Dominic Nellen, avocat de deux victimes présumées du clan kosovar
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Interview:Dominic Nellen, avocat de deux victimes présumées du clan kosovar

Un clan familial kosovar au tribunal à Moutier
«Ils m'ont séquestrée et m'ont confisqué mon enfant!»

Des femmes achetées dans les Balkans et mariées en Suisse, réduites en esclavage, violées et menacées de mort: les accusations contre un clan familial kosovar du Jura bernois sont lourdes. En ouverture du procès ce lundi à Moutier, les victimes présumées ont témoigné.
Publié: 07.11.2022 à 19:45 heures
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Dernière mise à jour: 07.11.2022 à 19:55 heures
Beat Michel, Luisa Ita, Amit Juillard

Le clan familial originaire des Balkans est entré en ordre dispersé dans la salle d’audience du tribunal de Moutier (BE) ce 7 novembre. Au premier abord, les cinq accusés — le patriarche Albrahim F.* et ses quatre fils — paraissent plutôt inoffensifs. Ils semblent hésitants, s’adressent très poliment aux fonctionnaires de la justice du Jura bernois.

Vu de l’extérieur, ils ne correspondent pas à ces monstres brutaux qui auraient violé leurs épouses, les auraient menacées de mort, quasiment séquestrées et régulièrement battues, souvent sur ordre de leur père, lui aussi violent selon le Ministère public. Dès ce lundi et jusqu’à vendredi, ils doivent répondre de traite d’êtres humains, de mariage forcé, de lésions corporelles, de contrainte, de viol et d’actes d’ordre sexuel avec des enfants.

Les prévenus (ici quatre d'entre eux à leur arrivée lundi matin) nient les faits graves qui leur sont reprochés et la défense devrait plaider l'acquittement.
Photo: Blick

Selon l’acte d’accusation, long de plus de trente pages, le père aurait fait venir des Balkans une future épouse pour chacun de ses fils. Au moment des événements, ces filles étaient âgées de 14 à 17 ans.

Aujourd’hui encore, elles vivent dans la peur

La première victime présumée est arrivée en 2003. Comme aux autres, Albrahim F. lui aurait promis une vie meilleure en Suisse. Pour l’une des filles, ce dernier aurait même payé 300 euros aux parents de l’adolescente.

Après seize ans d’un quotidien décrit par les plaignantes comme un enfer, les quatre femmes se seraient rendu compte de l’atrocité de leur situation lors de cours de langue imposés par les services sociaux. C’est par la suite qu’elles auraient fui, en 2019, selon Dominic Nellen, avocat de deux d’entre elles.

Le procès s’est ouvert avec le témoignage des plaignantes, dont l’une risque l’expulsion du territoire suisse parce qu’en situation illégale. Aujourd’hui encore, toutes vivent dans la peur. Pour leur sécurité, elles ont été amenées en voiture devant l’entrée du tribunal et y sont entrées très rapidement, sous protection policière.

«Mon beau-père l’a étranglée alors qu’elle était enceinte»

Au vu de la situation, Dominic Nellen a demandé, et obtenu, qu’elles ne soient pas directement confrontées aux accusés. Ces derniers ont donc suivi les discussions dans une pièce séparée, par vidéo interposée.

Les récits délivrés par celles qui auraient été réduites en esclavage font froid dans le dos. «Une fois, mon beau-père m’a frappée. J’ai voulu partir. Mais le clan m’a séquestrée et m’a confisqué mon enfant (ndlr: une dizaine d’enfants sont nés de ces unions). Ils m’ont dit que si je voulais fuir, je pouvais ouvrir la fenêtre et sauter du premier étage.»

Son mari aurait aussi menacé de faire usage d’une arme à feu. Il aurait même tiré à une reprise dans le salon. En outre, au moins une autre femme aurait été battue alors qu’elle était enceinte: «Mon beau-père a attrapé ma belle-sœur alors qu’elle attendait un enfant et l’a étranglée dans le salon. Il l’a également frappée au menton. J’ai hurlé de terreur. C’était horrible.»

«Il avait mis une caméra dans ma chambre»

Autre reproche adressé à Albrahim F.: il aurait surveillé l’une de ses belles-filles en plaçant une caméra dans la chambre de celle-ci. «Il pouvait me voir nue, raconte-t-elle aux juges. Mais j’avais remarqué qu’il avait mis quelque chose dans mon armoire. C’était un téléphone portable qui transmettait des images en direct. C’est ainsi qu’il a découvert que j’avais ouvert mon application Snapchat, alors que je n’avais pas le droit de le faire. Par la suite, il m’a pris la clé de ma chambre.»

Selon Dominic Nellen, le clan familial agissait selon le droit coutumier médiéval albanais, appelé «Kanun». Sous ce prisme, les épouses rebelles sont considérées comme des traîtresses et les femmes n’ont presque aucun droit.

Un accusé nie en bloc, photos à l’appui

Les cinq hommes sont présumés innocents et ils ne s’exprimeront devant le tribunal que plus tard durant la semaine, probablement mardi et mercredi. Toutefois, avant l’audience, l’un des fils s’était approché de Blick. Photos de famille à l’appui, il avait lancé: «Les accusations contre nous et les éléments présentés dans les médias ne correspondent pas à la réalité.» Après avoir consulté son avocat dans l’intervalle, il n’avait pas souhaité faire d’autres commentaires.

Interviewé à la mi-journée par Blick, Dominic Nellen estime qu’il s’agit là d’une stratégie de défense bien rodée, mais qui ne tient pas la route: «Lorsqu’on présente une photo de famille prise à un instant 'T', cela ne prouve pas que la famille était heureuse. Mais concrètement, ce que cela montre, c’est qu’on a pris une photo à un instant 'T', rien d’autre.»

La défense devrait plaider l’acquittement, pour les chefs d’accusation les plus graves en tout cas. Le jugement devrait être rendu le 24 novembre.

*Prénom et nom modifiés

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