Star de la Coupe du monde 1990
Au royaume de la légende camerounaise Roger Milla

Roger Milla est l'un des plus célèbres footballeurs d'Afrique. On s'adresse à lui en tant que «Votre Excellence», mais il reste très accessible. Une visite étonnante dans la capitale Yaoundé.
Publié: 24.11.2022 à 06:13 heures
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Dernière mise à jour: 24.11.2022 à 14:07 heures
Blick a rendu visite à la légende du football africain Roger Milla à Yaoundé, la capitale du Cameroun.
Photo: TOTO MARTI
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Toto Marti et Alain Kunz

La circulation dans la capitale camerounaise est complètement chaotique. On y roule du mieux qu’on peut. Sur la route ou à côté, peu importe. Les policiers ne sont que des éléments de décor. Il n’y a pas une voiture qui ne soit pas cabossée. Rester une heure dans cet enchevêtrement suffocant de véhicules sans y voir un crash est mission impossible.

Roger Milla joue les agents de la circulation

La situation s’empire aux carrefours. Tout le monde veut passer en même temps. Même la plus célèbre personne du Cameroun doit se débrouiller seule. La scène est à peine croyable: Roger Milla sort de sa voiture, bouscule le policier, régule la circulation et reste au milieu du carrefour jusqu’à ce que le cortège soit passé. Puis, il remonte en voiture en maugréant.

Roger Milla n’a pas décroché du football. Même si depuis 25 ans, il est «ambassadeur itinérant» de son pays. La star du Mondial 1990 est un ambassadeur particulier élevé au rang de ministre, en lien direct avec le président de la République. Les autres ministres du gouvernement s'inclinent devant l'ancien attaquant. Tous s’adressent à lui en l’appelant «Votre Excellence». «J’essaie de donner une image positive de mon pays dans le monde», résume-t-il simplement.

Sa maison située au centre-ville est spacieuse, même si son architecture ne laisse pas unanime. Pas de gazon pour jouer au football, uniquement du gravier. L’armada de domestiques et/ou d’amis de la maisonnée est tout aussi impressionnante: agents de sécurité, jardiniers, chauffeurs, nounous, cuisinières etc...

A la fois palais royal et musée

A l’intérieur, les pièces se situent à mi-chemin entre un palais royal et un musée. Avec Roger Milla comme objet d’exposition principal. «Je n’ai pas besoin de plus pour être un homme heureux», soutient le septuagénaire. «J’ai une femme charmante, des enfants, des amis. Et à soixante-dix ans, je marque encore des buts», souffle-t-il en souriant malicieusement. Lors du match de gala de son 70e anniversaire en mai, il s’était en effet offert un but. Match officieux pourrions-nous dire, mais ce n’est pas l’avis du principal intéressé. «Officieux? Le match était retransmis à la télévision. C’était très officiel! Mais, c’était mon tout dernier. Je raccroche maintenant les chaussures de foot.» L’homme tient parole. Lors de la séance photo, on ne peut même pas le convaincre de jongler…

Sa vie n’a pas toujours été aussi douce. Lorsque sa première femme, Evelyne, meurt en 2004 dans un terrible accident de la circulation à Yaoundé, son existence prend une nouvelle direction. «Je ne savais pas comment m’en remettre, dit-il. J’ai créé une fondation pour les victimes de la route. Au bout de quelques mois, j’ai réalisé que cela n’avait pas de sens, car le nombre d’accidentés était trop élevé.» Mais la fondation existe encore.

De multiples combats

Entre-temps, il y en a eu d’autres. L'une d'elles finance une académie de football, une autre fournit de l’eau courante aux écoles. Roger Milla a également fait venir des médecins français pour opérer gratuitement 450 enfants d’Afrique centrale souffrant d’un bec-de-lièvre. Il se soucie aussi de l’environnement en demandant à des jeunes de récupérer des bouteilles en plastique dans les égouts pour les transformer en pavés. «Ceux de mon allée sont aussi en plastique», dit fièrement la légende camerounaise.

Il sera présent au Qatar. Bien sûr, sur invitation de la FIFA. Il se déplacera avec sa deuxième femme, Astrid Stéphanie Ondobo, que tout le monde ici appelle respectueusement Madame Stéphanie. «Le Cameroun joue à la Coupe du monde. Je dois donc être sur place aussi». Il n’aime pas trop les discussions politiques. «Ce sont des choses que l’on aurait dû regarder avant de donner la Coupe du monde à ce pays. Maintenant, il faut laisser les Qataris organiser la Coupe du monde et voir comment ils s’y prennent».

Le conseil à Eric Maxim Choupo-Moting

Roger Milla est entré dans la légende lorsqu’il a mené le Cameroun en quarts de finale de la Coupe du monde 1990. A 38 ans, il inscrit quatre buts. C’était la première fois qu’une équipe africaine allait aussi loin dans la compétition. Et l’équipe de 2022, future adversaire de la Suisse au Qatar? A-t-elle la qualité pour égaler les héros de 1990? Le président de la fédération, Samuel Eto’o, estime en tout cas que son pays décrochera le titre… «Nous sommes en train de mettre sur pied une équipe compétitive. Et je pense que les choses se passent bien. Il y a de la qualité». Eric Maxim Choupo-Moting? «Par exemple. Il a eu des problèmes de blessure, mais il est maintenant à fond et c’est actuellement le meilleur joueur du Bayern Munich. Seulement, il ne joue pas chez les Lions indomptables comme il le fait au Bayern. Je lui ai dit: Eric, tu dois aussi jouer ici comme Lewandowski. C’est simple. Alors, tu seras fort. J’espère qu’il m’écoutera».

Le septuagénaire ne connaît pas particulièrement bien l’équipe suisse. «Granit Xhaka, oui. Ce qu’il fait avec Arsenal: chapeau. La Suisse a éliminé la France à l'Euro avec un très grand jeu et beaucoup de qualités. Mais ce sera aussi très difficile pour la Suisse. Ne serait-ce que contre le Cameroun. Pour passer, il faudra battre le Brésil et la Serbie. Nous serons certainement la plus petite équipe de ce groupe. Et il faut espérer battre des grands, comme l’Argentine, la Colombie et la Roumanie en 1990.»

Les relations de Roger Milla avec la Suisse

Le Camerounais a des relations étroites avec la Suisse. «Ma belle-mère, mes belles–sœurs et mon beau-frère vivent en Suisse romande. Et ma femme a vécu à Neuchâtel.» Cette dernière apporte de temps en temps une fondue à Yaoundé. «Mais je n’ai encore jamais essayé.» Le fils aîné de Roger Milla vit lui aussi en Suisse et a travaillé pendant des années pour la FIFA. «Sepp Blatter l’a engagé autrefois. Maintenant, il a démissionné. Peut-être que Gianni Infantino ne voulait plus de lui, je ne sais pas.» Le demi-frère de ce dernier vient de signer au Celta Vigo. «Il a beaucoup de talent», dit Roger Milla. «J’espère qu’il réussira et qu’il sera meilleur que moi. Mais il devra alors travailler dur. Si tu ne le fais pas, Dieu transmettra ton talent à quelqu’un d’autre.»

Roger Milla est devenu célèbre dans le monde entier pour ses buts, mais aussi pour sa danse iconique devant le drapeau de corner. Aujourd’hui, les grands joueurs étudient minutieusement leurs célébrations de but. Comment était-ce à l’époque? «C’était totalement spontané! Je n’avais rien répété. Je ne savais même pas que je ferai partie de cette équipe, que j’entrerai en jeu et que je marquerai un but. Dieu m’a donc envoyé en direction du drapeau du corner pour danser et dire merci à tous ceux qui m’avaient soutenu.» Il a été dit que cette danse s’appelle le Makossa. «Foutaises, s’emporte Roger Milla. Le Makossa, c'est la danse de Douala. Mais ça, c’est la danse de Roger Milla».

Un quarantenaire à nouveau buteur en Coupe du monde?

Mais le Camerounais est surtout devenu immortel grâce à ses records de longévité. Il a d’abord établi celui du joueur le plus âgé lors d’une phase finale. A 42 ans, lors de la Coupe du monde 1994 aux Etats-Unis. Mais ce record a fini par tomber. D’abord aux mains du gardien colombien Faryd Mondragon en 2014, puis dans celles de l’ancien gardien du FC Sion, Essam El-Hadary. L’Egyptien était âgé de 45 ans lors de la Coupe du monde 2018 en Russie. «C’était du folklore! Ils n’ont utilisé ces gardiens que pour établir un record. Je reste le joueur de champ le plus âgé. C’est ce qui compte.» Mais il a établi une autre marque de référence qui risque d’être très dur à battre. En marquant le but de l’honneur en 1994 lors du match contre la Russie (1-6), il est devenu le plus vieux buteur de l’histoire de la Coupe du monde: 42 ans.

Quel est le secret de sa longévité? «Alors d’abord, je ne suis arrivé en France qu’à 25 ans. C’est un âge auquel d’autres s’arrêtent. Si j’étais arrivé en Europe à 17 ans, j’aurais eu du mal à battre ces records. Deuxièmement, ma vie a été exempte de scandales et d’excès. Je vis très sainement.» Comme pour le prouver, il engloutit un poisson entier au dîner. Le vin, il s'en contente de le servir aux convives, il n’en boit même pas un petit verre.


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