La chronique de Nicolas Capt
Moratoire sur l’IA: du lard ou du cochon?

Me Nicolas Capt, avocat en droit des médias, décortique deux fois par mois un sujet d’actualité ou un post juridique pour Blick. Cette semaine, il revient sur l'utilisation de l'IA, de logiciels tels que ChatGPT et du débat qu'ils engendrent dans notre société.
Publié: 04.04.2023 à 16:30 heures
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Dernière mise à jour: 25.04.2023 à 14:09 heures

Depuis fin novembre, ChatGPT a fait bruire sans répit les réseaux de spécialistes puis, dans un second temps, les cafés du commerce d’ici et d’ailleurs. Dans un monde censé, les premiers devraient nous abreuver d’une sagesse tranquille, tandis que les seconds gagneraient leurs galons de complotistes en montant en épingle, entre une mousse et un café noisette, les dangers fantasmés qui nous guettent et notre remplacement prochain par un robot, comme dans les films de science-fiction de seconde partie de soirée.

Ça, c’était sans compter la grandiloquente lettre ouverte, signée de grands noms de la technologie, comme Elon Musk, Steve Wozniak (co-fondateur d’Apple) ou encore l’écrivain Yuval Noah Harari, qui a très récemment appelé à un moratoire de six mois sur les dispositifs d'IA plus puissants que GPT-4.

Empreinte d’un ton cérémonial, sinon affecté, appelant de ses vœux à protéger la vie sur terre telle que nous la connaissons (rien que ça) et « à ne pas perdre le contrôle de notre civilisation », cette lettre a mille bonnes raisons de provoquer le malaise.

Un moratoire sur les logiciels d'intelligence artificielle? L'idée ne séduit pas notre chroniqueur Nicolas Capt.
Photo: DUKAS

En premier lieu, un moratoire d’une durée de six mois relève de la plus vaste fumisterie. C’est un peu comme si l’on demandait, au bénéfice du climat, de s’offrir six mois d’arrêt d’émission de CO2. La réglementation de l’IA, sectorielle ou non, nationale ou supranationale, est à l’évidence une tâche de longue haleine. Si elle doit, sans le moindre doute, être immédiatement entreprise, rien ne sera résolu dans six mois et la tâche s’avère rien moins que colossale.

Une bande de pompiers pyromanes

Il n’est pas ici question de nier les risques que présente l’IA, évidemment, ni de sous-estimer l’impact énorme qu’elle va avoir sur nos sociétés, mais simplement de discréditer l’idée tout à fait aberrante d’un moratoire éclair tel qu’il est présenté.

Mais cette mascarade donne aussi l’impression de voir à l’œuvre une bande de pompiers pyromanes s’ébaudir des turpitudes annoncées de leur propre créature: Elon Musk, investisseur dans OpenAI (le concepteur de ChatGPT) qui vient demander une suspension des recherches sur le genre d’outil qu’il a largement contribué à financer, c’est, au mieux, ridicule.

De plus, le lexique utilisé par la lettre, pas forcément compris de tous, contribue à estomper les frontières entre les concepts. Ainsi, il est essentiel de rappeler que l’intelligence artificielle dite générale (qui décrit les systèmes capables de procéder à toutes sortes de tâches différentes et de passer aisément de l’une à l’autre) n’a strictement aucun rapport avec l’intelligence artificielle forte, laquelle suppose que l’IA aurait conscience de sa propre existence et des affects.

Si Chat GPT impressionne par sa capacité à répondre de manière fulgurante à toute sollicitation, le système n’a pas la moindre conscience de sa propre existence. Et il n’est pas intelligent au sens où on l’entend communément.

Au fond, cette lettre est si absurde que l’on peut se demander si elle n’a pas précisément pour objectif de survaloriser le raz-de-marée absolu que l’on veut prêter à ChatGPT, et donc de servir in fine des fins commerciales ou stratégiques.

Et un café à la 4!

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