Tantôt tendre ou impassible
Le règne d'Elizabeth II, ou la maîtrise de l'image

Au lendemain du décès de la reine Elizabeth II, le monde entier ne peut que constater la disparition d'un personnage historique qui a traversé les époques. Un point semble essentiel à la compréhension de son règne et de son destin: la maîtrise de son image.
Publié: 09.09.2022 à 06:02 heures
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Dernière mise à jour: 09.09.2022 à 07:00 heures
Jean-Claude Galli

Il y a un peu plus de 70 ans - le 6 février 1952 - Elizabeth II était proclamée reine. Ses débuts ont été assombris par la mort de son père George VI (1895-1952), le couronnement n'ayant eu lieu qu'un an et demi plus tard, le 2 juin 1953.

Dans son ouvrage de référence, le biographe Nick Davies explique pourquoi la reine a tant fasciné ses sujets tout au long de sa vie. «Bien qu'elle ait été omniprésente, elle faisait partie des très rares personnes qui n'ont jamais dit comment elles se sentaient réellement et quelles étaient leurs opinions», explique-t-il.

Une vie souhaitée loin du public

Il était même impossible d'évaluer son état de forme sur la base de mimiques ou de petits gestes d'humeur, tant la souveraine semblait impassible. Si l'on en croit Nick Davies et d'autres chroniqueurs qui l'ont rencontrée en personne, la reine aurait volontiers préféré se tenir complètement à l'écart de la vie publique.

Non promise à la couronne à sa naissance, la reine Elizabeth II sera tantôt perçue comme froide, tantôt comme une mère de la nation. La maîtrise de son image est un fil rouge parmi d'autres pour comprendre son règne.

Mais personne d'autre qu'elle ne connaissait aussi bien le sens du mot «devoir». À force d'apprentissage du pouvoir, Elizabeth a compris une règle fondamentale: «Il faut me voir pour croire en moi.»

Dans ses jeunes années déjà, chacune de ses paroles était pesée et approuvée. Il en était déjà ainsi pour son tout premier discours au peuple, diffusé le 13 octobre 1940 à la radio et adressé aux enfants assis dans les abris antiaériens, au moment où la Seconde guerre mondiale faisait rage. «Quand la paix viendra, rappelez-vous que notre tâche sera de faire du monde de demain un endroit meilleur et plus heureux», avait-elle alors affirmé.

Une image à maîtriser

Ce que son père n'a connu que tardivement dans son règne était pour Elizabeth II un compagnon permanent qu'il fallait contrôler: la télévision. La BBC 1 n'a commencé à émettre qu'en 1936. Son couronnement fut le premier d'un monarque britannique à être retransmis. Ce sera le cas pour d'autres moments clés de son règne.

Jusque dans les années 1960, Elizabeth II était encore loin de l'image de la mère du peuple attentionnée qu'elle a portée avec elle jusqu'à nos jours. Le 29 octobre 1966 lui a brutalement montré que la distance avec son peuple pouvait lui coûter cher. Elle s'était alors rendue dans le village minier d'Aberfan au Pays de Galles, où un glissement de terrain avait causé la mort de 144 personnes, dont 116 enfants.

Ses compatriotes lui en ont voulu pendant des années de n'avoir effectué cette visite que huit jours après la tragédie. L'émission télévisée «Royal Family», fut conçue pour amorcer un rapprochement avec le peuple. Ce fut un succès d'audience en 1969, mais la diffusion fut jugée racoleuse par de nombreux Britanniques et fut également contestée à l'interne, car elle démystifiait l'univers entourant la cour. Plus tard, la BBC a retiré le documentaire, à la demande de ses dirigeants.

Une série de Premiers ministres

La reine entretenait une relation formelle avec «ses» Premiers ministres, tous des hommes jusqu'au départ du travailliste James Callaghan. Avec l'entrée en fonction de Margaret Thatcher le 4 mai 1979, il y eut soudain une deuxième femme forte, dont les actions eurent des répercussions sur la reine. Les relations entre les deux femmes étaient considérées comme tendues, mais il n'y a jamais eu de déclarations directes à ce sujet.

En revanche, la reine s'est montrée vraiment bouleversée lorsque, le 27 août de la même année, Earl Mountbatten a été victime d'un attentat de l'IRA sur son bateau dans la baie de Sligo, en Irlande. Celui qui était l'oncle du prince Philip était l'instigateur du mariage royal en 1947 et fut considéré toute sa vie comme l'un des rares véritables confidents de la monarque.

La reine elle-même a été la cible de plusieurs tentatives d'assassinat, dont la plupart ont toutefois été déjouées dès leur phase de planification. Mais un an avant la visite dans sa chambre à coucher de Michael Fagan, un individu qui a pu mystérieusement s'introduire dans Buckingham Palace, Elizabeth II s'en est tirée à moins bon compte.

Lors du défilé militaire «Trooping the Colour» du 13 juin 1981, Marcus Sarjeant, alors âgé de 17 ans, a tiré six fois avec un pistolet de starter sur la reine assise sur son cheval favori, le birman, avant d'être maîtrisé. Sa motivation, qu'il avait écrite peu avant dans son journal, était la suivante: «Je serai l'adolescent le plus célèbre du monde.» Après une peine de prison, il a été libéré et s'est vu attribuer une nouvelle identité. Sa lettre d'excuses n'a jamais reçu de réponse.

Des femmes qui lui faisaient de l'ombre

Presque au même moment, une autre femme forte entra dans la vie de la reine, qui devint dangereuse pour elle par son caractère conquérant et la popularité qui en résultait. Jusqu'à sa mort accidentelle le 31 août 1997, Diana Spencer, plus connue sous le nom Lady Di, lui a volé la vedette à chacune de ses apparitions, ce qu'Elizabeth II voulait éviter à tout prix. A la fin des années 1980, la crise conjugale entre Lady Di et le prince Charles s'accentuait, ce qui aurait fortement attristé la reine.

Au début des années 1990, les observateurs ont constaté pour la première fois une certaine lassitude à l'égard de la fonction royale. Celle-ci culmina dans le discours prononcé le 24 novembre 1992 à l'occasion de son 40e anniversaire de trône, lorsqu'elle résuma l'incendie du château de Windsor, la séparation du prince Andrew et de Sarah Ferguson ainsi que le divorce de sa fille Anne d'avec Mark Phillips sous le terme bien choisi d'«annus horribilis».

Une vie pour s'adoucir?

Contrairement à Margaret Thatcher, Elizabeth II s'est volontiers entourée de Tony Blair, Premier ministre de 1997 à 2007. Il l'a aidée à sortir de la crise de popularité qui a suivi la mort de Lady Di et a été à l'origine de la métamorphose qui a culminé avec le film «The Queen» de Stephen Frears en 2006. Ce film a indéniablement joué un rôle considérable dans la construction de l'icône qu'est devenue Elizabeth II jusqu'à sa mort.

L'âge avançant, on a pu constater chaque année un regain de sympathie de la part du peuple pour sa souveraine. L'image de la reine pleurant son époux, seule dans la chapelle du château de Windsor, le 17 avril 2021, a suscité la compassion du monde entier. C'était la preuve d'une monarque humaine et adoucie, même s'il lui a fallu toute une vie pour oser se montrer sous ce jour.

(Adaptation par Thibault Gilgen)


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