Jeff Mills au D!
«Les Suisses savent apprécier la musique électronique»

Le célèbre DJ Jeff Mills s'apprête à mixer en terre romande, au D! Club de Lausanne. En exclu pour Blick, l'artiste raconte ses débuts, sa vision de la musique électronique et ses inspirations.
Publié: 03.11.2021 à 15:27 heures
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Dernière mise à jour: 04.11.2021 à 16:39 heures
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Valentina San MartinJournaliste Blick

Les fanas de musique électro s’apprêtent à investir le dancefloor du D! Club ces deux prochains jours. Le pionnier de la techno Jeff Mills commencera par une petite mise en bouche jeudi en compagnie du jazzman français Jean-Phi Dary avec qui il forme le duo «The Paradox». Vendredi, l’Américain originaire de Détroit sera seul aux platines et proposera 3 heures de mix à son public.

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Bonjour Jeff, tout d’abord, comment vous décririez-vous pour les rares personnes qui ne vous connaissent pas?
Jeff Mills: Franchement, je n’en ai aucune idée (rires). Je ne saurais pas par où commencer. Je ne sais d’ailleurs pas si j’ai très envie de me décrire… Pour tout vous dire, cela fait longtemps que je n’ai plus eu à le faire.

Pour votre public, vous êtes surtout un artiste, un musicien qui ose. Vous venez d’ailleurs de sortir un album en duo avec Jean-Phi Dary, célèbre jazzman français. Comment est née cette collaboration?
Tout est parti d’un projet que j’avais avec le batteur Tony Allen qui nous a malheureusement quittés l’année dernière. Nous avions besoin d’un musicien additionnel car nous cherchions à ajouter un son spécifique à nos créations. Nous avons contacté Jean-Phi Dary qui était un bon ami d’Allen. Ils ont travaillé ensemble durant des années. Il a rejoint le projet. A force de collaborer avec Jean-Phi, on s’est dit qu’on devait créer quelque chose de plus électronique ensemble. On a fini par enregistrer en studio et l’album «Counter Active» est né.

Vous vous apprêtez à mixer au D! Club en compagnie de Jean-Phi. Vous savez sûrement que les mauvaises langues considèrent les Suisses comme discrets, réservés, voire un peu ennuyeux.
Vous savez, j’étais très souvent en Suisse au début des années 1990. Il s’agit d’un des premiers pays où j’ai commencé à me produire. Je pense que les Suisses savent apprécier la musique électronique. D’ailleurs, contrairement à ce que l’on peut penser, la scène électro était plus vibrante en Suisse qu’en Allemagne, à un moment donné. C’est la raison pour laquelle j’ai d’ailleurs songé à m’établir à Zurich. Le rôle de la Suisse a été central en termes de musique électro. De nombreux DJ sont venus d’Autriche, du nord de l’Italie ou du sud de l’Allemagne pour se produire ici.

Ensemble, Jeff Mills et Jean-Phi Dary forment le duo «The Paradox».
Photo: Jacob Khrist
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Quelles sont vos habitudes ici en Suisse? Y a-t-il quelque chose que vous aimez particulièrement?
J’avoue que le chocolat suisse me manque (rires). J’aime les festivals qui se tiennent en Suisse. Et pas seulement ceux qui passent de la musique électro, je pense notamment au Montreux Jazz. Ils permettent de maintenir la musique à un beau niveau d’exigence. Ce que je trouve aussi particulièrement intéressant ici, c’est la mixité culturelle entre les différentes régions. J’aime jouer dans ces divers endroits.

Quel est le plus grand geste d’amour qu’un fan ait fait pour vous?
D’une manière plus générale, le plus grand geste qu’un fan ait fait pour moi est assez simple: user de ma musique dans sa vie de tous les jours et pas juste sur le dancefloor. Et puis au-delà du quotidien, qu’une personne passe ma musique lors d’un événement important comme un mariage ou une naissance par exemple, me paraît énorme.

Quelle est votre définition d’un son? Qu’est-ce qu’un son, d’ailleurs?
Un son, c’est quand quelque chose dans ton esprit, ton âme se connecte avec l’instrument. Pour qu’il y ait véritablement un son, il faut qu’il y ait une connexion entre l’artiste et celui qui écoute.

Parlons du début de votre carrière. Quel est votre meilleur souvenir de Détroit à la fin des années 80, au moment du lancement de la musique électronique?
A cette époque-là, c’était assez compliqué. Economiquement, Détroit allait mal. Près d’un million d’habitants avaient quitté la ville à la fin des années 80, début des années 90. Dans mon souvenir, la ville était plutôt vide. Mais d’un autre côté, cela a permis aux musiciens de s’essayer à leur art. On pouvait faire ce qu’on voulait, créer et expérimenter plein de choses.

Que reste-t-il de la scène techno dans cette ville qui a en quelque sorte déménagé à Chicago?
Pour avoir vécu à Chicago pendant presque 25 ans, j’ai remarqué que c’est surtout la House qui s’y est développée plus que la techno, encore très présente à Détroit. Mais les deux villes sont très proches et ont toujours travaillé en tandem. Il y a eu beaucoup d’influence musicale de part et d’autre.

Plus généralement, que reste-t-il de la scène underground aujourd’hui? Est-ce vraiment imaginable de jouer en rave ou sur des scènes plus petites alors qu’on est une star internationale?
Je pense qu’après 35 ans, on a dépassé cette dualité entre la scène underground ou overground. Je pense que l’utilisation du terme underground a longtemps été convaincante pour parler d’artistes qui n’avaient pas encore percé. Cela n’a plus vraiment de sens aujourd’hui. Soit vous faites de la musique pour parler au public, soit vous n’en faites pas. C’est aussi simple que cela.

Les vibrations de vos débuts vous manquent-elles?
Pas vraiment. Les débuts se caractérisaient surtout par l’apprentissage alors que désormais, je suis en phase d’application. Et c’est là que cela devient intéressant. Je pense que le plus excitant est à venir.

Si vous deviez nommer un jeune talent qui, selon vous, pourrait être le visage de la prochaine génération, qui serait-ce?
Si je le savais, je ne vous le dirais pas (rires). Plus sérieusement, je ne pense pas que cela soit très important. La musique n’est pas une course, ce n’est pas comme ça que ça marche. On ne peut pas être le meilleur, cela n’existe pas. On parle juste de numéro un lorsqu’on veut faire de l’argent. L’important c’est de faire ressentir quelque chose à son public à un moment donné.

Comment choisissez-vous les artistes que vous signez sur votre label Axis?
C’est très compliqué. Je ne recherche pas une personne qui posséderait mille et une connaissances en termes d’équipements. Ce qui attire mon attention, c’est lorsqu’une personne est capable de raconter une histoire à travers son art. On ne parle pas forcément de chef-d’œuvre, mais simplement d’une manière de traduire quelque chose en musique.

Que dire de la progression fulgurante de la musique électronique?
La musique électro s’est toujours développée de manière très rapide. Je me souviens qu’entre 1993 et 1994, il y avait cinq nouvelles sorties par semaine. A mon avis, cette musique a évolué en parallèle aux avancées technologiques qui impliquent toujours moins d’efforts physiques.

Si l’électro avance au rythme des progrès technologique, comment imaginez-vous l’avenir?
J’imagine un futur où un auditeur pourrait simplement penser à du Miles Davis et avoir la possibilité de l’écouter. Cela pourrait même devenir plus éducatif. Dans 20 ans, on pourrait imaginer vouloir écouter un live de Miles Davis à Montréal mais depuis son point de vue à lui au moment de jouer. Ou alors, on pourrait l’écouter à travers les oreilles d’une personne du public ou même du barman…

Ça sonne très science-fiction tout cela?
Vous savez, j’ai grandi avec la science-fiction. On m’a lavé le cerveau, si on veut bien (rires).

D’ailleurs, il semble que l’astronautique vous ait beaucoup inspiré dans vos derniers projets.
Oui et ce n’est pas vraiment quelque chose d’inhabituel. Si on s’imagine une soirée, on est généralement dans le noir, avec quelques flashes de lumière parfois. On se perd dans tout cela pour ensuite se reconnecter. C’est un peu pareil dans l’espace, j’imagine.

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La Terre n’est-elle pas assez grande en termes d’inspiration?
Ça, c’est une question d’opinion. Quand on y pense, la planète Terre est plutôt petite en comparaison à l’entier de l’univers. D’ailleurs au sein même de cette terre, on n’existe que sur sa surface. On ne peut pas vivre dans les airs, ni dans l’eau. L’humanité est assez fragile voire insignifiante finalement.

De nos jours, certains artistes ont tendance à utiliser leur communauté de fans pour entrer dans le débat public, brouillant ainsi la frontière entre art et politique. Pourriez-vous devenir un politicien?
La musique est un moyen d’expression, une extension de la pensée. Je pense qu’il est tout à fait normal qu’il y ait une réflexion politique derrière. Après, je ne me vois pas devenir politicien. Je pense qu’on est plus efficaces en tant qu’artistes. On touche davantage de gens différents.

Quelle cause vous parle le plus?
Je pense que l’une des problématiques les plus importantes dans notre société, c’est la santé mentale. On l’a certainement remarqué après deux ans de pandémie. On peut avoir l’impression d’être en sécurité chez soi alors même qu’on n’est pas à l’abri des souffrances. Je suis Afro-Américain, je vis aux Etats-Unis et je peux vous dire que c’est un pays parfois très violent. Même si aucun de mes proches n’est mort dans des circonstances graves, cela m’affecte lorsque je vois certaines agressions se produire. A mon avis, la santé mentale est un large sujet qui est souvent ignoré. Il n’existe malheureusement pas de plateforme à l’international qui pourrait fournir de l’aide.

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