Voici ce que dit la science
«L’activisme de Renovate Switzerland ne nuit pas à la cause climatique»

Bloquer des routes et agacer les automobilistes nuit-il à la cause climatique? La population délaisse-t-elle l'écologie par la faute des activistes? Explorons ce qu'en dit la science avec Vincenzo Iacoviello, spécialiste en psychologie sociale de l'Université de Genève.
Publié: 18.11.2022 à 06:20 heures
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Dernière mise à jour: 18.11.2022 à 17:17 heures
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Amit JuillardJournaliste Blick

C’est sûr, vous avez déjà entendu — ou lu — l’une de ces phrases à propos de l’activisme radical (climatique ou autre), celui qui bloque des routes, obstrue le quotidien. «Ça va trop loin»; «en tout cas, ça ne les rend pas sympathiques»; «ce n’est pas comme ça que ces militants vont convaincre la population de les suivre»; «ils divisent au lieu d’unir»; «en faisant ça, ils desservent la cause qu’ils disent défendre».

Est-ce vrai? La population se détourne-t-elle de l’écologie parce que Renovate Switzerland empêche régulièrement les automobilistes de circuler et se fait ainsi détester? Les politologues s’écharpent. Invité du «19h30» de la RTS le 14 novembre, le Belge François Gemenne, membre du GIEC, disait craindre que ces mouvements «conduisent à antagoniser [...] ceux qui auraient besoin d'être convaincus».

Dans ce débat, il y a une science très peu interrogée: la psychologie sociale. Un domaine qui analyse, à travers des expériences, comment réagissent nos cerveaux dans des situations données. Des spécialistes commencent à s’intéresser à l’activisme radical et à ses effets sur l’opinion publique.

«Même si le soutien à l’activisme radical suscite une forte opposition au sein de la population, ce n’est pas néfaste pour la cause qu’il défend parce que les gens vont se tourner vers des groupes plus modérés, qui se battent pour la même chose», décrypte Vincenzo Iacoviello, qui s'appuie sur des études scientifiques.
Photo: Keystone/DR

À l’heure actuelle, peu de certitudes, mais une tendance claire dans la littérature scientifique: les happenings comme ceux de Renovate Switzerland ne sont pas néfastes pour la cause défendue. Chargé de cours et maître assistant à l’Université de Genève, Vincenzo Iacovellio nous explique pourquoi.

L’activisme radical écologiste, comme celui de Renovate Switzerland, qui bloque des routes, semble énerver les foules. Vous percevez aussi cela?
La question ici est de savoir qui sont celles et ceux qui sont les plus irrités par ces actions. Certaines études montrent que ce sont les plus réfractaires à la cause qui réagissent le plus fortement aux actions radicales non violentes. Dans tous les cas, les personnes qui sont outragées par ces actions estiment bien souvent que cette forme d’activisme nuit à la cause climatique.

Vous voulez dire que l’activisme climatique radical, celui qui obstrue la vie des gens, bloque des routes, agace, n’est en fait pas néfaste pour la cause qu’il défend? Que dit la littérature scientifique?
Tout d’abord, il faut dire qu’en psychologie sociale, la littérature scientifique sur le sujet est récente. Nous n’avons donc pas beaucoup de recul et il y a des résultats inconsistants. Ceci étant dit, la plupart des études montrent que l’activisme radical non violent n’a pas d’effets néfastes par rapport à une situation où il n’y aurait pas d’activisme du tout.

Et face à un activisme plus classique, plus institutionnel?
C’est là qu’intervient ce qu’on appelle en anglais le radical flank effect, le flanc radical, en français. En clair, même si le soutien à l’activisme radical suscite une forte opposition au sein de la population, ce n’est pas néfaste pour la cause qu’il défend parce que les gens vont se tourner vers des groupes plus modérés, qui se battent pour la même chose. De ce point de vue, l’activisme de Renovate Switzerland ne nuit pas à la cause climatique et profite peut-être même aux Vert.e.s et aux Vert’libéraux. Au vu des études à notre disposition, on ne peut en tout cas pas affirmer le contraire.

Les Vert-e-s, à travers leur président Balthasar Glättli, ont pourtant pris leurs distances avec Renovate Switzerland. Les Vert’libéraux ne les soutiennent pas non plus.
C’est sans doute une bonne stratégie politique. Face à l’activisme radical, ces partis peuvent ainsi se présenter comme modérés et pourraient voir leurs bases s’élargir.

Les Vert.e.s et les Vert’libéraux pourraient donc bénéficier de ces actions radicales même à court terme?
On pourrait émettre l’hypothèse que l’activisme radical a davantage d’effets à long terme. Mais il est difficile de faire des prédictions claires à ce sujet.

A-t-on des certitudes à ce stade?
La littérature scientifique tend à montrer qu’une sorte de conflit idéologique au sein de la société doit exister pour provoquer un changement sociétal. Bon nombre de changements sociétaux ont émergé de ce genre de conflits. Et les actions les plus radicales, même si non violentes, provoquent ces conflits, notamment grâce à la surexposition médiatique.

Imaginons que cet activisme climatique radical devienne violent, qu’il y ait des attentats, des morts. Comment réagirait l’opinion publique?
C’est difficile à dire, même dans le cas où il y aurait des actes terroristes. La littérature scientifique traite aussi des effets de l’activisme violent. Celui-ci rencontre évidemment un soutien moindre auprès du public, mais on peut penser qu’il ne serait pas forcément néfaste pour la cause défendue, toujours selon ce principe du radical flank effect.

A-t-on des exemples où la violence a mené à de profonds changements sociétaux?
Oui. Prenez la Révolution française ou le Black Liberation Army aux Etats-Unis, les propos de Malcolm X aussi. Aujourd’hui, on peut se demander si la cause de la population noire aux Etats-Unis aurait avancé aussi vite sans Malcolm X ou les Black Panthers, qui n’étaient pas tendres avec la population blanche. Je tiens à souligner que je ne porte pas de jugement moral sur ce genre d’actions. En tant que chercheur, je ne fais que les observer avec du recul historique et scientifique.

Mais tout de même, si on pense au terrorisme religieux, par exemple, ce n’est pas toujours efficace…
C’est vrai. En fait, on peut penser que ça dépend de la cause défendue. Si celle-ci n’est pas considérée comme légitime par la majorité de la population, alors les effets de l’activisme radical sont probablement moindres. Dans le cas des changements climatiques, il est impossible aujourd’hui de soutenir que nous n’avons pas un problème à résoudre.

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