Après 10 ans d'hésitation
«J’ai quitté mon job dans la banque sur un coup de tête»

Après une décennie sans passion, Emilie Hawlena démissionne d’un poste confortable pour changer de vie et réaliser son rêve. Six ans plus tard, elle est à la tête du premier réseau de soutien aux femmes entrepreneures de Suisse. Témoignage.
Publié: 05.01.2023 à 07:10 heures
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Dernière mise à jour: 25.04.2023 à 14:15 heures
Carole Berset

De la permanence juridique aux événements mensuels en passant par des workshops, Genuine permet aux femmes entrepreneures de multiplier les contacts, d'acquérir des compétences et de gagner en visibilité. Premier réseau de soutien aux créatrices d’entreprise en Suisse, Genuine regroupe aujourd’hui plus de 800 porteuses de projet et compte dix antennes en Suisse et six en France. «Ni excluante ni militante, la plateforme entend proposer des leviers spécifiques aux besoins des femmes qui entreprennent. Notamment parce que leur ambition – souvent empreinte d’une dimension sociale ou durable – et leur rapport à l’argent se distinguent encore de leurs homologues masculins, explique la fondatrice. Elles ont par ailleurs souvent une relation plus émotionnelle à leur projet.»

Cette réalité, Emilie Hawlena l’a expérimentée elle-même au travers de projets développés en parallèle de son précédent métier dans la banque. «J’avais notamment organisé des vide-dressings et ouvert un bar à vin avec mon compagnon de l’époque. Ces projets m’avaient amenée à rencontrer plusieurs entrepreneures, créatrices, artisanes… En discutant avec elles, j’ai constaté que toutes exprimaient les mêmes questionnements, peurs et doutes quant à leur légitimité, et ce, indépendamment du domaine dans lequel elles œuvraient. Inconsciemment, l’idée de Genuine était peut-être déjà là, bien que le chemin pour parvenir à la concrétiser a été beaucoup plus long.»

Un cage dorée

À 21 ans, Emilie Hawlena intègre une banque commerciale à Bruxelles, un peu par hasard. «J’envisageais ce poste comme une première expérience qui me permettrait de gagner mon indépendance financière, mais qui ne devait pas durer.» Deux ans plus tard, elle rejoint toutefois la succursale de Genève, active dans le secteur privé. Une opportunité incroyable à première vue, mais qui se révèle vite très éloignée de ses aspirations profondes. La sécurité financière n’arrivait pas à compenser un manque d’épanouissement. «En une heure d’avion, mon salaire a certes triplé, mais je me suis rendue compte que la gestion de fortune et les marchés boursiers ne me permettraient pas de me réaliser. Faire de l’argent avec de l’argent ne m’intéressait pas. Mais il y avait toujours une excuse pour repousser l’heure de mon départ: les voyages, la première maison… J’ai sauté à pieds joints dans la fameuse cage dorée.»

Il a fallu dix ans à Emilie Hawlena pour se rendre compte qu'elle s'était elle-même enfermée dans une cage dorée.
Photo: Shutterstock
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Le déclic, la jeune femme l’aura dix ans après ses débuts à Bruxelles. «Un matin de mai 2015, arrivée devant le bâtiment où je travaillais, j’ai été envahie par un sentiment d’effroi: ce qui ne devait être qu’une période de transition s’était transformé en une décennie passée dans un domaine que je n’aimais pas. Le décès de ma grand-mère deux ans plus tôt a certainement aussi participé à une prise de conscience globale. Je m’étais totalement oubliée et savais que si je ne démissionnais pas maintenant, je m’engageais à nouveau pour dix ans. J’ai quitté mon poste le jour-même, sans avoir la moindre idée de ce que j’allais faire.»

Une quête de sens

Passé les deux premiers jours d’euphorie, Emilie Hawlena doit se confronter aux incertitudes, nuits blanches et angoisses qu’engendre sa décision. «Il faut veiller à ce que le mental ne prenne pas trop le dessus afin de garder le cap. À l’instar de ce dicton anglais qui m’accompagne encore aujourd’hui, action cures fear (en français: 'l’action est un remède à l’angoisse'), et je me suis rapidement mise en mouvement. Il s’agit de revenir sans cesse à cette impulsion qui a permis ce changement, et qui sera le moteur de futurs projets.» Elle s’offre une année sabbatique afin de vivre de nouvelles expériences et trouver sa vocation: «J’ai voyagé en Inde, en Thaïlande et j’ai fait beaucoup de bénévolat.»

La rencontre décisive se fera en Belgique, lorsque Emilie Hawlena croise la route d’une coach qui aide les entrepreneurs à développer leurs projets. Après un stage de trois mois au sein de l’organisme, elle rentre en Suisse et fonde Genuine. «J’aimais cette idée de collectif qui répond à la solitude que rencontre tout entrepreneur. J’ai créé le soutien qui m’avait manqué en tant qu’indépendante à l’époque du bar à vin.» La soirée de lancement de Genuine suffit à convaincre plus de 40 porteuses de projet. «Le besoin était réel et ces femmes ont tout de suite répondu présentes. Grâce à leur adhésion et aux six mois de chômage qu’il me restait, j’ai eu la chance de pouvoir me verser un salaire dès le départ. Bien que celui-ci soit un peu moins élevé qu’avant, je n’ai pas ressenti de différence de qualité ou de niveau de vie dans la mesure où certains standards, notamment professionnels, ne sont plus les mêmes. Aujourd’hui, je vis – ainsi que mes enfants – uniquement de Genuine.»

Parsemé d’embuches, ce virage à 180 degrés permet à Emilie Hawlena de s’épanouir véritablement. «J’ai évolué dix fois plus en six ans que durant toute ma carrière à la banque. Mon expérience du service clients, de la gestion des chiffres et du cadre très organisé de mon ancien travail se sont toutefois révélés de véritables atouts.»

Un accélerateur de projets

Dès sa création, l’objectif de Genuine consiste à proposer aux entrepreneures un environnement propice afin de leur insuffler un sentiment de légitimité quant à leur projet et de leur donner les outils pour en réaliser tout le potentiel. «La plupart des femmes qui rejoignent la communauté ont une histoire similaire à la mienne: après une carrière conventionnelle, elles ont connu une période de remise en question et ne se retrouvent plus dans leur métier. Elles désirent créer un projet en accord avec leurs valeurs. Les contacts et leviers proposés par Genuine sont une manière de ne pas affronter seule les questionnements et défis liés à cette phase de transition.» Emilie Hawlena envisage aussi Genuine comme un mouvement destiné à évoluer avec et pour ses membres. «Je ne voulais pas d’une communauté figée. Les porteuses de projets jouent un rôle actif dans l’optimisation de l’expérience. C’est notamment grâce à elles que l’offre est si diversifiée.»

Durant la pandémie, Emilie Hawlena et ses équipes développent la possibilité de suivre des événements en ligne et ouvrent une antenne en Suisse alémanique ainsi que plusieurs autres en France. «Le Covid-19 a été un accélérateur d’évolution et une opportunité de tester de nouvelles options. Le contexte géopolitique et économique actuel, qui impacte notamment l’envie de s’engager à long terme, me pousse par ailleurs à repenser le système d’adhésion annuelle, que propose la plupart des réseaux Business. Mon projet entrepreneurial évolue au même titre que les entreprises des femmes que Genuine accompagne. Il s’agit sans cesse d’essayer et de rectifier la direction, tout en restant authentique (en anglais: genuine) vis-à-vis de soi-même et des autres pour que le projet garde tout son sens.»

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