Marco Odermatt se confie
Après son premier globe de cristal: «Le buzz m'inquiète un peu»

Marco Odermatt a remporté son premier globe de cristal samedi. Une 8e place lors de la course de dimanche lui permettrait de remporter le classement général de la Coupe du monde. Rencontre et confidences avec ce jeune prodige du ski.
Publié: 13.03.2022 à 11:29 heures
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Dernière mise à jour: 14.03.2022 à 10:19 heures
Marcel W. Perren à Kranjska Gora

Blick: Marco Odermatt, vous êtes désormais assuré de recevoir le petit globe de cristal du géant. Acceptez-vous déjà les félicitations pour le gros globe?
Marco Odermatt: J’accepterai les félicitations pour la victoire au classement général de la Coupe du monde dès que j’aurai 300 points d’avance sur Aleksander Kilde. Actuellement, j’en ai 269.

Lors de la finale de la Coupe du monde, Kilde a besoin, en plus de ses victoires en descente et en super-G, d’au moins une deuxième place en géant pour pouvoir encore vous rattraper mathématiquement. Et le Norvégien n’a pas encore disputé un seul géant cet hiver.
C’est vrai. Mais il a montré la saison dernière qu’il savait très bien skier en géant, notamment avec une quatrième place à Adelboden. Et celui qui termine quatrième peut tout aussi bien monter sur le podium.

Bon, alors parlons du globe de géant assuré. Où placez-vous ce trophée dans votre palmarès?
Du point de vue de la performance sportive, c’est certainement la plus grande chose que j’ai réalisée jusqu’à présent. Pourtant, il me manque actuellement les émotions liées à ce globe. Je ne peux pas vraiment exulter. C’est la preuve que je manque lentement mais sûrement d’énergie.

Marco Odermatt s'est emparé du petit globe de cristal en slalom géant.
Photo: Sven Thomann
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Physiquement, vous semblez encore très frais, même aux derniers instants de la saison.
Physiquement, je réalise effectivement une saison géniale, je n’ai presque jamais eu mal, mes genoux sont en parfait état. Mais je ressens une grande fatigue mentale. J’ai besoin de beaucoup plus d’énergie pour me concentrer dans le sprint final de la saison.

Honnêtement: avez-vous trouvé désinvolte le fait que Michelle Gisin ait donné des détails sur la fête arrosée qui a suivi votre victoire olympique lors d’interviews à Pékin?
Non, sur le moment je n’ai pas vraiment compris. Mais je me suis ensuite dit que cela n’avait pas vraiment d’importance. Quand on vient d’être champion olympique, il est peu probable qu'on m'en veuille de boire une bière. Je tiens néanmoins à le préciser: ma cérémonie de remise des médailles était loin d’être une «beuverie».

Comment s’est-elle déroulée?
Il n’y avait pas de restaurants publics dans le village olympique. Nous étions assis à quatre ou cinq dans la salle de séjour de notre équipe, à boire quelques bières et à écouter de la musique. Comme la chambre de Michelle jouxtait cette salle de séjour, elle a fini par s’asseoir avec nous pendant une demi-heure. Mais je ne pense pas qu’elle était fâchée parce que nous étions encore un peu plus bruyants à une heure avancée. Et ses déclarations par la suite n’étaient certainement pas malveillantes.

Vous n'avez pas arrêté de nous surprendre cet hiver. Dans quelle course vous êtes-vous surpris vous-même?
Ce qui me surprend, c’est la constance que j’arrive à maintenir à ce haut niveau. En particulier ma série du géant avec cinq victoires en sept courses. Mais ma plus grande surprise a été la semaine de Wengen, avec ma victoire en super-G et ma deuxième place en descente. On entend toujours dire que le Brüggli-S demande beaucoup d’expérience. Il y a des routiniers qui ont déjà maîtrisé ce passage 20 fois. C’est pourquoi je ne pensais pas pouvoir rivaliser la première fois.

Après le super-G de Kvitfjell, vous avez demandé publiquement pourquoi votre entraîneur, qui avait été tiré au sort pour tracer le parcours, n’avait pas intégré plus d’éléments techniques dans la course. Avez-vous reçu une réponse?
Non, j’ai quitté Kvitfjell immédiatement après le super-G pour prendre l’avion à Oslo. Je n’ai donc pas eu le temps de m’entretenir longuement avec les entraîneurs. Mais nous ne devons plus insister sur ce sujet maintenant. Kilde aurait probablement gagné sur un parcours plus difficile techniquement. Il est le meilleur coureur de super-G de la saison. Mais cela reste pour moi un peu du déjà-vu.

Pourquoi?
C’était un peu comme lors de la dernière finale de la Coupe du monde à Lenzerheide, où je me suis battu contre Alexis Pinturault pour le gros globe. A Kvitfjell aussi, nous, les Suisses, avions entre nos mains la possibilité de faire quelque chose pour que ce qui semblait impossible devienne peut-être possible. Et je suis d’avis que dans les deux cas, on n’a pas tiré le meilleur parti possible. En tout cas pas pour moi. Il ne faut pas oublier: pour Beat Feuz et Niels Hintermann à Kvitfjell, le tracé du super-G était parfaitement adapté. Beat a terminé cinquième et Niels, neuvième, a obtenu son meilleur résultat en carrière dans cette discipline. Mais justement, j’étais le seul Suisse à avoir encore une chance de remporter le globe du super-G. C’est pourquoi je me suis demandé pourquoi on n’avait pas davantage axé le parcours sur mes qualités.

À présent, il y a deux camps en Suisse dans le ski. La majorité trouve grandiose le fait que vous disiez clairement ce que vous pensez. D’autres vous qualifient de mauvais perdant.
Dans les interviews, j’ai dit très décemment et objectivement que le parcours n’était pas pour moi. Et je n’ai tiré à balles réelles sur personne. De plus, j’ai félicité Kilde de tout mon cœur.

Qu’est-ce qui a été le plus difficile pour vous cette saison: skier vite ou éviter d'attraper le Covid?
J'ai une certaine prise sur mes performances de ski mais aucune sur le Covid. Je dois l’admettre: le virus n’a longtemps pas été un sujet si important dans notre groupe. Nous n’y faisions pas trop attention. Cela a complètement changé quelques semaines avant les Jeux olympiques, lorsque tout le monde a compris qu’un test positif pouvait être synonyme d’élimination. Durant cette phase, je suis devenu un peu paranoïaque, j’avais l’impression que le danger se cachait à chaque coin de rue.

Est-il vrai que votre ami Gabriel Gwerder a quitté la colocation en janvier pour minimiser le risque de contamination?
Déménagé n’est pas tout à fait exact. Il a pris un congé sans solde auprès de son employeur et s’est rendu aux États-Unis pour assister à quelques matchs de NHL. Tout s’est très bien passé pendant cette période.

Dans cette colocation, vous payez un loyer de 450 francs. Après cette saison grandiose sur le plan financier, vous offrirez-vous les moyens de construire une belle maison?
J'ai des plans. Mais comme il faudra encore un peu de temps pour que tout soit bouclé, je quitterai la colocation au printemps et occuperai un logement provisoire dans le canton de Nidwald.

Ces dernières semaines, de parfaits inconnus ont sonné à la porte de la maison de vos parents pour voir où et comment la superstar Odermatt a grandi. Cela vous inquiète-t-il?
Oui, un peu. Au début, tout cette médiatisation s’est surtout concentrée sur ma personne. En tant que professionnel, je dois pouvoir gérer cela. Mais maintenant, je sens que cela pèse de plus en plus sur mon entourage. Je pense en particulier à mon papa qui, en plus de son métier principal d’ingénieur, consacre une grande partie de son temps libre au traitement du courrier de mes fans. C’est épuisant. Si quelqu’un souhaite un autographe et nous envoie une enveloppe affranchie et adressée, mon père peut le faire en dix secondes. Mais de nombreuses demandes nous parviennent sans enveloppe affranchie, sans adresse. De nombreux fans souhaitent, en plus d’une carte d’autographe, un dossard ou une tenue de course. J’aimerais bien envoyer un dossard à tout le monde, mais malheureusement je ne participe pas à plus de 30 courses par saison.

Y a-t-il eu des réactions qui vous ont particulièrement surpris après vos succès?
J’ai reçu de très belles réactions. Les félicitations de Carlo Janka étaient particulièrement amusantes.

C'est-à-dire?
Après mon titre olympique en géant, la SRF est passée en direct chez Carlo. Il a affirmé qu’il s’était réveillé à 3 heures du matin pour la première manche. J’ai exprimé en direct mes doutes quant au fait qu’un skieur à la retraite se réveille si tôt pour une première course. Après l’émission, Carlo m’a confirmé par SMS qu’il ne s’était levé que pour la deuxième manche.

Janka n’a pas seulement été le dernier Suisse à être champion olympique de géant avant vous, il a aussi été le dernier Suisse à remporter le classement général de la Coupe du monde. Qu’avez-vous appris de lui?
Le calme dont il a fait preuve, même dans les moments les plus stressants, est tout à fait remarquable. Mais je n’étais pas souvent en course avec Carlo. Il faisait partie du groupe de vitesse – moi, je faisais partie des techniciens. Nous n’avons probablement pas fait un seul entraînement ensemble. Et lors de ma première année en Coupe du monde, je n’ai pas vraiment osé discuter avec le doyen de l’équipe. Dernièrement, il a souvent été absent pour des raisons de santé. Pourtant, j’ai vécu des moments merveilleux avec lui. Cet homme, qui apparaît souvent très sec à la télévision, est en privé une personne extrêmement sympathique et pleine d’humour. Si je gagne le classement général de la Coupe du monde, j’appellerai probablement Carlo pour qu’il me donne quelques conseils sur la meilleure façon de gérer mon rôle premier du classement.

Janka vous a donné un conseil avant le géant olympique: un coureur ne devrait pas lire ce qu'il s'écrit sur lui dans les médias. Est-ce que vous l’avez fait?
Deux jours avant le géant, je n’ai vraiment plus rien lu. Mais au cours d’une semaine normale, je m’intéresse à tout ce qui est rapporté. Tant que les résultats sont bons, de toute façon. Comme dans le cas de l’article sur la bière de Gisin, il y a quelques commentaires de lecteurs, mais cela vous laisse de marbre après avoir remporté l’or olympique. J’imagine cependant que ces mêmes commentaires font beaucoup plus mal si les bonnes performances sportives ne suivent pas.

Dans quelle mesure la guerre en Ukraine vous préoccupe-t-elle?
Le soir, je m’informe le plus souvent en regardant l’émission «10 vor 10» (une émission suisse alémanique, ndlr). Ces images me semblent totalement surréalistes. J’ai l’impression de revenir à mes cours d’histoire à l’école primaire, où l’on nous montrait des vidéos de guerre. Je pensais alors que cela ne se reproduirait plus jamais en Europe. C’est pourquoi je trouve à la fois choquant et surréaliste que cette guerre soit maintenant un fait. Et je me sens impuissant, je ne pense pas que je puisse faire quelque chose de positif pour les Ukrainiens avec un post Instagram. Mais je soutiens bien entendu toute idée politique visant à aider ces gens.

Simon Ammann s’est exprimé contre la fédération russe de saut à skis. Comprenez-vous que les sportifs russes soient exclus de presque tous les grands événements sportifs?

Non, au début, je n’arrivais pas à comprendre. Après tout, les athlètes russes, comme le spécialiste du slalom Alexander Choroschilov, ne sont absolument pas responsables des décisions brutales de Poutine. J’ai dit à notre entraîneur principal Tom Stauffer que je trouvais cette exclusion injuste. Il m’a ensuite expliqué que les fédérations de ski avaient pris la même décision afin de protéger les athlètes des autres nations. Il se pourrait en effet que des attentats soient soudainement perpétrés lors d’une course de Coupe du monde à laquelle participe la Russie. Depuis, je ne peux certes pas encore comprendre cette exclusion à 100%, mais je saisis mieux sa portée.

(Adaptation par Lliana Doudot)

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