Commentaire de Christian Dorer
Dire bonjour, ça vaut la peine!

L'élection de la Jurassienne Elisabeth Baume-Schneider au Conseil fédéral a le mérite de nous rappeler deux choses: l'importance de l'aspect humain et des jeux de pouvoirs sous la Coupole fédérale. Le commentaire de Christian Dorer, rédacteur en chef du groupe Blick.
Publié: 08.12.2022 à 10:43 heures
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Dernière mise à jour: 08.12.2022 à 11:56 heures
Christian Dorer

Quel coup de théâtre! Pour la première fois depuis longtemps, une élection au Conseil fédéral a débouché sur une surprise plutôt que le choix attendu du favori ou de la favorite. Les parlementaires ont attribué 123 voix à la Jurassienne Elisabeth Baume-Schneider, privilégiée à sa collègue du Conseil des États Eva Herzog.

Pourtant, sur les feuilles de pronostics, il n'y avait pas photo: la Bâloise était jugée plus connue, plus expérimentée et plus solide. De nombreux indices laissaient d’ailleurs penser que le PS avait propulsé Elisabeth Baume-Schneider sur son ticket pour éviter qu'une autre candidate fasse trop d'ombre à Eva Herzog.

Or, les socialistes se sont trompés sur deux points. D’une part, ils ont oublié les jeux de pouvoir: plusieurs partis avaient davantage intérêt à avoir une conseillère fédérale PS romande conciliante qu’une Alémanique dure à cuire.

Avec Elisabeth Baume-Schneider, les parlementaires ont provoqué une sacrée surprise.
Photo: keystone-sda.ch
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«Elle ne me saluait jamais»

D’autre part, l’aspect humain compte davantage qu’on ne le pense. Au bout du compte, les parlementaires sont totalement libres d'inscrire le nom qu'ils veulent sur leur bulletin de vote. Et, ce que le résultat de cette élection confirme, c’est que l’élu ou l’élue ne sera jamais quelqu’un avec qui le votant ou la votante aura vécu une mauvaise expérience.

Eva Herzog a la réputation d’être froide et distante: «Avant d’être candidate, elle ne me saluait jamais!», entend-on de la bouche de nombreux parlementaires. Et puis est arrivée cette Jurassienne fraîche, joyeuse, simple, qui a pris les cœurs d’assaut…

Les conséquences? Aujourd’hui, certaines régions suisses grondent. Tout d’abord, Bâle voit rouge: après avoir attendu 50 ans pour avoir son propre conseiller fédéral, l'agglomération rhénane avait mis le champagne au frais. Et ce ne sera toujours pas pour cette fois. Les villes sont irritées, car aucun des sept membres du gouvernement n'a grandi dans un milieu urbain.

Le mélange parfait n'existe pas

Et il y a désormais cette fameuse majorité latine, de 4 membres sur 7. C’est pourtant formidable, vu de Zurich, que le plus jeune des cantons soit représenté pour la première fois au Conseil fédéral, dans sa 45e année d’existence!

Et finalement, un Conseil fédéral peut-il vraiment être équilibré? Suisse alémanique, Suisse romande, Tessin, homme, femme, urbain, rural, canton donateur, canton receveur, on pourrait ajouter étudiant, non étudiant, hétéro, gay, non binaire, riche, pauvre, secondo, Suisse de souche…

La liste est aussi infinie que le mélange parfait n’existe pas. Et ces caractéristiques ne sont pas non plus décisives: notre démocratie fonctionnera tout aussi bien alors que la Suisse latine et la Suisse rurale sont surreprésentées pendant un certain temps.

Ce qui compte concrètement? Mercredi, en choisissant Albert Rösti et Elisabeth Baume-Schneider, le Parlement a élu deux membres qui incarnent le contraire du «Kei Luscht» («Pas envie») d’Ueli Maurer*.

Ils rayonnent tous deux d’un incroyable plaisir à exercer leur fonction – un plaisir couplé à un profond respect de la tâche. On les croit, lorsqu’ils disent qu’ils veulent le meilleur d’abord pour la Suisse, et pas en premier lieu pour eux-mêmes ou leur parti.

Voilà qui est de bon augure. Mais seule la pratique nous dira s'ils font de bons conseillers fédéraux.

*En 2015, un journaliste de la SRF avait posé une question à Ueli Maurer, qui lui avait alors répondu «pas envie».


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