Taux hypothécaires en hausse
Pourquoi il est si dur de devenir propriétaire en Suisse

En Suisse, les propriétaires immobiliers deviennent de plus en plus rares. Le Conseil fédéral en est conscient. Mais il ne veut rien faire pour y remédier, malgré le mandat inscrit dans la Constitution.
Publié: 17.04.2022 à 09:42 heures
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Dernière mise à jour: 17.04.2022 à 12:04 heures
Daniel Ballmer

La conseillère aux États Heidi Z'graggen est déçue par le Conseil fédéral. Face à la crise du logement, il aurait un mandat d'agir – c'est inscrit dans la Constitution. Mais les sept sages s'y refusent, alors que de moins en moins de Suisses peuvent réaliser leur rêve de devenir propriétaires. «C'est décevant», estime la politicienne du Centre.

Selon la Haute école zurichoise des sciences appliquées (ZHAW), 80% des personnes qui le souhaitent ne peuvent pas se permettre de devenir propriétaires en Suisse. Ces dernières années, les prix de l'immobilier ont augmenté bien plus que les salaires. Cela s'explique notamment par une pénurie de l'offre et des terrains à bâtir de plus en plus rares, ainsi que par la hausse constante des prix de l'immobilier qui en résulte.

Des hypothèques au plus haut depuis 2014

Depuis le début de l'année, les taux d'intérêt ont massivement augmenté, pour atteindre leur plus haut niveau depuis 2014. L'élément déclencheur? L'inflation mondiale provoquée par l'augmentation des prix de l'énergie et les blocages de la chaîne d'approvisionnement. La guerre en Ukraine n'a fait qu'aggraver le problème.

De plus en plus de Suisses ne peuvent plus réaliser leur rêve de devenir propriétaires.
Photo: Getty Images
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A cela s'ajoutent les prescriptions réglementaires en matière de fonds propres, auxquelles les banques doivent se conformer. Un ménage doit pouvoir apporter 20% de fonds propres (ce qui, sur un bien immobilier à un million, représente 200'000.-). Par ailleurs, les banques estiment qu'un ménage ne peut supporter les frais courants d'une hypothèque (paiement des taux d'intérêt, amortissements et frais prélevés par la banque) que si ceux-ci ne dépassent pas un tiers du revenu (pour un bien à un million, cela signifie que le ménage doit avoir un revenu annuel de 180'000 francs).

Le principe expliqué par «La Mobilière»

Le hic, c'est que les banques comptent pour cela sur un taux d'intérêt hypothécaire de 5%: toujours nettement plus élevé que les taux d'intérêt actuels. Les hypothèques fixes restent accessibles à partir de 1,5%.

À la politique d'agir!

Les experts s'accordent à dire que la situation ne s'améliorera pas sans intervention politique. Pour Adrian Wenger, spécialiste des hypothèques chez VZ Vermögenszentrum, c'est surtout l'offre de logements en propriété qui devrait augmenter (autrement dit, construire plus et/ou s'assurer que plus de logements mis sur le marché soient à vendre plutôt qu'à louer). Martin Neff, économiste en chef de Raiffeisen, est du même avis: «La situation actuelle est telle qu'une grande partie des familles ne peuvent pas s'offrir un logement par leurs propres moyens. Si l'on veut changer cela, c'est à la politique de jouer».

Il y aurait suffisamment d'approches, pense la conseillère aux États Heidi Z'graggen. Elle a déposé une motion pour demander au Conseil fédéral de prendre des mesures, lui rappelant que la Constitution prescrit l'encouragement de l'accession à la propriété.

Le problème est que cet encouragement a été suspendu par un paquet d'économies en 2003, et ne devrait être relancé qu'avec l'adoption de la loi sur le logement.

Il s'agit notamment de faciliter la prise en charge d'hypothèques par des prêts directs ou des cautionnements, complétés par des conditions-cadres telles que des montants maximaux ou des restrictions de surface. Il faudrait également envisager des suppléments pour les familles ou les rénovations de bâtiments anciens.

Le Conseil fédéral craint une hausse des prix de l'immobilier

Si le Conseil fédéral se dit être «conscient que l'accès à la propriété est devenu plus difficile pour de nombreux ménages au cours des dernières années», et même «sans espoir en de nombreux endroits» pour les ménages à revenus modestes et moyens, il n'ose pas intervenir. Craignant en effet qu'une réactivation de l'encouragement direct à la propriété ne fasse encore augmenter les prix de l'immobilier.

La Banque nationale et l'Autorité de surveillance des marchés financiers (Finma) se sont ainsi prononcées à plusieurs reprises contre un assouplissement des conditions d'octroi des hypothèques (abaissement de la mise de fonds propre, assouplissement de la règle des frais courants).

Ils craignent qu'en cas de hausse brutale et importante des taux d'intérêt, les emprunteurs aient alors du mal à payer leurs intérêts. «Ces risques doivent être pris au sérieux», estime le Conseil fédéral. Ce d'autant plus que la dérégulation du marché immobilier américain et la spéculation immobilière subséquente sont à l'origine de la crise financière mondiale de 2008.

Le Conseil fédéral «ferme les yeux sur les problèmes»

L'inaction de la Confédération fait fulminer la conseillère aux États Heidi Z'graggen. «Le Conseil fédéral confirme que le marché ne fonctionne pas actuellement dans ce domaine, mais il veut rester inactif, critique-t-elle. Fermer les yeux sur les problèmes et ne pas proposer de solutions, ce n'est pas le rôle du gouvernement, enfin!»

Elle ne perd pas espoir pour autant. Après tout, le Conseil des États a lui aussi reconnu la nécessité d'agir et a transmis la motion à la Commission de l'économie et des redevances pour la suite des débats. Le rêve de son propre logement en est encore un, malheureusement. Mais au moins, il n'est pas encore mort.

(Adaptation par Jocelyn Daloz)

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