègues d'entraînement Gino Caviezel et Justin Murisier se sentent bien dans le monde du ski. Mais je ne me considère pas comme particulièrement social pour autant.

Mais alors quel est le talon d'Achille de Marco Odermatt?
Je sais que je suis un très mauvais perdant. Mais comme je n'ai fêté presque que des succès ces dernières années, je ne sais pas comment je réagirais si, au cours des cinq prochaines courses, j'étais toujours devancé par un coéquipier. Justin et Gino sont sensationnels à cet égard aussi, ils font la fête avec moi, même quand ils n'ont pas très bien réussi leur course.

Vous avez souvent partagé un appartement avec Caviezel et Murisier sur le circuit. Quel est le pire quartier dans lequel vous avez vécu jusqu'à présent?
L'appartement que nous avons occupé l'hiver dernier après notre arrivée à Aspen était tout en bas de l'échelle – c'était vraiment un immeuble en ruine. Mais grâce à une rencontre fortuite, nous avons habité quelques jours plus tard à Aspen, le logement le plus luxueux de notre carrière en Coupe du monde.

Comment cela est-il arrivé?
Nous avons rencontré un homme à Aspen qui nous a parlé d'un collègue qui avait certainement encore quelques chambres disponibles pour nous sur le versant ensoleillé. Il nous a encore dit que ce collègue était suisse, comme nous. Le lendemain, lorsque Justin, Gino et moi avons emménagé dans la maison de ce Suisse, nous avons été impressionnés. C'était une villa – avec trois piscines, deux bars, un cinéma et une salle de fitness. Nous avons vécu trois jours seuls dans cette maison de rêve. Puis le propriétaire est revenu et il s'agissait alors de Gunnar Sachs, le fils du légendaire Gunter Sachs, qui a vécu à Gstaad et à St-Moritz. Gunnar a deux enfants qui font également du ski de compétition. Nous avons pu leur faire plaisir en leur offrant des tenues de course et des dossards. Il est prévu que nous puissions à nouveau résider chez Gunnar Sachs cette année pendant les courses d'Aspen.

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