Ex-star de la Nati et entraîneur d'Aarau
«J'aimerais ouvrir une fromagerie», raconte Alexander Frei, légende du football suisse

Son équipe actuelle Aarau, affronte en Coupe son ancien club Winthertour. L'occasion parfaite de poser toutes nos questions au coach. Son record de buts en équipe de Suisse? Son avis sur la querelle entre Granit Xhaka et Murat Yakin? Alex Frei répond sans faux-semblant.
Publié: 17.09.2023 à 16:47 heures
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Dernière mise à jour: 17.09.2023 à 17:20 heures
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Sebastian Wendel

Au milieu de l'interview, on entend soudain: «Alexandre le Grand!» C'est la voix de Petar Aleksandrov, qui a mené le FC Aarau au titre de champion, il y a 30 ans. Il est aujourd'hui coach assistant dans ce même club. Alex Frei lui répond avec une pique bien sentie. Et les deux rient de bon cœur. C'est évident: le détenteur du record de buts avec la Nati, ancienne star de Dortmund et de Rennes, est arrivé dans le bucolique stade du Brügglifeld, en Argovie.

Alex Frei, vous avez transformé des juniors en professionnels à Wil, vous êtes monté en Super League avec le FC Winterthour et vous avez été viré du FC Bâle après huit mois. Êtes-vous un bon entraîneur?
Alexander Frei: Je ne veux pas me juger comme «bon» ou «mauvais». Mais je réfléchis toujours à ce que je fais et à ce que je ne ferai plus. Je connais mes points forts et mes points faibles.

Qu'est-ce qui caractérise un bon entraîneur?
Le public nous mesure à l'aune des résultats et des titres. Mais beaucoup de coachs passent sous le radar parce qu'ils n'ont pas remporté des tonnes de trophées. Roberto De Zerbi à Brighton, je le trouve très intéressant depuis des années. Et pourtant personne ne le connait encore vraiment. Marcelo Bielsa est à mes yeux un entraîneur de génie. Vous êtes un bon entraîneur quand la majorité de vos joueurs parlent de vous de manière positive.

Alex Frei au stade Brügglifeld d'Aarau, son nouveau lieu de travail depuis cet été.
Photo: Sven Thomann
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Aujourd'hui, regrettez-vous d'avoir quitté le FC Winterthour pour le FC Bâle, après la promotion en Super League il y a un an?
Non.

Pour moi, ce serait toujours vous, le coach de Winthertour, à l'heure actuelle. Au lieu de cela, vous avez dû quitter les requins du FCB après huit petits mois.
Mon sentiment, c'est que le moment était bien choisi pour ce changement.

En d'autres termes, Alex Frei peut-il dire non à l'appel du FC Bâle?
Un jour ou l'autre, tout le monde tire ses leçons. Pour moi, la question ne se pose pas du tout actuellement, car je suis très heureux, ici à Aarau.

Y aura-t-il un nouveau retour à Bâle?
Aujourd'hui ou demain, certainement pas.

Pourquoi n'étiez-vous pas au match d'adieu de Valentin Stocker, il y a une semaine?
Parce que j'avais déjà réservé un week-end avec ma femme, bien avant l'invitation. J'ai eu des contacts avec «Vali», il va de soi que je serais venu pour lui.

Donc ce n'est pas parce que vous y auriez rencontré le président David Degen et votre remplaçant Heiko Vogel?
Là, on parle de Valentin Stocker.

Patrick Rahmen, aujourd'hui au FC Winterthour, a déjà entraîné le FC Aarau. Il a déclaré en 2018, lors de son entrée en fonction: «Aarau est un ours en hibernation. Il doit y avoir une période glaciaire au Brügglifeld.» Pourquoi l'ours ne se réveille-t-il plus?
Patrick a raison dans la mesure où le FC Aarau a un grand potentiel, mais ne peut pas l'exploiter, à la fois pour des raisons explicables et inexplicables. Le club a besoin d'un nouveau stade. Pas d'un temple qui accueillera des matches de Ligue des champions dans huit ans, mais d'une petite arène coquette qui permettrait de faire d'une bonne situation, une très bonne situation.

Rahmen, Keller, mais aussi Jurendic ou Schällibaum: de nombreux entraîneurs ont essayé, mais aucun n'a réussi à mener le FC Aarau en Super League. Le problème est-il ailleurs?
Ces dernières années, le club a vécu des moments difficiles à gérer, avec des montées ratées de justesse. Il ne faut pas sous-estimer cet aspect. La montée est l'étape la plus difficile, dix fois plus que de rester au top.

Après l'humiliant 0-2 contre le Stade Nyonnais, il y a deux semaines, vous avez annoncé que vous alliez redistribuer les cartes. Les joueurs ont-ils appris à connaître le «méchant» Alex Frei?
J'ai toujours eu du mal lorsque les entraîneurs se courbent. Et désormais, j'essaie toujours d'être authentique. Jusqu'à présent, ce sont plus ou moins toujours les mêmes onze joueurs qui ont commencé les matchs. Et je continue à croire en tous mes joueurs. Mais après sept points en six matches, nous ne pouvons pas simplement nous dire: «ça va venir.» D'autres joueurs se sont entraînés tout aussi bien, voire mieux, et auront désormais la priorité.

Vos ex-entraîneurs Ottmar Hitzfeld et Jürgen Klopp, avec lesquels vous êtes régulièrement en contact, vous ont-ils conseillé d'oser rejoindre le FC Aarau en Challenge League?
Ottmar a été l'un des premiers à me féliciter par SMS, après notre première victoire. L'échange avec Ottmar est incroyablement instructif. Sa façon de gérer un groupe traverse les époques et est encore d'actualité. Personne ne peut me contredire.

Mieux vaut le calme de la Challenge que l'agitation de la Super League?
En tant qu'entraîneur, je ne suis plus en quête de reconnaissance. Je suis venu à Aarau parce que le feeling était bon. Parce que le projet m'attirait. En tant que joueur, c'était différent.

Un joueur s'est-il déjà plaint d'un manque d'intensité de vos entraînements?
Non. Seulement d'une trop haute intensité (rires).

Vos réflexions sur la critique de Granit Xhaka après le 2-2 de la Nati au Kosovo?
Granit, en tant que capitaine, avec 116 matches internationaux sur le dos, peut dire ce qu'il pense. Même s'il sait certainement ce qu'il déclenche avec de telles déclarations ciblées. Je ne connais pas le contexte, donc je ne juge pas s'il a raison ou s'il a tort.

S'il avait émis cette critique seulement en interne, il n'y aurait pas eu de remue-ménage.
Ça aurait été bénéfique. Je connais Granit depuis longtemps. A 18 ans, c'était déjà un leader. Aujourd'hui, les médias ont besoin de gros titres pour obtenir beaucoup de clics. Mais il ne faut pas non plus en faire tout un plat. Je les connais tous les deux, Murat et Granit ont mis les choses au clair en privé.

Une paix temporaire... jusqu'au prochain incident?
Je ne crois pas. Tous deux ont la gagne. L'approche est peut-être différente.

C'est-à-dire?
Murat a cette qualité admirable de ne jamais perdre son calme. Et quand il le perd, personne ne le remarque. Cela me fascinait déjà chez lui en tant que joueur. Même si, durant sa carrière, il aurait pu faire mieux. En fin de compte, il est satisfait de la manière dont les choses se sont déroulées. Granit montre son ambition et sa fierté d'une autre manière que «Muri».

Murat Yakin vous a placé sur l'aile gauche en 2012. S'agissait-il d'une lutte de pouvoir entre lui, le nouvel entraîneur du FC Bâle, et vous, la légende du club?
Sur le moment, je n'ai pas compris et je n'ai pas trouvé cela particulièrement cool. Mais avec un peu de recul, il m'a expliqué ses motivations. Il m'a rappelé que j'avais déjà joué sur l'aile gauche à Servette, mais j'avais dix ans de moins et j'étais dix fois plus rapide.

Quelle relation entretenez-vous avec Murat Yakin aujourd'hui?
Il sait ce que je pense de lui en tant qu'entraîneur, et en tant qu'homme. En privé, nous avons une relation exceptionnelle, marquée par le plus grand respect. Quand on dispute autant de matchs internationaux ensemble, cela nous lie à jamais. J'ai toujours été proche de Murat comme de Hakan Yakin en équipe nationale. Il n'y aura jamais de problème relationnel.

En tant que joueur de la Nati, auriez-vous osé critiquer publiquement Hitzfeld ou Köbi Kuhn? Ou bien votre respect pour les deux hommes vous l'a interdit?
C'était une question de proximité. Köbi était déjà l'entraîneur de six à huit joueurs en M21. Nous l'aimions énormément. S'il nous avait demandé de faire un jogging de Bâle à Zurich aller-retour, nous l'aurions fait. Aucun autre entraîneur n'a jamais été aussi proche de moi, sur le plan humain. Avec Ottmar, la situation ne s'est jamais présentée. Parce j'ai régulièrement été mis au courant de ses plans, avec les autres joueurs cadres, en tant que capitaine. Comment cela se passe-t-il aujourd'hui? Je ne sais pas, je suis à des kilomètres de la vie interne de la Nati.

Le style de direction de Köbi Kuhn fonctionnerait-il encore aujourd'hui?
Sa grande force, c'était de rassembler 95% des joueurs derrière lui. Deux heures passées avec Köbi Kuhn étaient plus instructives que n'importe quel cours de management. Concernant votre question: la nouvelle génération de joueurs est exigeante et a besoin d'être stimulée en permanence. De mon temps, en équipe nationale, personne ne s'entrainait en club sous la houlette d'un Pep Guardiola, d'un Jürgen Klopp ou d'un Thomas Tuchel. Mais la question est inutile, c'est simplement différent aujourd'hui et à l'époque. Köbi Kuhn fonctionnait à merveille.

Vous êtes-vous déjà rendu sur la tombe de Köbi Kuhn?
Non. J'étais à son enterrement. Et j'ai eu l'honneur de lui rendre visite à l'hôpital durant ses derniers jours. Par respect pour lui, je garde pour moi le contenu de cette conversation.

Vos 42 buts en sélection sont-ils un record pour l'éternité?
Xherdan Shaqiri en a 14 de moins, il a sa chance (rires). Mais ce n'est pas un avant-centre et il aura bientôt 32 ans. Un âge où le corps rend, lentement mais sûrement, les armes. Sinon, je ne sais pas qui d'autres. Mais un jour ou l'autre, moi aussi je serai remplacé.

C'est fou que douze ans après votre retraite, personne ne se soit encore approché. Bien que la génération actuelle soit considérée comme la meilleure Nati de l'histoire.
Il y a plusieurs raisons à cela. Ce n'est pas un hasard si, humainement, c'est avec les gardiens que je me suis souvent le mieux entendu. Comme pour être avant-centre, il faut un brin de folie. Et les deux postes se situent à mi-chemin entre l'homme à abattre et le super-héros. De plus, nous commettons de nombreuses erreurs dans la formation des joueurs. Et la plupart des entraîneurs, moi y compris, ne jouent qu'avec un seul attaquant. Enfin, en Super League, le poste de neuf est généralement occupé par des étrangers.

Qu'entendez-vous par ces «erreurs» dans la formation des joueurs?
La recherche des causes doit remonter beaucoup plus loin, à l'enfance. En plus du football, j'ai beaucoup joué au Rink Hockey (hockey sur patins à roulettes, NDLR) quand j'étais petit. Et j'y ai aussi marqué beaucoup de buts. La polysportivité n'est plus assez encouragée. Aujourd'hui, à douze ans, on doit aller au centre de performance et on a l'impression d'avoir huit entraînements par semaine. Pas étonnant que de nombreux talents en aient marre du football à 16 ans. Il n'est pas pertinent de s'entraîner huit fois par semaine à douze ans. Moins il y a de football, plus il y a de temps pour prendre une raquette de tennis en main ou grimper à un arbre. Et pour en tirer quelque chose! A l'époque où je jouais dans l'équipe nationale, 18 joueurs avaient fait un apprentissage. Ils sont malgré tout devenus internationaux. Mes parents ne m'auraient pas permis de miser sur le football sans faire un apprentissage. Je leur en suis reconnaissant, car cela m'a permis d'élargir mes horizons.

Avez-vous transmis vos gènes de buteur à votre fils?
Il prend beaucoup de plaisir à jouer au foot et se réjouit de chaque tournoi avec le FC Biel-Benken. Du côté du caractère, il tient plutôt de ma femme. Ma fille fait de l'équitation et de l'athlétisme et est un petit peu plus ambitieuse.

Changement de sujet: Dortmund a mis environ 4 millions d'euros sur la table pour vous en 2006. Vous veniez de marquer 52 buts en 117 matches avec le Stade rennais. Combien vaudriez-vous aujourd'hui?
Pfiou, je ne sais pas (rires). C'est drôle, j'en parlais justement récemment avec Petar Aleksandrov. Tous deux, nous avions des statistiques tout à fait correctes, à un pas des Lewandowski, Messi, Ronaldo ou Haaland. Nous aurions certainement plus de valeur aujourd'hui qu'à l'époque. Mais je n'ai aucun ressentiment, je ne regrette rien.

Vous avez vous-même déjà été directeur sportif (entre 2013 et 2014 à Lucerne). Quelle somme seriez-vous prêt à payer pour vous offrir un Alex Frei de Dortmund au top de sa forme?
Aucun club suisse ne pouvait, ni ne pourrait aujourd'hui, payer le vrai prix. Sans la souplesse d'Hans-Joachim Watzke (le président de Dortmund, NDLR), le transfert au FCB n'aurait pas été possible.

Racontez!
J'ai toujours eu de bonnes relations avec mes présidents. Généralement meilleures qu'avec mes directeurs sportifs. Cela m'a aidé. Avant mon départ pour Dortmund, j'ai appelé le propriétaire de Rennes, Monsieur Pinault, qui est le deuxième homme le plus riche de France. Il m'a dit: «Dites-moi combien Dortmund veut payer pour le transfert. Vous y serez en 24 heures.» Pourtant, le directeur sportif en voulait cinq fois cette somme. Il en a été de même lors du transfert du BVB à Bâle. Michael Zorc (à l'époque directeur sportif du BVB, NDLR) n'était pas prêt à discuter pour moins de neuf millions. Aki Watzke a alors voulu savoir ce que Bâle pouvait payer. Bernhard Heusler a fait ce qu'il y avait à faire – et une fois de plus, j'ai rejoint le FCB en 24 heures.

Combien le FC Bâle a-t-il versé pour vous obtenir?
À ma connaissance: 6,5 à 6,7 millions de francs suisses.

Pour finir... dans dix ans, serez-vous toujours dans le monde du football?
C'est une très bonne question. J'en discute régulièrement avec mes proches. En 2023, il n'y a presque pas encore eu de moment où je me suis interrogé sur le sens de ce que je fais. Si ce sentiment devait se manifester, je n'hésiterais pas à tirer un trait sur ma carrière. En sachant que tout le monde ne peut pas se le permettre et que je suis un privilégié. Au fond de moi sommeille l'idée de me prouver que je suis capable de faire autre chose que du football.

Par exemple?
J'aimerais ouvrir une fromagerie.

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