Gaspillage alimentaire
Pourquoi les Suisses n'aiment-ils pas les «doggy bags»?

De plus en plus de restaurants proposent aux clients d’emporter les restes. Cette pratique, devenue obligatoire en France, ne se développe que lentement en Suisse romande.
Publié: 17.11.2021 à 15:25 heures
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Dernière mise à jour: 19.11.2021 à 11:16 heures
Alessia Barbezat

Selon les statistiques de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), 2,8 millions de tonnes de nourriture ont été gaspillées en Suisse en 2019. Les principaux responsables? Les ménages (38%) et la filière de la transformation des denrées alimentaires (27%). La restauration arrive en troisième position (14%) avec des déchets alimentaires évitables générés par la préparation de quantités excessives ou pour des questions de préférence, c’est-à-dire les restes.

Le sac à emporter représente un des outils dans la lutte contre le gaspillage alimentaire – une préoccupation dans l’ère du temps. Apparu dans les années 40 aux Etats-Unis, le «doggy bag» (littéralement: sac à toutou) désignait le sachet dans lequel on emportait les restes de son repas du restaurant pour prétendument le servir à son chien. Depuis, il s’est depuis largement démocratisé outre-Atlantique et se fraie petit à petit un chemin en Europe. En France, les restaurateurs ont l’obligation depuis le 1er juillet 2021 de proposer un contenant recyclable ou réutilisable pour récupérer les restes de son repas en vertu de la loi agriculture et alimentation votée en 2018.

En Suisse, il n’existe pas d’obligation légale formulée à destination du monde de la restauration comme l’explique Barbara Pfenniger responsable Alimentation à la Fédération Romande des Consommateurs (FRC). «Le système de lutte contre le gaspillage alimentaire est basé sur des actions volontaires. Certains restaurants proposent donc d’emballer les restes du repas – un service apprécié par les consommateurs, d’autres non.»

Les Suisses encore réticents?

Chez Soï Canteen, restaurant qui sert de la street food thaï à partager, la pratique est encouragée. Sandrine Pally, propriétaire de l’établissement genevois, reconnaît néanmoins ne pas avoir été à l’origine de la démarche: «La demande est vraiment venue de la part des clients. Il y a quelques années, les personnes ressentaient une certaine gêne à l’idée de demander à emporter les restes mais j’ai le sentiment qu’aujourd’hui il devient «socialement» accepté de repartir avec son «doggy bag» à la main. Certains de nos clients commandent même davantage à midi pour pouvoir emporter des petits plats à réchauffer le soir à la maison.»

Chez Luigia, restaurants italiens à succès, implantés à Genève, Lausanne, Nyon, Fribourg et Sion, la possibilité de repartir avec les restes est systématiquement proposée par le service. «C’est la politique de la maison, explique Mario Talente, patron de l’établissement nyonnais. Nous n’aimons pas gaspiller et jeter la nourriture. La majorité de nos clients acceptent, certains sont encore réticents, c’est dommage.»

Aux Etats-Unis le «doggy bag» est extrêmement répandu et culturellement accepté, mais il peine à s’imposer en Suisse. Une réalité expliquée par deux facteurs selon Gilles Meystre, Président de Gastro Vaud, l’association vaudoise des cafetiers, restaurateurs et hôteliers. «Dans le passé, on se rendait au bistrot pour manger copieusement. Ce n’est plus vraiment le cas de nos jours. Les restaurateurs ont donc adapté l’offre en conséquence et réduit les portions. On préfère proposer un supplément plutôt qu’une gigantesque ration dont la moitié finira à la poubelle. Deuxièmement, il y a peut-être une retenue culturelle, du même ordre que celle qui veut qu’on ne parle pas de son salaire en Suisse. On craint de passer pour quelqu’un de pingre. Mais les choses bougent! Les consommateurs s’y font petit à petit et osent demander plus facilement leur sac à emporter.»

Au Café des Sources, bistrot de la place genevoise tenu par le chef cuisinier Eric Vouriot, on remarque une évolution des mentalités: «Il n’est pas très fréquent qu’on nous demande un «doggy bag» mais ça arrive. Nous y répondons toujours favorablement. La démarche pouvait encore choquer ou gêner le client il y a quelques années, mais elle entre peu à peu dans les mœurs.»

Une gêne dont s’est progressivement défaite Valérie Chammartin, genevoise de 36 ans. «Plus jeune, il m’arrivait de me forcer à finir mon assiette au restaurant, quitte à me rendre malade. Enfant, il m’était interdit de quitter la table si je n’avais pas terminé mon plat. Ce sont des principes éducatifs qui restent. Mais j’ai horreur du gaspillage, aujourd’hui, je n’hésite plus à demander un «doggy bag» dans les établissements que je fréquente. Peut-être que je n’oserais pas faire de même dans un établissement gastronomique.»

Pourtant, bien que très marginale, la pratique peut avoir cours aussi dans les maisons triplement étoilées comme le confirme Franck Giovannini, chef cuisinier à la tête de l’Hôtel de Ville, l’un des meilleurs restaurants du monde. «Il nous arrive d’emballer ce que le client n’a pas consommé. Cela se présente surtout lorsqu’il commande à la carte. Une poularde entière, par exemple. Il repart avec une cuisse à la maison. La demande est rare mais elle n’est pas nouvelle.»

Vers une obligation légale en Suisse?

Faut-il alors franchir une étape supplémentaire et créer une obligation légale comme l’ont fait nos voisins français? «Je ne suis pas certain qu’il y ait une nécessité absolue. Non pas que je réduise la question écologique à un détail. Au contraire. Mais si on souhaite lutter efficacement contre les déchets alimentaires, il faut se concentrer davantage sur les ménages. Statistiquement, ce sont eux qui produisent les plus grandes quantités de déchets» conclut Gilles Meystre, Président de Gastro Vaud.

(En collaboration avec Large Network)

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