Stephan Eicher sur la mort de ses parents et le réconfort de la musique
«Pendant la pandémie, j'ai enterré ma mère tout seul»

Le musicien suisse Stephan Eicher revient avec un nouvel EP. Il se confie à Blick sur ses projets, le Covid et sa collaboration avec Martin Suter ou Philippe Djian.
Publié: 25.03.2022 à 06:12 heures
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Dernière mise à jour: 28.03.2022 à 11:03 heures
Daniel Arnet

Depuis 40 ans, Stephan Eicher marque de son empreinte la scène musicale suisse multilingue. Il vient de publier un EP, intitulé «Autour de ton cou» qui contient quatre chansons douces qu’il a écrites pendant la pandémie comme «carte postale musicale» à son public confiné. C’est dans une ambiance décontractée que l'artiste reçoit Blick pour un entretien à l’hôtel Florhof de Zurich.

Blick: Merci pour la carte postale, Stephan Eicher.
Stephan Eicher:
Merci, ce fut un plaisir.

Pour quelle raison est-ce que ce nouvel EP «Autour de ton cou» en est une, de carte postale musicale?
Pendant la pandémie, j’ai réalisé à quel point le public me manquait. Et je me suis demandé comment je pouvais rester en contact avec le public.

Blick a rencontré Stephan Eicher à l'occasion de la sortie de son nouvel EP «Autour de ton cou»
Photo: Thomas Meier

C’est là que vous avez eu l’idée de cet EP avec quatre chansons.
Oui. Vous voyez, je pense à vous et j’ai fait quelque chose qui pourrait vous plaire.

Est-ce que vous écrivez encore vous-même de vraies cartes postales?
Oui, j’aime bien embêter mes amis avec ça.

Les embêter?
En réalité je trouve que c’est une belle idée: on s’assoit, on choisit une image, on écrit à la main à quelqu’un de particulier et on colle élégamment un timbre dessus.

Vous préférez donc la carte postale au SMS?
La carte postale n’arrive pas tout de suite comme un SMS (il reproduit le son d'une sonnerie, ndlr). Ce n’est qu’au bout de quelques jours qu’on peut la lire. Elle prend de la valeur, fixée par un aimant sur un réfrigérateur.

Là où tout le monde peut la lire...
Je suis une personne très discrète... mais je me dis que tous les facteurs lisent les cartes postales de toute manière.

Composez-vous aussi à la main ou tapez-vous tout à l’ordinateur?
J’ai un bloc-notes à côté de mon lit et j’y écris des choses que je n'arrive parfois même pas à déchiffrer moi-même. C'est quand même plus sexy qu’un ordinateur.

L'EP «Autour de ton cou» est annoncé comme étant une série. Quand viendra la suite?
Trois EP sont prévus dans le courant de l’année, et le quatrième sera l’album.

Les 12 chansons seront donc réunies sur l'album.
Il y en aura quatre de plus. Mais sur l’album, les chansons auront une autre forme que sur les EP. Je travaille notamment avec une rappeuse japonaise, tout cela est très complexe.

Quatre fois quatre chansons, cela fait un peu penser aux quatre saisons.
Exactement, «Autour de ton cou», c'est le printemps. L'été sera rock, l'automne soul et l’hiver sonnera avec de courtes chansons en suisse allemand, de seulement deux minutes chacune.

Pour un éveil printanier, «Autour de ton cou» semble paradoxalement très mélancolique. Comment cela se fait-il?
Ce premier EP est simplement basé sur l’instrument que j’ai le plus utilisé pendant la pandémie, le piano. Il donne donc une teneur plus mélancolique aux titres.

Comment en êtes-vous venu à plus utiliser cet instrument?
J’ai enfin eu le temps de m’y intéresser davantage avec le confinement, même si je ne suis pas devenu pour autant pianiste. Le piano remplace en quelque sorte un orchestre, et je voulais capter la lumière du printemps à travers la voix.

Comment faites-vous cela?
J'ai l'impression que, dès que je chante, le rideau s’écarte un peu et je vois le soleil dehors.

Vous avez écrit les quatre chansons de «Autour de ton cou» pendant la vague pandémique du printemps 2021. Comment avez-vous vécu cette période?
Lorsque le port du masque est devenu obligatoire, j’ai été rassuré, car porter un masque ne signifie pas en premier lieu se protéger soi-même, mais protéger son prochain. En Asie, quand on est malade, on met un masque pour ne pas contaminer les autres. Penser aux autres, notre société en a grandement besoin.

Et ensuite est arrivée la vaccination...
Je me suis tout de suite fait vacciné, avec les trois doses. Je savais que si je voulais travailler, c’était la seule solution. Mais on nous a un peu trop promis de choses avec cette vaccination.

C'est-à-dire?
La troisième dose n’était qu’un booster, c’est-à-dire un renforcement. On ne parlait plus d'une vaccination qui nous protégerait complètement ou presque, comme au début. On parle maintenant de futurs rappels, mais notre corps est-il prêt pour cela?J’en doute un peu.

Le Covid a créé certains malaises entre amis, en avez-vous perdu certains suite à des débats sur le sujet?
Non, mais il est clair qu'il y a eu des crises.

Vous avez vécu les premiers temps de la pandémie en Camargue.
C’était horrible. À l’époque, nous ne pouvions nous déplacer que dans un rayon d’un kilomètre autour de la maison. Mes parents à Berne n’étaient pas en bonne santé, alors j’ai rapidement pensé: «On va aller en Suisse et vendre la maison.»

Comment la Suisse a-t-elle géré la crise par rapport à la France?
Le président français Emmanuel Macron a tonné que la pandémie était une guerre. Chapeau au conseiller fédéral suisse Alain Berset. Il a communiqué de manière humaine et simple: soyons humbles et veillons les uns sur les autres.

Vos parents sont tous deux décédés en 2021, et la pandémie a malheureusement joué un rôle dans ces pertes.
Ma mère est décédée de solitude, parce qu’on ne pouvait pas lui rendre visite pendant trois mois. Mon père a eu le virus et il l'a suivie six semaines après.

Cela a dû être un choc difficile à gérer pour vous...
J’ai enterré ma mère tout seul. On n'a pas pu enterrer mon père, ce n’était pas possible en raison des mesures en vigueur. Je ne souhaite à personne de devoir vivre cela.

La musique donne-t-elle de l’espoir?
Absolument. C’est pourquoi il y a toujours de la musique aux enterrements. C’est une forme de communication très spéciale.

Philippe Djian vous a écrit les textes de l’EP actuel. Vous avez collaboré avec lui pour la première fois en 1988 pour l’album «My Place».
Il n’y a personne qui puisse écrire des chansons en français comme lui, il vient de la culture américaine de la short story. Il utilise la langue dont on a besoin dans la vie, et il en fait de la littérature. On dirait une conversation qu’on entend par hasard.

Dans quel ordre procédez-vous pour composer? Commencez-vous par les paroles puis la mélodie ou l'inverse?
Le texte est le début de tout le processus, 99% du temps. Il est très rare que j’aie une mélodie que je soumette d'office à Philippe Djian ou Martin Suter.

Quand vous lisez des textes, poèmes ou romans, entendez-vous toujours une mélodie?
Il faut qu'une harmonie se dégage du texte. Dans ceux de Martin Suter, je regarde un mot et je me dis que c'est la note fa, puis ça descend jusqu’au mi. J’ai composé «Weiss nid, was es isch» («Je ne sais pas ce que c'est», ndlr) en dix minutes comme ça, c’est fascinant.

Pourquoi faites-vous écrire vos textes par des auteurs de best-sellers plutôt que de prendre vous-même la plume?
Parce qu'ils sont nettement plus forts que moi. Pendant la pandémie, j’ai commencé à faire une mixtape avec mes propres textes. Peut-être que je la publierai un jour sous une forme underground, du style «90 minutes de chansons d’Eicher.» Mais est-ce intéressant? Je ne sais pas.

Vous ne recevez pas les textes de Djian ou de Suter par carte postale, n’est-ce pas?
Non, pas encore, mais une carte postale ferait peut-être une belle pochette de disque.

Stephan Eicher, «Autour de ton cou» (Universal/Polydor)

(Adaptation par Thibault Gilgen)


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