C'est son grand projet
Cette «refondation» de Macron qui fait peur aux élus et aux élites françaises

Le président français lance, ce jeudi 8 septembre, le Conseil national de la refondation destiné à inventer «une manière nouvelle de débattre». Une initiative que le boycott des oppositions cherche à tuer dans l'œuf alors que plusieurs pistes de réforme méritent débat.
Publié: 08.09.2022 à 10:27 heures
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Dernière mise à jour: 08.09.2022 à 15:16 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Emmanuel Macron n’aime pas les rentiers. Ancien banquier d’affaires et démissionnaire de la haute fonction publique, le président français a, en 2017, conquis l’Elysée avec une promesse de disruption qui s’est ensuite enlisée dans les crises, en particulier celle des «gilets jaunes» en 2018-2019. Reste chez lui une obsession discutable: en finir avec les privilèges dont bénéficient certaines corporations, et réformer l’Etat tout-puissant qui pèse comme un couvercle sur le pays.

La marque d’un président «Jupiter»

Ses opposants y voient, une fois de plus, la marque d’un président «Jupiter», avant tout soucieux de gouverner seul. Mais pour Macron, réélu en avril 2022, il s’agit d’une marque de fabrique. La France et ses institutions, il en est convaincu, doivent être «refondées» pour s’adapter aux réalités du monde. Telle est la mission du «Conseil national de la refondation» qu’il vient d'installer ce jeudi, avec pour objectif de fournir des pistes pour «une manière nouvelle de débattre» dans ce pays plus prompt aux révolutions qu’au dialogue et consensus.

Emmanuel Macron n’aime pas qu’on lui résiste. Charmeur, il reste persuadé que personne ne peut longtemps refuser ses avances. Erreur. Résultat: à peine lancé, son Conseil national de la refondation fait déjà face à un boycott presque généralisé de tous ceux qu’il aurait dû avoir à bord. Le Sénat, contrôlé par l’opposition de droite, a décliné l’invitation. Une partie des syndicats a aussi dit «non merci». Les associations d’élus locaux ont accepté d’y aller in extremis, après la promesse d’une grande loi sur la décentralisation. Ce qui aurait pu être un catalyseur d’idées risque de devenir une usine à gaz politicienne.

La première ministre française Elisabeth Borne sera en première ligne pour mettre en œuvre les propositions du Conseil national de la refondation lancé par Emmanuel Macron.
Photo: AFP

Des idées qui mériteraient d’être creusées

Dommage, car plusieurs idées mériteraient d’être creusées dans un pays sacrément en demande d’oxygène démocratique. L’idée de départ d’associer des citoyens tirés au sort avait le mérite de bousculer les élus. La volonté d’en finir avec «les réformes qui viennent d’en haut», a aussi des vertus. L’invitation adressée par l’Elysée pour l’installation de Conseil, destiné à favoriser «l’esprit de dialogue et de responsabilités partagées», à aboutir à «des consensus sur la situation du pays» et à «concevoir des solutions concrètes aux préoccupations de nos concitoyens» mérite au moins un arrêt sur image.

Problème: une grande partie des élus et des élites françaises ne veulent rien changer. Les uns comme les autres parlent de changement. L'incantation est devenue rituelle. Mais dans les faits, la plupart le redoutent et font tout pour le bloquer.

Le caméléon Macron

Emmanuel Macron est un caméléon. Bousculé par la violence de la crise des «gilets jaunes» durant son premier quinquennat, et confronté dès le début de son second mandat à l’absence de majorité absolue de députés pour son parti à l’Assemblée nationale, le président français continue, dans les faits, de chercher sa voie. A preuve: sa désignation, en pleine campagne législative, d’un Conseil national de la refondation aux mêmes initiales (CNR) que le Conseil national de la résistance d’après guerre. Trop facile. Trop électoraliste. Trop démagogue.

Et pourtant: comment ignorer le fait que 37% de la population dit se méfier de la politique, et que 40% avouent «sa lassitude»? Pire: en 2016, 7 Français sur 10 estimaient que «les élections ne changent rien». En 2021, deux tiers des personnes interrogées estimaient pour leur part «que la démocratie est en danger». Refuser, dans ces conditions, un exercice de réflexion imposée sur la manière d’exercer le pouvoir au pays de Voltaire et de Molière, a de quoi laisser perplexe.

Promesse d’un démarrage «très rapide»

Emmanuel Macron l’a promis. Il introduira la réunion du CNR par un «dialogue long et très ouvert» sur les attentes et les priorités des participants autour de cinq grands thèmes de discussion: le plein-emploi, l’école, la santé, le bien vieillir et la transition écologique.

Sa volonté? «Un démarrage très rapide» des premiers chantiers thématiques, sur l’école ou la santé par exemple, afin qu’ils se concrétisent» en 2023», avec la volonté d’être innovant. La place des Français tirés au sort, dont la participation était d’abord envisagée, n’est maintenant plus très sûre. Le suivi des travaux sera confié au Haut-Commissaire au Plan, le leader centriste François Bayrou.

Un «reset» démocratique et institutionnel

Emmanuel Macron a sans doute raison. Vu de l’étranger, la France a bel et bien besoin d’un «reset» démocratique et institutionnel. Le problème est que ce jeune président de 44 ans, qui n’est pas un politicien de formation (il n’a jamais été élu avant d’accéder à la tête du pays) pense vertical lorsqu’il parle horizontal. Il parle de décentralisation mais n’a pas su, depuis 2017, montrer qu’il comprend les préoccupations des territoires. Il parle de référendum mais redoute l’idée d’aller devant le peuple. Il parle de débat alors que son terrain privilégié est celui du monologue.

Emmanuel Macron veut «refonder» la France sans comprendre que les Français, eux, ne ressentent pas la nécessité de cette refondation. Surtout qu’elle risque d’exiger, à terme, davantage de leur part en termes de responsabilités. Le Conseil national de la résistance, après la seconde guerre mondiale, avait l’avantage de redémarrer sur un vrai champ de ruines. Le Conseil national de la refondation lancé ce jeudi 8 septembre devra, pour exister, surmonter un champ de mines politique: celui semé derrière lui par le macronisme.

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