Thomas Wiesel – lettre aux suisse alémanique
«Vous n’avez pas besoin de nous»

Le futur chef des CFF ne devra plus savoir le français et le chef des armées n’en parle pas un mot. La Romandie est inquiète. Thomas Wiesel, star du stand-up romand nous explique pourquoi la suisse allemande ne doit pas y accorder trop d’importance.
Publiziert: 20.10.2019 um 13:17 Uhr
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Aktualisiert: 21.10.2019 um 17:30 Uhr
L’humoriste suisse ­Thomas Wiesel se demande à quoi servent les Romands.
Foto: Laura Gilli
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Thomas Wiesel

Le rédacteur en chef du SonntagsBlick Magazin m’a contacté cette semaine pour me demander si je pouvais ­écrire une tribune sur le thème «À quoi servent les Romands?», sujet de plusieurs articles de presse et d’une émission sur «Infrarouge» (c’est notre «Arena» à nous, là où les politiciens se coupent la parole et ­lisent leurs petites fiches en faisant semblant de pas lire leurs petites fiches). Il m’a averti: ­«Attention, nos lecteurs n’ont pas ­conscience que ce débat existe.» Et ben ça tombe bien, avant de recevoir cet e-mail, moi non plus.

Pour être honnête, si nous-mêmes on se ­demande à quoi on sert, c’est pas très bon ­signe, et je préférerais que vous ne vous ­posiez pas la question, j’aurais trop peur que vous découvriez que c’est à pas grand chose.

Roger Köppel nous avait comparés aux Grecs de la Suisse, préférant faire la fête et ­séduire plutôt que travailler, il pensait sans doute nous vexer, on l’a pris comme un ­compliment. Personnellement, ça me fait plus rêver des vacances à Santorin qu’à Bümpliz.

Les évènements ayant provoqué ce débat sont au nombre de deux, d’après ce que j’ai compris. Et c’est pas sûr que j’aie tout bien compris, mais si on voulait une réponse ­sérieuse et une analyse pertinente, c’est pas à moi qu’on aurait demandé.

Deux éléments, donc: d’abord, le nouveau patron de l’armée ne parle pas français, et ne le comprend pas. Il a promis qu’il allait l’apprendre (mais il a aussi promis des nouveaux avions de chasse, donc c’est pas sûr). Ensuite, d’après un expert en recrutement, celle ou celui qui remplacera Andreas Meyer à la tête des CFF n’a plus l’obligation de parler français non plus. Panique en Suisse romande. Enfin, non, pas vraiment, mais ­«Infrarouge» diffuse une émission par semaine et il faut bien trouver des sujets de débat.

Personnellement, j’aurais plutôt proposé: «Petkovic peut-il ­mettre ses 11 joueurs sur la ligne de but pour les 10 dernières minutes de chaque match?», mais bon … (Cette dernière blague était beaucoup plus drôle quand je l’ai écrite, le matin du match contre l’Irlande, où la Suisse a ­ré­ussi à marquer dans les 10 dernières minutes – juste pour me faire fermer ma gueule.)

Je trouverais amusant un patron des CFF qui maîtrise moins bien les langues nationales que ses contrôleurs. Mais est-ce vraiment si grave si on ne comprend pas tout ce que dit le PDG des chemins de fer? Andreas Meyer parle parfaitement français, et c’est pas comme si on était pendu à ses lèvres.

Federer on est contents qu’il s’exprime en français de temps en temps car ce qu’il dit nous intéresse, mais Andreas Meyer, il pourrait nous expliquer en bulgare pourquoi il mérite de toucher son ­million annuel malgré les scandales qui s’accumulent, qu’on s’en ficherait pas mal.

Et le chef de l’armée ne parle qu’allemand? Si vraiment il s’adresse un jour à nous, on fera des ­efforts de compréhension, quand le mec a un pistolet à la ceinture, tu fais vite des progrès. Et y a des bons côtés, en cas de guerre, si le général parle pas français, on comprendra pas l’ordre de mobilisa­tion, et ça nous fera une bonne excuse pour arriver en ­retard au front.

Il n’y a plus besoin du français pour ­prétendre à des ­postes importants en Suisse alémanique. Honnêtement, il n’y a pas besoin de l’allemand pour faire carrière en Suisse romande non plus. L’exception c’est si tu vises un poste dans l’administration fédérale (sauf si tu t’appelles Guy Parmelin, visiblement. Lui on serait déjà heureux s’il maîtrisait au moins sa langue ­maternelle).

Certes, dans les offres d’emploi, c’est ­souvent marqué «allemand requis». C’est un mensonge. Tu peux tout à fait postuler sans l’allemand, comme le recruteur ne le parle pas non plus, il pourra pas vérifier.

C’est d’ailleurs un de nos points communs, des deux côtés de la Sarine, on déteste parler allemand. Souvent, pour communiquer avec un Suisse allemand, on opte pour l’anglais comme terrain neutre. Des Suisses qui doivent trouver un terrain neutre à l’aide d’une langue étrangère, avouez que c’est cocasse.

C’est peut-être pas idéal, mais le fait que vous maitrisiez pas toujours le français outre-Sarine nous donne des situations ­marrantes, comme l’immortel discours de ­Johann Schneider-Ammann à la journée des malades, ou le logo #TeamFDP (FDP est une ­contraction qui permet de préciser, en ­français, que la profession de la maman dudit nommé est la plus vieille du monde), deux gros autogoals de communication qui nous ­feront encore rire quelques années.

J’ai entendu un journaliste déplorer que les Zurichois ne connaissent pas du tout la Romandie et sont charmés quand ils viennent à Lausanne ou Genève pour la première fois. Justement, chut! Ne leur dites rien, c’est déjà assez compliqué de trouver un appartement comme ça.

Et si la Suisse se portait bien justement ­parce qu’on se tient à distance les uns des ­autres? Lorsque des amis belges m’interrogent sur les querelles entre les groupes linguistiques en Suisse, je réponds qu’on s’entend très bien, parce qu’on se voit jamais. Ça marche pas pour un couple, mais ça marche pour un pays. 4 langues, 4 régions, chaque langue dans sa région et le pays est tout calme. On peut pas se disputer avec quelqu’un qui n’est pas là.

Vous restez une ­curiosité pour nous, vous qui n’avez que le mot travail à la ­bouche, qui mettez de la compote de pommes et des ­patates dans tout, qui parlez une langue différente dans chaque canton et votez souvent le contraire de nous. Et nous Welsches, on vous fournit de façon fiable deux conseillers fédéraux, de temps en temps un médaillé olympique ou une Miss Suisse, et notre côté un peu fêtard et glandeur qui vous permet de vous sentir supérieur.

Pis parfois on sert à remplir une colonne du SonntagsBlick, qui à elle seule symbolise ce pays. J’ai dû l’écrire en français et l’envoyer 4 jours avant publication pour qu’elle soit traduite. 3 jours et demi pour trouver quelqu’un qui parle français, et 3h de traduction.

Chers voisins, je suis pas sûr que vous ayez besoin de nous. J’aimerais pas que vous vous en rendiez compte et qu’on se fasse exclure, on a pas envie de devenir le Liechtenstein.

Comme le disait Cyrano de Bergerac dans le célèbre roman d’Edmond Rostand: «C’est bien plus beau quand c’est inutile.»

Vous n’avez pas besoin de nous, et c’est bien pour ça qu’on est indispensables.

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