Mircea Lucescu, coach de légende
«Sans la pandémie, j'aurais entraîné le FC Sion»

L'entraîneur roumain (75 ans) a mené toutes ses équipes à la victoire, ou presque. Il fait désormais briller le Dynamo Kiev, club avec lequel il se prépare cet été en Suisse romande. Une région où il aurait pu travailler sur le plus long terme.
Publié: 08.07.2021 à 19:01 heures
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Dernière mise à jour: 04.05.2022 à 09:45 heures
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Ugo CurtyJournaliste Blick

L’armoire à trophées de Mircea Lucescu doit déborder. L’entraîneur a la fâcheuse tendance d’empiler les titres comme des perles sur un collier. Le Roumain a largement dépassé l’âge de la retraite (75 ans) mais il est toujours dans le coup. La saison dernière, le technicien a remis le Dynamo Kiev au sommet du football ukrainien, après avoir transformé le rival du Chakhtar Donetsk en grand d’Europe.

Comme chaque été ou presque, Mircea Lucescu est présent dans la région pour préparer la saison. Kiev a concédé le nul contre Lausanne (1-1) et Lucerne (3-3) dans le cadre de la Coupe des Alpes. Jeudi soir, les champions d’Ukraine défient Bâle à Vevey (19h), avant d’enchaîner avec Servette (samedi) et Sion (mercredi). 500 spectateurs sont autorisés en tribunes pour ces rencontres amicales organisées par Matchworld.

L’entraîneur apparaît dans le lobby du Grand Hôtel de Divonne le teint hâlé, vêtu d’un polo couleur saumon et d’un short blanc. On pourrait le prendre pour un (riche) touriste en goguette dans la cité thermale de France voisine. Mais l’homme est une sommité du football. Il avait défié Pelé à la Coupe du monde 1970 avec la sélection roumaine dont il était le capitaine. On pourrait écouter ce polyglotte parler de son sport pendant des heures, dans un excellent français qu’il a «appris à l’école».

Mircea Lucescu a tout vécu, ou presque, dans le football.
Photo: Keystone

Mircea Lucescu, vous préparez vos joueurs chaque été dans la région. Est-ce que ce ne serait pas plus simple pour vous d’y acheter une maison?

Je ne l’ai pas encore fait mais je devrais y penser en effet (rires). Avec toutes mes équipes où presque, je suis venu m’entraîner en Suisse. Le climat est extraordinaire. Les installations et les hôtels sont très confortables. Il y a tout pour bien faire.

Vous jouez contre Sion mercredi prochain.

On joue avant contre Servette le samedi 10 juillet.

Mais vous savez pourquoi je vous parle de Sion.

Oui bien sûr (rires), mais la pandémie a changé tous nos plans.

Son téléphone sonne pour la deuxième fois: «C’est ma femme il faut que je réponde». Visiblement, Neli Lucescu lui passe un savon. Mircea promet de la rappeler après l’interview, puis raccroche un peu emprunté.

Les premiers contacts entre vous et le FC Sion sont plus vieux que la pandémie. On parlait de vous en Valais en décembre 2019 déjà.

C’est vrai que j’apprécie beaucoup le président Constantin. Nous avions été en contact mais cela ne s’est pas fait. Ensuite, nous avons reparlé au printemps. À cause du Covid, le championnat a été interrompu et tout était en suspens. Constantin voulait que je vienne pour le début la saison 2020-2021. Il m’a appelé en me disant que je devais être à Sion quatre jours plus tard. C’était impossible de voyager aussi rapidement vu le contexte sanitaire. Alors, on a renoncé mais nous sommes restés en bons termes.

Sans le Covid…

…sans le Covid, j’aurais entraîné le FC Sion. Cela aurait été un beau défi de faire progresser le groupe, de l’améliorer sur la durée.

Constantin n’est pas connu pour avoir de la patience.

Ce n’est pas un problème pour moi. On dit qu’il est volcanique mais cela aurait aussi été mon rôle de réussir à le calmer, grâce à mon travail et mes résultats. C’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup. Nous sommes restés amis. La preuve? On joue l’un contre l’autre mercredi.

Il va peut-être tenter encore une fois de vous faire signer?

(rires) Non je crois que cette fois c’est fini.

Même si vous avez encore du succès, vous aurez 76 ans à la fin du mois, vous songez à la retraite?

Non, je m’arrêterai quand je n’aurai plus d’ambition, de motivation et d’enthousiasme. Bien sûr, il faut que la santé suive aussi. Tant que tous ces éléments seront réunis, je continuerai à entraîner.

Nous vivons dans un monde connecté, toujours plus rapide. Vous pourriez être le grand-père de vos joueurs. Est-ce que vous avez parfois l’impression de ne plus être dans le coup?

Les générations passent mais le football reste le même. Il faut s’adapter sur certains aspects, comme la préparation et l’analyse des performances, mais l’essentiel reste le jeu et l’éducation.

Pour vous, c’est aussi important de former le joueur que l’homme?

L’éducation, c’est la priorité à mes yeux. C’est la seule chose qui permet de s’affranchir des résultats. Un bon joueur est un joueur intelligent. Mais leur connaissance du monde qui les entoure ne doit pas s’arrêter au terrain.

Concrètement, comment est-ce que vous formez vos joueurs?

Le football s’apprend, comme n’importe quel métier. Je donne donc des leçons, qui parfois pourraient être considérées comme des leçons de philosophie. Je ne parle pas que de football. Qu’est-ce que le football si ce n’est un condensé de la vie en 90 minutes? Les joueurs doivent comprendre que toutes les actions qu’ils font dans leur vie construisent les citoyens qu’ils sont. Leurs performances sportives, les défaites et les victoires ne les définissent pas en tant que personnes. Ils sont bien plus que ça. Il ne faut pas oublier qu’une carrière ne dure que quelques années. Si tout va bien, leur vie d’homme sera ensuite bien plus longue.

En Suisse, un entraîneur comme Lucien Favre suit aussi de très près ses joueurs pour les faire progresser individuellement. Vous vous retrouvez en lui?

Vu mon âge, c’est plutôt lui qui doit se retrouver en moi (rires). Cela fait 50 ans que je suis dans le football. Mais bien sûr, les entraîneurs qui ont une philosophie forte, une ligne qui dicte leur carrière, sont ceux qui durent. Ferguson à Manchester, Wenger à Arsenal, Guardiola, Favre, et tant d’autres. Ce sont tous des grands noms qui ont réussi à fédérer une équipe autour de leur vision.

Ces valeurs humanistes, cette patience vis-à-vis des résultats, ont-ils encore leur place dans le football en 2021?

Oui, à condition de réussir à convaincre par sa méthode. Dans un vestiaire, tes arguments doivent être béton pour mettre les joueurs d’accord. La communication est primordiale. Il faut aussi savoir écouter et s’adapter à leur ressenti. Mais au final, je reste l’entraîneur, la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres.

On dit que la nouvelle génération a besoin de tout comprendre, de savoir pourquoi avant de suivre un plan. C’est quelque chose que vous observez aussi?

C’est vrai. On a besoin de plus expliquer nos choix qu’il y a 30 ans. Avec internet, les joueurs ont accès à une source de savoir énorme. Ils peuvent se confronter à d’autres idées, arrivent plus à penser et réfléchir par eux-mêmes. C’était moins le cas pour les générations qui sont nées avant internet.

Ça vous plaît de faire face à une plus grande «résistance»?

Oui, c’est un défi que j’aime relever. J’essaie de me mettre à jour, de garder des idées contemporaines et modernes. C’est crucial pour réussir à leur apporter quelque chose au-delà du choc générationnel. Ça me passionne parce que cela me permet de casser la routine.

Vous avez quel regard sur la technologie et la présence de vos joueurs en ligne?

Je trouve que c’est très bien. Je ne veux surtout pas leur interdire cela. C’est très positif qu’il développe leur imagination, leurs connaissances. Ils doivent juste faire attention à ne pas s’y perdre.

Je ne vous ai pas trouvé sur Instagram.

(rires) Non, je n’ai pas de comptes sur les réseaux sociaux. J’ai peur d’y perdre trop de temps. J’ai juste un smartphone pour appeler ma femme.

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