Ce serait une première, en Suisse
Genève part en guerre pour une caisse maladie cantonale publique

Face aux hausses des primes d'assurance maladie, Genève esquisse des solutions. Jeudi soir, son parlement cantonal a adopté deux textes: l'un vise à modifier la loi fédérale, l'autre à créer une caisse publique cantonale. Quelles conséquences concrètement? Explications.
Publié: 13.10.2023 à 16:45 heures
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Dernière mise à jour: 14.10.2023 à 10:39 heures
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Inédit en Suisse: L'Etat de Genève pourrait bien devenir l’instigateur de la première caisse maladie publique du pays. Jeudi soir, lors de la séance du Grand Conseil, les projecteurs étaient braqués sur la problématique de la hausse des primes d’assurance maladie. Pour rappel, au bout du Léman, l’augmentation sera de 9,1% l’année prochaine.

«Les assureurs ont dépensé 62 millions de nos primes pour de la publicité […]. Ce système de santé est devenu indéfendable, intenable», s’indigne par exemple la députée socialiste Jennifer Conti, en plénum. Une écrasante majorité de députés a par ailleurs reconnu la nécessité d’agir (vite) sur cette problématique: à Berne comme à l’échelle du canton.

Parmi moult propositions des différents partis, deux textes ont passé la rampe. Le premier est une résolution portée par la gauche, sous l’impulsion des Vert-e-s, qui fait appel au droit d’initiative cantonal. Le but? Demander à l’Assemblée fédérale de mettre en place une base légale pour la création de caisses d’assurance maladie cantonales uniques, et de caisses cantonales de compensation (un amendement voulu par le Centre).

Jeudi soir à la séance du Grand Conseil de Genève, les projecteurs étaient braqués sur la hausse des primes d'assurance maladie. Deux textes, dont celui du parti du ministre de la Santé, Pierre Maudet (photo), ont passé la rampe. (Image d'archives)
Photo: keystone-sda.ch

L’autre projet approuvé par les députés? Une motion portée par Liberté et justice sociale (LJS) — le parti du ministre de la Santé et des Mobilités Pierre Maudet — qui vise à la création d’une caisse d’assurance maladie cantonale publique, cette fois. Cette dernière serait alors en concurrence avec les acteurs privés. Une idée que la loi actuelle permettrait déjà de concrétiser, en théorie. Et ça tombe bien, pour le magistrat en charge de la Santé: un tel projet figurait par ailleurs parmi ses grandes promesses de campagne, en amont des élections cantonales de ce printemps. Les deux textes sont désormais entre les mains du Conseil d’État.

Un rare consensus

Hormis l’Union démocratique du centre (UDC) et le Parti libéral-radical (PLR), tous les partis ont plébiscité ces deux propositions. Contacté, le conseiller d’État en charge de la Santé Pierre Maudet jubile, à l’autre bout du fil: «Il y a un front très large en faveur d’une réforme du système, qui va des socialistes au Mouvement citoyens genevois (MCG), en passant par les Vert-e-s et le Centre.» Sans oublier, bien sûr, son propre parti.

Le ministre souligne que les textes n’ont pas été renvoyés en commission, «ce qui est extrêmement rare. Cela démontre l’urgence de la question: le statu quo n’est plus possible. Il faut agir. Le Conseil d’État avait par ailleurs déjà entamé des réflexions quant à la hausse des coûts de la santé.»

Mais pourquoi travailler simultanément sur deux textes, plutôt qu’un seul? N’est-ce pas se disperser? Pierre Maudet précise: «La motion de mon groupe sur la caisse publique donne une impulsion forte au niveau cantonal. L’idée, concrètement, c’est d’étudier un projet pilote. Et ce projet s’articule bien avec la résolution des Vert-e-s qui, elle, anticipe davantage. Car elle vise à modifier la loi fédérale, pour rendre possible la création d’une caisse cantonale unique, entre autres.»

Les limites d’une caisse publique

Jeudi soir, Marc Saudan, député du parti de Pierre Maudet, a néanmoins souligné que dans l’immédiat, «une caisse publique ne réduira pas forcément les coûts». Alors à quoi bon? Le ministre rétorque: «La première vocation de la caisse publique, c’est de gagner en transparence, et donc en maîtrise. Une fois qu’on aura la maîtrise, on pourra travailler sur les coûts. Cette caisse n’a pas d’effet magique. C’est un instrument parmi d’autres.»

C’est-à-dire? «Il y a d’autres mesures à étudier, en parallèle, poursuit l’ancien champion libéral-radical. Il faut aussi agir sur les maisons de santé, sur les réseaux de soins intégrés. Sur les prix des médicaments. Mettre en place une prévention bien plus important que ce qui est fait aujourd’hui. Mieux gérer la médecine de premier recours, qui surcharge actuellement les urgences…»

Autre souci, soulevé par les députés PLR, qui se sont opposés aux deux projets (sans amener de propositions): une caisse publique, en concurrence avec des privés, ne risque-t-elle pas d’hériter de tous les cas graves — qualifiés de «mauvais risque»? Ce qui pèserait rapidement sur ses finances, jusqu’à l’atrophier…

Pour Pierre Maudet, c’est un faux problème: «Le système actuel corrige déjà ce phénomène, avec un système de compensation entre assureurs. Des mécanismes de régulation sont donc possibles. Et cette terminologie est offensante: on ne peut pas parler des assurés en termes de bon ou de mauvais risque…»

À quand, le concret?

Ces projets novateurs promettent des jours meilleurs à notre système de santé. Mais, concrètement, quand est-ce que le Genevois moyen commencera-t-il à en sentir le présumé effet bénéfique sur son porte-monnaie? Interpellé quant à une éventuelle perspective temporelle, Pierre Maudet n’est pas en mesure de donner de date. Ni même d’horizon.

Il affirme simplement: «Nous étudierons la mise en œuvre de cette caisse publique aussi vite que possible. Mais il y a beaucoup d’intérêts différents en jeu. Certains prêchent encore le statu quo: la rapidité de la mise en place va dépendre du degré de résistance auquel on devra faire face.»

Le magistrat est cependant plutôt optimiste: «Quoi qu’il en soit, le vent dans les voiles ressenti au parlement hier soir est proportionnel à l’indignation face à cette nouvelle hausse des primes. Cela fait des décennies que rien ne bouge, et cet immobilisme ne va pas pouvoir durer encore longtemps.»

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