Vincent Veillon

Humour ou blasphème?
Les croyants crucifient une série de la RTS

Depuis quelques mois, la RTS diffuse sa série «La Vie de J.-C.». La parodie imaginée par Zep est pourtant loin de faire l'unanimité, surtout auprès des croyants, qui hurlent au blasphème.
Publié: 27.11.2021 à 06:00 heures
|
Dernière mise à jour: 27.11.2021 à 09:10 heures
3 - Valentina San Martin - Journaliste Blick.jpeg
Valentina San MartinJournaliste Blick

«Caricature du Christ et de ses apôtres d’une vulgarité et d’une veine qui n’ont d’égales que les tristement célèbres caricatures de Mahomet»; «Débiles et blessantes atteintes à la foi sur nos écrans»; «Représentation de nature blasphématoire». Voici un échantillon de texte publié dans le courrier des lecteurs de la «Tribune de Genève» le 14 novembre. Son auteur: Alfred Dufour, Professeur honoraire de l’Université de Genève.

Loin de ne faire rager qu’un intellectuel parmi tant d’autres, la série de la RTS «La Vie de J.-C.» a fait scandale auprès de certains membres de Civitas, un parti catholique traditionaliste fondé il y a une poignée de mois en Suisse. Une trentaine de personnes s’étaient réunies fin octobre sur la plaine de Plainpalais à Genève pour manifester contre sa diffusion, rapportait le quotidien «24 Heures». Pancartes au menu: «On ne se moque pas de Dieu!»; «Tu ne prononceras le nom de Dieu qu’avec respect!» Sans oublier... des prières.

Sur les réseaux sociaux aussi, les commentaires négatifs fusent. Certains qualifient le feuilleton «d'énorme daube» ou s'insurgent que le service public ose se moquer du fils de Dieu.

«La Vie de J.-C.», c’est quoi?

Imaginée par le dessinateur Zep, «La Vie de J.-C.», dont le premier épisode est sorti le 18 septembre, «aborde avec légèreté et humour les grandes histoires autour de la vie de Jésus Christ», écrit la RTS. Vincent Veillon incarne un Jésus gentil et très naïf et Yoann Provenzano, Yann Marguet ou encore Alexandre Kominek jouent ses apôtres, tantôt rigolos, tantôt grossiers.

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

Alors, parler de Jésus et de chrétienté sous le prisme de l’humour est-il vraiment si grave? Est-ce judicieux de programmer un projet comme celui-ci juste après avoir annoncé la suppression de «Faut pas croire», émission qui aborde des questions spirituelles d’un œil sérieux?

Un hasard du calendrier

Pour Philippa de Roten, directrice du département société et culture de la RTS, «La Vie de J.-C.» n’a jamais eu la prétention de remplacer «Faut pas croire». «Une production comme celle-ci prend environ 3 ans. La programmation se fait presque une année à l’avance. Quant à la décision d’arrêter «Faut pas croire», elle a été prise ce printemps dans le cadre des mesures d'économies. Elle s’arrêtera en juin 2022. Doit-on réellement suspendre la diffusion d’une fiction parce qu’on négocie la suite des productions de l’actualité religieuse sur la RTS en été 2022? Ce n’est pas possible et cela impacte notre indépendance».

La série a débuté le 18 septembre et sera diffusée jusqu’au 18 décembre.
Photo: RTS

Côté audience, «La Vie de J.-C.» rassemble en moyenne de 160'000 téléspectateurs et capture une part de marché de 39,4%. Un très bon résultat dans l’absolu, note la directrice, mais qui reste difficile à commenter. Comme les épisodes ne durent que quelques minutes, leurs audiences dépendent beaucoup de celles du «19h30» qui les précède et du programme suivant comme l'humoristique «52 Minutes» des deux Vincent ou «Ça Joue», jeu animé par Blaise Bersinger. Sur le web, «La Vie de J.-C.» rencontre aussi de bons résultats, avec en moyenne 44'000 vues par épisode sur RTS Play, YouTube et Facebook.

Et en réalité, les émissions religieuses n'ont pas disparu des ondes de la RTS, rappelle Philippa de Roten. Les chaînes de radio Espace 2 et La Première en accueillent tous les dimanches. Sans oublier les chroniques de RTSreligion, tous les matins sur La Première, ou encore «Zoom Zen» – des capsules vidéos qui décortiquent un phénomène de manière philosophique, spirituelle ou historique – régulièrement diffusée sur la RTS les week-ends et sur les canaux digitaux.

Jésus, éternel sujet de débat

Mais qu'importe: il était clair dès le départ que «La Vie de J.-C.» n’allait pas mettre tout le monde d’accord. «Je peux comprendre que ça heurte certaines sensibilités. Mais j’aimerais préciser qu’après avoir parlé avec des sociologues, par exemple, nous ne sommes pas dans le blasphème. L’idée est d’aborder un personnage comme Jésus d’un point de vue satirique. Il n’est pas question d’inciter à la haine vis-à-vis des croyants», insiste Philippa de Roten. Selon elle, se rire des figures religieuses a toujours fait l’objet de controverses.

Pour preuve, le film britannique «Monty Python: La Vie de Brian» avait déjà fait scandale à sa sortie en 1979. Des groupes chrétiens avaient d’ailleurs crié au blasphème, visiblement choqués par la scène finale où des crucifiés poussent la chansonnette. Le film avait fini par être interdit dans plusieurs pays.

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

La parodie des Inconnus, «Jesus II le retour», sorti en 1990 avait aussi fait l’objet de critiques. On y voit Didier Bourdon interpréter le Christ à la sauce Rambo. Après la diffusion du sketch, les acteurs auraient reçu des lettres de croyants offensés par la vidéo, se souvient le quotidien français «La Voix du Nord».

Trop de réactions à chaud

De son côté, Vincent Veillon, qui incarne donc Jésus dans «La Vie de J.-C.», admet que la mini-série table volontairement sur du graveleux: «D’accord, je comprends que des gens puissent trouver cet humour parfois pipi-caca et on a le droit de préférer Zep en BD que sous forme de série. Mais de là à dénoncer un blasphème... Ça me dépasse».

Vincent Veillon sur le tournage de «La Vie de J.-C.»
Photo: RTS/Jay LOUVION

L’humoriste explique n’avoir absolument aucun regret. «Ça a été une de mes meilleures expériences de tournage», nous avoue-t-il même. Il admet toutefois que la manifestation de Plainpalais en octobre a été plutôt stressante. «Je trouve dommage qu’il y ait autant de réactions à chaud qui ne font pas vraiment avancer le débat. Finalement, je pense qu’on a de la chance de pouvoir avoir un regard satirique sur un personnage historique avant d’être sacré. C’est ça qui est cool avec la démocratie». Amen.


Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la