«Méfiez-vous de la gauche et de Nuria Gorrite, capables du pire»
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#Haters:«Méfiez-vous de la gauche et de Nuria Gorrite, capables du pire»

La ministre Nuria Gorrite
«On me dit souvent 'rentre chez toi!'»

Nuria Gorrite garde le feu sacré: après 13 ans au Conseil d'État, elle veut rempiler. Surnommée la «reine des nuits lausannoise», la socialiste plaide pour des élus proches du peuple et se bat pour les investissements ferroviaires en Suisse romande. Interview.
Publié: 26.11.2021 à 12:15 heures
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Dernière mise à jour: 26.11.2021 à 14:00 heures
Michel Jeanneret, Adrien Schnarrenberger

Les quatre années passés à la présidence du Conseil d'État vaudois n'ont pas changé Nuria Gorrite. Joviale et souriante, la ministre socialiste fait entendre son rire sonore à peine la porte de la rédaction de Blick franchie. Difficile de croire que cette fille unique d'immigrés espagnols, née à La Chaux-de-Fonds, a un jour été l'enfant très introvertie qu'elle décrira quelques minutes plus tard en interview.

Car la cheffe du Département des infrastructures et des ressources humaines devient la «reine des nuits lausannoises» une fois la journée de travail achevée. Et alors? Elle ne s'en cache pas et revendique même son penchant pour la fête. Après avoir répondu à ses «Haters» pour notre vidéo dédiée, Nuria Gorrite s'est mise à table pour évoquer notamment les investissements ferroviaires fédéraux, qui lèsent selon elle la Suisse romande.

Voilà treize ans que vous siégez dans cet Exécutif. Vous n’en avez pas marre?
Nuria Gorrite: Non, d’ailleurs j’ai toujours dit que le jour où j’en aurais marre, je ferais autre chose. Il n’y a rien de pire que les gens lassés. Si je suis à nouveau candidate, c’est parce que je veux renouveler un pacte avec les électrices et électeurs: j’en ai encore sous la pédale.

La conseillere d'Etat Nuria Gorrite parle lors de la conference de presse sur une nouvelle strategie de promotion du velo dans le canton de Vaud ce mardi 2 novembre 2021 a Lausanne. (KEYSTONE/Laurent Gillieron)
Photo: keystone-sda.ch

Quel est votre moteur?
J’ai une soif d’action terrible, surtout au sortir de cette crise Covid où tout le monde a dû traverser l’épreuve du feu. C’est d’ailleurs loin d’être fini, malheureusement... Mais, plus largement, je me sens privilégiée d’être en position d’agir. On m’a souvent demandé ma définition du pouvoir — je prends cette notion comme un verbe: j’ai la chance d’être dans la situation de «pouvoir faire».

Vous y arrivez toujours?
Je crois être une faiseuse. Je suis profondément pragmatique, un peu entrepreneuriale. Je viens de passer quatre ans et demi à la présidence; cela nécessite un dynamisme… (Elle réfléchit) Une passion, presque. Il faut toujours des idées et trouver des solutions.

Une chose que vous avez apprise?
A connaître mon canton. Comme disait Maxime Le Forestier, on est tous nés quelque part. Je suis une enfant de la Côte, ma réalité c’est le bord du Léman. De par ma fonction et le fait que je suis en charge des infrastructures, j’ai arpenté le canton de Vaud. On ne dit pas le «pays de Vaud» par hasard: les réalités socio-économiques sont parfois diamétralement opposées. Et je m’inscris en faux contre le clivage ville-campagne — tout est interdépendant. Les citadins ont besoin des gens de la campagne, les campagnards viennent travailler ou se former en ville.

Qu’est-ce que vous devez encore apprendre?
Savoir se décentrer, c’est capital. On nous demande toujours d’avoir des opinions tranchées et immédiates. Il faut souvent prendre du recul, nourrir la capacité à comprendre l’autre. Car les réponses sont toujours collectives. Je dois continuer à apprendre à fuir en permanence les postures caricaturales.

Êtes-vous une femme d’égo?
Non. De toute façon, c’est super dur à ce niveau-là, la politique. Mes premiers pas, c’était à Morges avec une bande de copains. On fumait des clopes, c’était sympa. Puis, une élection dans un exécutif vous expose davantage et certaines personnes portent des jugements sans connaître ni la personne, ni les actions. C’est assez dur pour l’égo.

Tout de même, lorsque l’on entre au Conseil d’État, ça doit être un «boost» incroyable pour l’égo...
C’est sans doute difficile à croire aujourd’hui mais j’étais tellement timide enfant que je n’osais pas regarder les gens dans les yeux. J’ai dû beaucoup travailler sur moi et je suis très reconnaissante envers mes parents, qui m’ont inscrite à des cours de danse et de théâtre. Lorsque vous vous retrouvez à la Cathédrale de Lausanne devant des milliers de personnes, vous ressentez une énorme responsabilité. Le poids sur les épaules est lourd, mais c’est heureusement du plaisir et pas une souffrance.

Être reconnue dans la rue, ça fait quoi?
Au début, c’est flatteur, mais cela peut aussi être pesant. La notoriété au quotidien, c’est plaisant, mais il faut savoir l'articuler avec sa vie privée. Nous sommes constamment sous observation. Quand j’étais municipale à Morges et que je suis devenue maman, ma fille a dû apprendre que faire mes courses, ça pouvait durer plus de deux heures et demie.

Justement: les personnes observatrices ont noté que vous êtes la reine des nuits lausannoises.
(Rires) La reine? C’est un peu fort! Mais oui, j’aime bien faire la fête car je suis de nature joyeuse et c’est une manière pour moi de voir mes amis. À ce que je sache, le code pénal ne le sanctionne pas.

Une «femme d’État» qui est aussi «party girl», voilà qui doit faire jaser...
Et? La politique et la convivialité ont de tous temps fait bon ménage. Je vois plutôt cela comme un avantage: cela me met en contact avec des gens dont je connais la réalité.

Parlons-en, de cette réalité. Partagez-vous le sentiment des femmes qui ne se sentent pas en sécurité à Lausanne?
Je ne sors pas souvent au Flon, mais l’espace public est genré, c'est un fait. Je milite depuis des années contre cela, pour qu’il y ait une tolérance zéro sur les questions de sexisme et de harcèlement, le GHB… Si on nie que c’est une réalité pour les jeunes adolescentes et même les adultes, on ne peut pas traiter ce problème et encore moins le régler.

Comment faut-il procéder?
Nous venons de lancer une nouvelle campagne contre le sexisme et le harcèlement sur les lieux de formation, parce qu’il faut beaucoup éduquer. Ce n’est pas normal que cela se déroule sous les yeux d’adultes qui, souvent, ne réagissent pas.

Mais le Parti socialiste (PS) pêche par son angélisme. La gauche lausannoise a toutes les peines du monde à accepter qu’il faut augmenter la présence policière...
Prétendre cela, c’est oublier que c’est cette même gauche qui a développé la police de proximité. Personnellement, j’ai une conception de l’État protecteur qui est très large. Le PS s’engage pour protéger les droits, qu’il s’agisse de logement, d’acquis sociaux mais aussi dans l’espace public. Il faut que les politiciens se rendent compte que vivre dans un quartier de villas ne vous expose pas aux mêmes risques qu’à la Bourdonnette.

Vous êtes donc d’accord qu’il faut davantage de police?
Je vais bien me garder de donner des leçons aux communes vaudoises, quelles qu’elles soient. Je ne suis pas contre la police — lorsque j’étais sur le terrain, syndique de Morges, j’ai agi. Mais ce n’est pas à moi de m’exprimer à ce sujet pour la Ville de Lausanne.

Au sujet du Covid, vous avez évoqué le mot «déchirure» de la société. Quel est votre diagnostic?
La crise Covid a révélé des fossés profonds dans la société. Ce qui m’interpelle, c’est qu’ils étaient préexistants à la pandémie. Celle-ci a simplement mis en exergue le fait qu’il n’y a pas de couverture sociale pour un ensemble de gens comme les travailleurs du spectacle, par exemple. Une large frange de la population a un statut très précaire.

Les divisions semblent tout de même plus larges, presque philosophiques.
Il faut remettre les choses dans leur contexte et leur donner leur vraie ampleur. Il y a une grande majorité de la population qui est reconnaissante que l’on puisse bientôt sortir de la crise. Une minorité, certes très bruyante, profite de la discussion sur la loi Covid pour invoquer des «stigmatisations». Or, rien qu’à voir les affiches de l’UDC ces dernières années, il ne me semble pas que le parti ait milité pour le vivre-ensemble mais plutôt adopté des positions exclusives et stigmatisantes.

Alors que faire?
Il faut recoudre les déchirures et tendre des mains.

Cela ressemble un peu à un slogan. Plus concrètement?
J’aime à croire que l’on vit une crise conjoncturelle et non structurelle et que la question vaccinale cristallise les débats émotionnels et les postures clivantes. J’ai l’espérance profonde que cela va disparaître dès la fin de la pandémie. Il reste une grande question: la thématique de la liberté.

Pourquoi?
La question est d’abord sémantique: c’est quoi, la liberté? Il s’agit d’une alliance entre aspiration libérale et progrès social qui a abouti à une liberté individuelle: pouvoir d’achat, de voyager, de partir en vacances… On a oublié que tout a été acquis par des combats communs. Le mot-clé, c’est le collectif et cela vaut aussi, voire surtout, pour la pandémie. C’est ce à quoi les gouvernements travaillent — tous veulent protéger leur population.

Mais les résistances sont fortes: les anti-vaccin, en particulier, n’ont que le mot «liberté» à la bouche!
Lorsque l’on veut régler un problème, il faut d’abord le nommer. Ici, c’est le fait qu’on ne s’en sortira pas avec une posture individualiste. Nous avons une immense chance: celle d’avoir accès au vaccin et qu’il est gratuit. Les opposants à la vaccination oublient que l’on ne peut pas exercer de liberté individuelle si le collectif ne fonctionne pas. En démocratie, cela implique que l’on puisse participer à la décision mais aussi qu’on accepte les conséquences d’une décision majoritaire. J’invite ceux qui veulent être libres à aller faire leurs expériences dans une dictature, une vraie.

Avez-vous des personnes sceptiques dans votre entourage?
Oui, il y a des personnes non vaccinées dans mon cercle le plus proche. Il s’agit d’amies précieuses, avec qui je partage tout depuis plus de trente ans.

Comment se sont déroulées les discussions avec ces amies?
D’abord, je n’y croyais pas, puis j’ai essayé de les convaincre. Mais il n’y a rien à faire: elles croient en les méthodes naturelles et ne voient pas la nécessité du vaccin. C’est un choix, et il ne justifie pas de jeter par la fenêtre 30 ans d’amitié.

Avez-vous reçu des menaces comme le conseiller d'Etat valaisan Mathias Reynard?
Elles se sont renforcées de manière générale contre le gouvernement depuis le début de la pandémie, mais ce n’est plus mon quotidien à titre personnel.

Comment peut-on se rabibocher? Faut-il des événements particuliers?
Le trou de Tolochenaz! (Rires)

Vous dites cela avec le sourire, mais toute la Suisse romande s’est solidarisée en marge des problèmes rencontrés par les CFF.
Vivre sur un même territoire nous lie dans une identité commune. Lorsque des milliers de personnes sont concernées par le même événement, cela crée naturellement un mouvement de solidarité. Cet incident est le révélateur d’un défaut d’investissement que l’on dénonce depuis longtemps à Berne.

C’est une bonne question: avec quelles armes se bat-on, à Berne?
C’est un combat de longue haleine que nous menons, par exemple, avec Olivier Français, notamment pour faire reconnaître que Vaud et Genève forment la deuxième région économique du pays et qu’elle nécessite des infrastructures adaptées.

Et cela a porté ses fruits?
Oui, depuis 2014 et l’adoption du fonds d’infrastructure ferroviaire (FAIF). Ce sont trois milliards de francs de plus que le Conseil fédéral n’avait pas prévus dans la première mouture. Avec le soutien des gouvernements romands, nous avons réussi à créer une majorité pour doubler la capacité du nœud Lausanne-Genève. Il faut désormais un deuxième paquet d’investissements et la réponse ne peut pas arriver en 2050.

Une certaine ministre de votre camp politique a dit ces derniers jours que les Romands avaient déjà été assez servis...
Oui, je sais bien de qui vous voulez parler. Je regrette cette prise de position de Simonetta Sommaruga. Depuis lors, elle a proposé une rencontre avec tous les acteurs concernés, ce qui me réjouit. Elle souhaite doubler la part modale du rail d’ici à 2050. C’est super, mais comment fait-on?

Avons-nous un problème d’infrastructures en Suisse?
Notre pays truste les premières places dans tous les classements de compétitivité, notamment grâce à ses excellentes infrastructures. Il y a la fiscalité, mais changer un taux d’imposition, tout le monde peut le faire. Nous sommes également bons pour l’innovation, malgré ce que certains prétendent. Mais il va falloir investir dans les infrastructures pour conserver cette position enviable.

Est-ce que le progrès technologique entre en ligne de compte?
Oui, aussi. Nous suivons avec attention les progrès technologiques, par exemple Cargo Sous Terrain (dont l'objectif est de construire un système de tunnels souterrains en Suisse, ndlr.). La première zone test se situe entre Egerkingen et Zurich, mais nous avons fait la demande pour que la Suisse romande fasse l’objet de la deuxième zone pilote en Suisse.

Envisagez-vous faire une carrière fédérale pour aller porter ce combat?
C’est pas du tout l’intention. Je suis candidate au Conseil d’Etat vaudois et j’ai été très claire: je ne serai pas sur la ligne de départ des élections fédérales en 2023. Je m’engage auprès du peuple vaudois. Je suis bien à Lausanne et je veux faire profiter la population de mon expérience et de mon réseau — cette dernière décennie, j’ai pu tisser beaucoup de liens intercantonaux et avec les offices fédéraux.

Les statuts de votre parti sont clairs: ce sera votre dernière législature.
Oui, je suis consciente qu’il faudra se projeter dans l’après.

A quoi ressemblera-t-il?
Je ne sais pas encore. J’ai coutume de dire que j’ai toujours été rattrapée par la vie: lorsque j’étais conservatrice de musée, on est venu me chercher pour la Municipalité. Puis pour la députation, la syndicature et le Conseil d’État. Il faut se faire confiance et avoir confiance en la vie.

Vous dites que vous fonctionnez au plaisir. Mais qu’est-ce qu’il vous faut pour vous dire «j’ai réussi»?
(Elle réfléchit) Peut-être de n’avoir pas trop fait faux. Le plus difficile, c’est affronter les éléments exogènes, comme le Covid en ce moment. Il faut travailler, rester soi-même. Je l’ai compris très vite, grâce à une expérience vécue, qu’exercer une fonction politique a une fin et qu’il est important de ne pas se confondre avec elle.

Vous êtes d’accord de nous la raconter?
J’étais municipale à Morges et j’ai, durant des années, accompagné le syndic d’alors Eric Voruz à un festival de musique. L’organisateur n’avait d’égard que pour le syndic. Lorsqu’Eric Voruz a été élu à Berne, je suis devenue syndique à mon tour. Je lui ai alors proposé de m’accompagner à ce même festival où, cette fois-ci, l’organisateur n’a eu d’égard que pour moi, sans même jeter un œil à mon prédécesseur. C'est là que j’ai compris l’importance de ne pas se confondre avec la fonction.

Notre recherche sur les réseaux sociaux l’a montré: vous n’avez pas beaucoup de «haters» et avez bonne réputation. C’est le fait de la politicienne ou de votre personnalité?
Les deux, j’espère! J’essaie de bien faire mon travail, de respecter l’institution tout en restant moi-même, avec mes qualités et mes défauts. Peut-être que pour ce qui est des «haters», vous n’avez pas bien cherché...

Vraiment?
Oui, même si la grande majorité des gens sont très bienveillants, il y en a tout de même. Outre les traditionnelles insultes contre la gauche et les femmes, on m’attaque surtout sur mes origines. Je ne compte pas les fois où on m’a écrit «rentre chez toi!» Mais je suis née ici, en Suisse. Je dois retourner à La Chaux-de-Fonds?

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