«Le grand dérangement»
En France, une immigration devenue impossible à gérer

Dans «Le grand dérangement», le préfet Didier Leschi s'en tient aux faits pour parler de l'immigration, il le répète sans cesse. Problème: ces faits semblent aujourd'hui impossible à admettre. Et à gérer.
Publié: 15.10.2023 à 16:04 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Il y a un mot que Didier Leschi répète sans cesse au fil de son essai percutant «Le grand dérangement» (Ed. Gallimard). Ce mot est simple. Il s’agit de «faits». Oui, c’est un tableau factuel que ce préfet, ancien directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, dresse en une cinquantaine de pages.

Pas d’appréciation idéologique. Pas de nuance imposée par le désir de ne pas choquer ou d’accommoder les autorités. Factuel. Et c’est très bien ainsi. Réactualisé après une première publication en 2020, ce petit livre est exactement ce qu’il faut lire alors que, de nouveau, la question des immigrés radicalisés occupe le débat public, après le meurtre d’un enseignant à Arras (Pas-de-Calais), vendredi 13 octobre, par un jeune fanatique islamiste originaire du Caucase.

Un système dysfonctionnel

On ne va pas ici répéter les chiffres donnés par Didier Leschi. Ils justifient d’acheter ce livre, publié dans la collection «Tracts» à prix modéré. Mais voilà en bref ce qu’affirme l’auteur: le système français d’accueil, d’intégration et de contrôle des frontières extérieures n’est plus adapté aux défis actuels.

Dans son livre «Le grand dérangement», le préfet Didier Leschi aborde les faits, seulement les faits.
Photo: Richard Werly
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Côté accueil, les flux migratoires embouteillent les logements sociaux, créent des inégalités très mal vécues par les classes populaires en France, et enkystent des communautés étrangères dans des quartiers et des villes qui deviennent des ghettos. Côté intégration, le marché du travail hexagonal n’est pas capable d’absorber dans de bonnes conditions cette main-d’œuvre qui parle de moins en moins français et ne cherchent pas forcément à s’adapter.

Côté contrôle des frontières enfin, les fameuses «obligations de quitter le territoire français» (OQTF), que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin veut rendre systématiques pour les individus radicalisés fichés S, ne peuvent pas fonctionner. Dans certains pays européens, des sédatifs sont administrés aux personnes concernées avant d’embarquer dans les avions pour retourner dans leurs pays! Dans d’autres, comme la Suisse, des aides financières conséquentes leur sont très vite allouées pour repartir avant de s’être enracinés. La France? Comme trop souvent, elle slalome. Et les policiers se retrouvent dans des situations inextricables, entre clandestins violents et recours juridiques trop nombreux.

Les particularités françaises

Les vérités que Didier Leschi raconte et détaille dans son livre ne sont pas cachées. C’est peut-être cela, le plus important. Ces faits sont connus, établis, recensés. Mais rien n’a changé jusque-là, si ce n’est une accumulation de textes législatifs qui se contredisent parfois les uns avec les autres et constituent un maquis dans lequel les passeurs et les clandestins eux-mêmes apprennent à évoluer.

On pense à l’aide médicale d’État, que le projet de loi sur l’immigration à venir en novembre pourrait transformer en une aide médicale d’urgence. Didier Leschi l’écrit et il a raison: il n’y a qu’en France que des étrangers en situation irrégulière, parfois en délicatesse avec la loi, peuvent bénéficier de soins complets et gratuits! Nulle part ailleurs cela existe.

Dans d’autres pays, la base est la contribution financière des intéressés (soit totale, soit partielle), et le lien entre accès aux soins, travail et ressources. Comment ne pas comprendre la colère des Français? Didier Leschi a raison de parler de «grand dérangement» à propos de l’immigration. Ce n’est pas seulement le dérangement causé à la société qui est en cause. C’est le système qui est «dérangé», au sens où il ne respecte plus certaines règles de base, indispensable pour accepter un métissage social.

La question de la langue

Le plus inquiétant, paradoxalement, a été pour moi de lire sous la plume de l’auteur ses paragraphes sur le refus de la langue française, sur la façon dont les nouveaux arrivants s’enferment dans leurs communautés et dans leurs langues par les réseaux sociaux. Il est faux de dire que les murs sont ceux que l’on crée. Certains murs viennent des immigrés eux-mêmes, surtout lorsqu’ils sont jeunes et bercés de culture numérique. C’est là qu’il faudrait, en théorie, intervenir de façon intransigeante.

A quoi sert de parler de «République» et de «communauté nationale» si on laisse prospérer des enclaves identitaires et non francophones? Il est clair qu’en France, un référendum sur l’immigration serait explosif. Mais voilà une question qui mériterait d’être posée: l’apprentissage du français doit-il être obligatoire pour l’accès aux droits sociaux? Tout progrès en français serait récompensé. Tout refus de parler et d’apprendre la langue serait sanctionné.

C’est un point qui résonne, alors qu’Emmanuel Macron doit inaugurer le 19 octobre à Villers-Cotterêts (Aisne) la nouvelle cité internationale de la langue française. Le «grand dérangement» n’est pas le «grand remplacement». Il faut le redire. Mais aborder les faits exige un «grand courage». Et il faut le redire aussi!

A lire: «Le grand dérangement» de Didier Leschi (Ed. Gallimard)

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