Les films qui se sont transformés en séries
Les franchises sont-elles l'avenir du cinéma?

Les séries issues de franchises nées au cinéma se multiplient: «Moon Knight», dans l’univers Marvel, «Obi-Wan Kenobi», déclinaison de la saga Star Wars... Si la créativité est parfois au rendez-vous, gare à l’indigestion.
Publié: 24.05.2022 à 18:29 heures
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Dernière mise à jour: 28.06.2022 à 17:22 heures
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Margaux BaralonJournaliste Blick

En décembre 2020, les journalistes n’en sont pas revenus. Pendant quatre heures, Disney a présenté ses projets de séries. Parmi ces derniers, pas moins de dix prennent place dans l’univers de Star Wars. Du côté de Marvel, la licence des super-héros qui appartiennent au clan des Avengers (comme Iron Man, Captain America, Thor et bien d’autres), on compte au total 24 séries déjà diffusées ou à venir d’ici à 2023. Le constat est implacable: les séries dérivées de franchises cinématographiques envahissent le petit écran.

Dans le même temps, les films, justement, sont à la peine. Du côté de Star Wars, les recettes mondiales n’ont cessé de baisser entre les épisodes 7, 8 et 9, sortis entre 2015 et 2019. «Solo, a Star Wars Story», concentré sur Han Solo et sorti en 2018, a été un cuisant échec, tant commercial que critique. Ce n’est pas beaucoup mieux pour Marvel, plombé par les résultats décevants des «Éternels» comme de «Morbius». Et il n’y a pas que Disney qui se console avec les séries quand les films ne décollent pas. Il se murmure qu’une série Harry Potter serait en préparation, alors que le dernier volet des «Animaux fantastiques» a fait le pire démarrage de la saga…

Mais peut-on vraiment compenser l’essoufflement des films avec des séries? Force est de constater que cela a permis aux franchises de réserver de belles surprises. D’abord parce que dans des mondes où les personnages sont généralement très, très, très nombreux, le format sériel laisse plus de temps pour les développer. «Le truc excitant avec une série de six heures, c’est le travail sur le personnage, expliquait ainsi Kate Herron, la réalisatrice de «Loki», au moment de sa sortie sur Disney+. C’est impossible à faire dans un film, on n’a pas le temps.» Loki, frère de Thor dans la mythologie nordique, endosse bien souvent le costume du méchant dans la saga des Avengers. Mais en réalité, ce Dieu de la malice possède mille facettes que la série a pu creuser. Même chose pour Wanda, la Sorcière rouge, l’un des seconds rôles récurrents des Avengers depuis 2015, qui a eu droit à sa série, «WandaVision», en 2021.

Le préquel de Star Wars, dans lequel Ewan McGregor incarnait déjà Obi-Wan Kenobi, n'avait pas été très bien reçu par les fans.
Photo: Lucasfilm Ltd.
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De nouvelles têtes…

Le maître jedi Obi-Wan Kenobi a lui aussi droit à sa série éponyme sur Disney+. Et là encore, l’objectif est de creuser l’histoire d’un personnage devenu culte malgré le désamour pour les films dans lesquels il est apparu. «Quand le prequel de Star Wars est sorti, il n’a pas semblé très bien reçu, détaille son interprète à l’écran, Ewan McGregor, qui a repris le rôle 17 ans plus tard. Mais j’ai peu à peu rencontré les fans, j’ai commencé à entendre que les gens l'adoraient. Pendant des années, à chaque interview, on m’a demandé si je rejouerais Obi-Wan Kenobi. C’est pour ça que j’ai voulu faire cette série, visiblement attendue depuis bien longtemps.»

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Les séries permettent donc de développer des personnages connus… mais aussi d’en proposer de nouveaux. Mando, le héros de la série «The Mandalorian», n’est jamais apparu dans les films Star Wars. Qui connaissait Jessica Jones avant que sorte une série éponyme sur Netflix en 2015? La série «Moon Knight», sur Disney+, a permis d’introduire Marc Spector/Steven Grant, super-héros souffrant de dissociation de la personnalité, inspiré de la mythologie égyptienne.

…et de nouvelles représentations

Il ne s’agit pas uniquement de nouvelles têtes. Viennent souvent avec elles de nouvelles représentations. Pour éviter de faire n’importe quoi en décrivant des pathologies mentales complexes dans «Moon Knight», Disney a fait appel à un psychiatre consultant. «Je pense qu’il fallait être honnête sur ce qu’est un trouble dissociatif de l’identité, a pour sa part commenté l’acteur Oscar Isaac, qui tient le rôle principal de la série. Être honnête sur ce que beaucoup de gens vivent, à savoir de lourds traumatismes d’enfance qui se manifestent ensuite à l’âge adulte.»

Avant «Moon Knight», le personnage de Jessica Jones avait permis d’explorer le phénomène d’emprise (cette super-héroïne a été asservie par un super-vilain pendant plusieurs mois) et la série du même nom a été saluée par la critique pour sa description précise du stress post-traumatique.

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Cette diversité des représentations se retrouve aussi derrière la caméra. L’Égyptien Mohamed Diab, à qui l’on doit «Moon Knight», est devenu le premier réalisateur d’une fiction Marvel issu du monde arabe. Alors que l’essentiel de l’action de la série se déroule justement en Égypte, il a convaincu la franchise de l’engager en promettant «d’éviter d’adopter un point de vue orientaliste, qui nous déshumanise», a-t-il expliqué à «Hollywood Reporter». Il s’agit par exemple de montrer les lieux tels qu’ils sont, plutôt que tels que les Occidentaux les imaginent. Exit l’idée que Le Caire serait une ville mystérieuse et exotique alors qu’il s’agit surtout d’une mégalopole vivante et bruyante. «Souvent, on filme l’Égypte comme s’il n’y avait que des pyramides au milieu du désert, alors qu’il y a des pyramides en pleine ville. C’est comme si on filmait Paris avec le Big Ben en arrière-plan.»

Des innovations formelles

Alors qu’aucune scène de «Moon Knight» n’a vraiment été tournée dans son pays d’origine, Mohamed Diab a mis un point d’honneur à engager des créatifs égyptiens, ainsi qu’un compositeur, Hesham Nazih, qui a livré une partition des plus originales pour une fiction Marvel, en mêlant de vieux airs traditionnels et des compositions beaucoup plus modernes. Enfin, c’est aussi Mohamed Diab qui a poussé pour engager May Calamawy, actrice égypto-palestinienne, pour le principal rôle féminin.

Même formellement, les séries ont permis de sortir, à plusieurs reprises, de la bouillie d’effets spéciaux que sont devenues beaucoup de franchises au cinéma. «The Mandalorian» par exemple, était une réinterprétation du western dans sa première saison. Avant, dans la deuxième, de rendre hommage à de nombreux genres cinématographiques, du film de samouraï au slasher, dans des épisodes visuellement beaucoup plus marquants que le fadasse épisode 9 de la saga.

Pour «Loki», Kate Herron expliquait s’être «beaucoup inspirée des films noirs». Mais le meilleur exemple reste sûrement «WandaVision»: chaque épisode rend hommage, avec beaucoup d’inventivité, à une série américaine différente. À la fin, cela donne une fiction bourrée de références et de belles idées, qui balaye toute l’histoire de la sitcom et ne ressemble à aucune autre.

Risque d’overdose

Mais toutes les séries issues de franchises ne sont pas «WandaVision». «Le Livre de Boba Fett», déclinaison du personnage de chasseur de primes de la saga Star Wars, ne fait pas montre d’une créativité délirante et certains épisodes sont même franchement mal réalisés. Comble de l’ironie, les meilleurs d’entre eux sont ceux qui font revenir… le Mandalorian.

«Falcon et le soldat de l’hiver» reprend les super-héros Marvel et, avec eux, tout ce qui a été déjà vu mille fois au cinéma. Malgré de très belles choses, à commencer par la performance d’Oscar Isaac, «Moon Knight» se vautre dans une surenchère d’effets spéciaux et de lumière violette, en plus d’étirer son histoire au point que l’on se demande si, finalement, il n’aurait pas mieux valu se contenter… d’un film.

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La multiplication des séries est telle que le risque d’overdose n’est jamais loin. Les annonces de sorties se suivent et se ressemblent, sans avoir le temps (ni l’intention d’ailleurs) de créer une attente. Dans le cas de Marvel, l’introduction du concept de multivers, c’est-à-dire d’une infinité d’univers parallèles, permet d’imaginer autant de productions.

Paradoxalement, cette démultiplication va de pair avec un appauvrissement forcé. Ce n’est pas uniquement lié à la qualité intrinsèque de chaque série. Mais les personnages et les arcs narratifs qui s’y développent sont tellement liés les uns aux autres qu’ils devient impossible de comprendre la dernière fiction en date, qu’elle soit sur grand ou petit écran, si on ne s’est pas tout enquillé avant. À l’heure où le temps de chacun est compté, le risque est de ne plus s’adresser qu’à un petit noyau dur de fans.

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