Comme un air de racisme ordinaire
Quand la Nati gagne, ils redeviennent tous bien suisses

La Suisse ne sait pas encore si elle jouera un huitième de finale à l'Euro mais elle a sauvé la face en battant la Turquie (3-1). Un retournement de situation qui laisse pourtant un goût amer en bouche.
Publié: 21.06.2021 à 06:07 heures
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Dernière mise à jour: 21.06.2021 à 19:13 heures
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Ugo CurtyJournaliste Blick

C’est bon? On peut parler de football maintenant?

La Suisse a peut-être joué son dernier match dans cet Euro dimanche à Bakou. Malgré sa victoire probante face à la Turquie, l’équipe nationale doit désormais attendre les résultats des autres nations pour savoir si elle disputera bel et bien un huitième de finale ce week-end.

Les trois buts inscrits face aux Turcs ont permis de faire taire les critiques, au moins pour quelques jours. On avait presque oublié ce que ça faisait tant ce championnat d’Europe n’est pas de tout repos pour les Suisses. Avant chaque match, on a même eu droit à notre polémique.

Tattoo et teintures

Il y a d’abord celle, justifiée, provoquée par le tatouage de Granit Xhaka. Le capitaine ne s’était pas fait un sang d’encre en se faisant tatouer juste avant de prendre l’avion avec l’équipe. Une activité qui allait à l’encontre des consignes de son sélectionneur.

Une semaine plus tard, et un nul poussif contre les Gallois (1-1), c'est cette fois sa coupe de cheveux qui posait problème. Les joueurs avaient fait venir un coiffeur, proche de Manuel Akanji, à l’hôtel suisse à Rome. Une teinture blonde et quelques coups de ciseaux plus tard, le pays était prêt pour son deuxième débat.

L'«affaire Figaro» comme elle a été surnommée a au moins eu le mérite de montrer un vrai clivage médiatique entre Alémaniques et Romands. Outre-Sarine, le sujet faisait les gros titres, alors que les «Welsches» trouvaient tout ça un peu tiré par les cheveux.

Déluge de fausses notes

Mais ce n’était (encore) qu’un échauffement. Le «sac de Rome» et la lourde défaite contre les Italiens (3-0) ont rendu l’air irrespirable autour de la Nati. Alors qu’on aurait pu (dû) parler du jeu, critiquer les choix de Vladimir Petkovic ou l’absence des leaders de l’équipe, c’est sur un tout autre terrain que les joueurs se sont fait tacler.

L’identité, la fierté du maillot et l’appartenance. Des thèmes qui fleurent le nationalisme nauséabond. Si on a perdu contre l’Italie, c’est parce que Seferovic, Shaqiri et Rodriguez (pas très «suisses» ces noms) n’ont pas chanté l’hymne assez fort. Si si on vous l’assure. L’ancien international Ramon Vega (23 sélections) en a même fait la démonstration sur Twitter.

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Facebook, la cour des miracles

Stéphane Chapuisat et Bernard Challandes ont remis les choses dans leur contexte. Ils ont notamment rappelé que le Cantique suisse n’est pas un chant de foudres de guerre, qu’il n’était pas non plus repris en chœur par la Nati dans les années 90. Comme le dit l’humoriste Blaise Bersinger, notre hymne n’est pas très rock.

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Mais le mal était fait, libérant un torrent de raisonnements plus ou moins xénophobes. Des centaines d’internautes s’en sont donné à cœur joie sur nos réseaux sociaux. Certains ont dépassé les limites, obligeant notre équipe à une fastidieuse modération.

Une insulte à des millions de Suisses

Dimanche après la victoire, Xhaka a qualifié les polémiques de «futilités». Alors oui, le sport est nourri par une culture de l’instant. Zéros un jour, héros le lendemain. Les sportifs y sont habitués.

Mais ces attaques constantes sur la double nationalité de certains d’entre eux, sur leur véritable amour de la patrie, sont une véritable honte. Une insulte faite aux millions de Suisses et Suissesses dont les racines se prolongent au-delà de nos frontières terrestres.

Ce qui fait la richesse de notre pays, c’est justement sa diversité. Où en serait cette équipe de Suisse sans les immigrations successives en provenance d’Italie, d’Espagne, du Portugal, d’Afrique ou des Balkans?

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Au moment de rendre l’antenne dimanche soir, le commentateur de la RTS David Lemos – né en Suisse de parents portugais – a laissé échapper ce cri du cœur. «La systématique de tomber dans des mots comme «identification» et «fierté d’être suisse» me dérange profondément. A chaque fois que cette équipe fait un mauvais match, plutôt que de parler football, on tombe dans ces clichés-là.»

Comment lui donner tort? Le racisme ordinaire n’a pas sa place dans notre pays, que ce soit dans le football ou dans la vie de tous les jours. Il est temps qu’on le signale hors-jeu.

Je terminerais justement en renvoyant aux paroles du Cantique suisse toutes celles et ceux qui apportent tant d’importance à notre hymne et à notre drapeau. J’espère que les «beautés de la patrie» parleront à «l’âme attendrie».

À voir également, notre interview BOOM avec David Lemos

David Lemos: «J’étais persuadé que je n’allais pas pouvoir commenter»
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