Un expert en radicalisation revient sur l'agression de l'homme juif
«Cette attaque au couteau est la pointe de l'iceberg»

L'agression d'un homme juif à Zurich samedi soir a choqué toute la Suisse et a remis la lutte contre l'antisémitisme sur la table. L'expert en radicalisation Thomas Kessler analyse cet acte. Interview.
Publié: 05.03.2024 à 07:28 heures
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Dernière mise à jour: 05.03.2024 à 07:31 heures
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Rebecca Wyss

Samedi soir, un jeune de 15 ans a attaqué un juif orthodoxe et l'a grièvement blessé en plein centre de Zurich. La piste d'une attaque antisémite est privilégiée après la publication d'une vidéo dans laquelle on peut voir l'auteur présumé. La communauté juive est sous le choc et parle d'un acte sans précédent en Suisse. Thomas Kessler est expert en radicalisation. Il explique comment un jeune adolescent suisse a pu commettre un tel acte. Interview.

Thomas Kessler, le directeur de la sécurité zurichoise Mario Fehr a parlé d'un attentat terroriste lors de la conférence de presse. Comment un jeune de 15 ans a pu commettre un tel acte?
Son jeune âge ne m'étonne pas plus que ça. En France, des enfants de 11 ans s'en prennent déjà aux Juifs. L'endoctrinement commence très tôt. Si les parents ont des pensées antisémites, les enfants les entendent déjà très tôt à table, au jardin d'enfants ou à l'école. En France, où vivent de nombreuses personnes originaires du Maghreb, le problème est plus important. Là-bas, les Juifs sont quasiment chassés des écoles publiques. Mais ce problème concerne également la Suisse.

A quoi attribuez-vous ce phénomène?
Je connais des cas à Zurich où des parents juifs ont retiré leurs enfants de l'école parce qu'ils étaient harcelés par des musulmans et que la direction de l'école n'avait pas pris assez de mesures.

Thomas Kessler, expert en radicalisation, explique comment un jeune suisse a pu poignarder un homme juif à Zurich.
Photo: KEYSTONE
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Avez-vous constaté un changement à cet égard depuis le 7 octobre?
Oui, un gros changement même. La radicalisation et le penchant pour la violence ont augmenté chez les jeunes. C'est ce que montre l'incident de Bâle, où les auteurs ont volé et incendié à plusieurs reprises le drapeau d'Israël devant la synagogue. C'est très grave.

Poignarder une personne juive avec un couteau n'est pas chose commune en Suisse. Cet acte vous a-t-il surpris?
Non. En 2001, un rabbin a été assassiné à Zurich. Et depuis l'attaque du Hamas, les antisémites s'expriment de plus en plus ouvertement et agressivement. De plus, les jeunes hommes violents portent plus souvent des couteaux sur eux. C'est d'autant plus vrai dans les milieux radicalisés, qui s'inspirent du culte du héros guerrier de la propagande de l'Etat islamique (EI). Le couteau renforce la position dans le groupe. Celui qui poignarde veut avoir le rôle de martyr. De tels groupes d'extrémistes existent aussi chez nous. Mais cette réalité est largement sous-estimée.

Comment se déroule une telle radicalisation?
Souvent, elle se fait par le biais d'un groupe partageant les mêmes idées, ou sur Internet. L'auteur de l'attaque à Zurich s'est également mis en scène en passant à l'acte. Pour les jeunes issus de sociétés collectives, la position au sein du groupe est particulièrement importante, même virtuellement. Ils veulent impressionner la communauté par leurs actes. Le jeune Suisse tunisien a éclaté de rire lorsqu'on l'a emmené. L'arrestation spectaculaire par un déploiement policier digne d'un film faisait partie de son plan. Cela donne un surcroît d'importance au sein du groupe.

L'auteur a appelé à la lutte contre les Juifs dans une vidéo. Quel est le rôle d'Internet dans le processus de radicalisation?
Internet joue un rôle central. L'EI diffuse des appels au meurtre contre des personnes d'autres confessions dans des formats très professionnels, avec des images dignes des films d'action hollywoodiens. Des vidéos brutales montrent des femmes yézidies, des «fausses croyantes» réduites à l'esclavage, qui sont violées. Le Hamas a fait de même avec les Israéliennes prises en otage. Les jeunes européens likent et partagent ces vidéos sur les réseaux sociaux. Plus ce genre de choses se produisent et plus de tels contenus circulent.

Quels sont les signes de radicalisation?
On les remarque à la rhétorique antisémite de l'enfant et de ses camarades, au fait que le jeune consomme de la propagande ou qu'il possède soudainement une arme. La radicalisation implique de se focaliser sur un seul et même thème. En conséquence, les résultats scolaires diminuent la plupart du temps. Mais tout le monde ne remarque pas ces signaux. L'étude de cas individuels montre aussi que le contact avec les parents est souvent mauvais.

Pourquoi ça?
A la puberté, l'enfant coupe le cordon. Si les deux parents travaillent et que l'enfant est constamment accroché à l'ordinateur ou à son téléphone portable sans raconter à ses parents ce qu'il se passe dans sa vie, le contact est rompu. Il est important que les parents participent encore à la vie de leurs enfants, même à la puberté. Cela vaut de manière générale d'ailleurs.

Presque chaque canton dispose aujourd'hui d'un service spécialisé dans la radicalisation. Qu'est-ce qui vous fait penser que le problème est sous-estimé en Suisse?
Après cette attaque, on s'est à nouveau demandé s'il s'agissait d'un cas isolé. Ce n'est pas le cas. Cette attaque est la pointe de l'iceberg. La propagande agit à l'échelle mondiale. En Europe, des organisations islamistes sont actives et attisent les conflits dans les sociétés démocratiques. Elles ont beaucoup d'argent, et même parfois des soutiens étatiques derrière elles. On constate des recoupements avec des organisations criminelles. Ces gens font du business et achètent les avocats, surtout en France et en Allemagne.

Que faut-il faire, alors?
Les services spécialisés doivent aller directement sur le terrain, sur les lieux sensibles, pour faire un travail de prévention concret et se coordonner davantage avec la police et les services de la jeunesse. Il s'agit de travailler en étroite collaboration avec les institutions, et veiller à ce que tous les enfants puissent aller à l'école normalement.

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