Tamara Funiciello
«Beaucoup de gens savent maintenant que 430'000 femmes ont été violées en Suisse»

La conseillère nationale socialiste Tamara Funiciello se livre à Blick sur les progrès et les échecs de la politique en matière d'égalité au cours de la législature actuelle. Elle ne supporte plus le reproche fait aux femmes de jouer le rôle de victimes.
Publié: 07.03.2023 à 18:44 heures
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Dana Liechti

Ce sont des jours mouvementés pour les femmes du pays. Au cours de cette session de printemps, les débats portent sur des questions novatrices en matière d’égalité entre les hommes et les femmes. Le 4 mars, 250 militantes suisses ont formulé leurs revendications pour la grève féministe du 14 juin dans le cadre d’une réunion de mise en réseau à Fribourg. Ce mercredi se tiendra la Journée internationale des droits des femmes. C’était donc le moment idéal pour demander un entretien à celle qui est sans doute la féministe la plus connue du pays.

Tamara Funiciello, le Conseil national vient de se prononcer en faveur de places de crèche moins chères. Cela vous réjouit certainement.
C’est un premier pas dans la bonne direction. Toutefois, le Conseil des États a déjà annoncé qu’il voulait réduire le projet. C’est culotté. Actuellement, ce ne sont pas les pouvoirs publics qui paient, mais surtout les femmes qui réduisent leur temps de travail pour s’occuper des enfants et qui reçoivent de ce fait des salaires et des rentes moins élevés. Et même si le projet de loi sur les crèches passe, il y a encore beaucoup à faire dans le domaine de l’accueil des enfants, notamment au sujet des conditions de travail et des salaires.

En 2019, un nombre record de femmes a été élu au Parlement. Les revendications politiques en matière d’égalité ont-elles depuis lors de meilleures chances?
En ce qui concerne la violence spécifique au genre, nous avons certainement fait des progrès. De même en ce qui concerne les préoccupations LGBTQIA +, que ce soit avec le mariage pour tous ou la protection contre les discriminations. J’ai pu observer un changement au sein du Parlement. Entre-temps, beaucoup de gens ici savent que 430’000 femmes ont été violées en Suisse. Il est essentiel que nous changions quelque chose dans ce domaine. C’est ce que m’a montré une rencontre que j’ai faite cette semaine avec une jeune femme.

La conseillère nationale socialiste Tamara Funiciello s'engage pour l'égalité.
Photo: Keystone
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Que s’est-il passé?
Sur le chemin du retour, une jeune fille de 16 ans m’a interpellée. Elle était complètement bouleversée, pleurait et tremblait. Un type venait de l’importuner alors qu’elle était assise au bord de l’Aar et qu’elle voulait étudier. Je l’ai alors accompagnée dans le tram. À cause de ce qu’elle a vécu, elle a fait une crise de panique et n’a pas pu passer un examen important. Ce genre de choses m’anéantit. Et puis on me dit que je ne devrais pas être autant en colère. Je me demande plutôt: pourquoi tout le monde d’est pas en colère contre de telles choses? Pourquoi ne faisons-nous pas tout ce qu’il faut pour empêcher cela? Il faut de l’argent, des ressources, de la volonté politique! Et dans d’autres domaines aussi, il y a encore beaucoup à faire…

À savoir?
En ce qui concerne justement les salaires et les pensions des femmes, ce Parlement a échoué. J’aurais espéré davantage dans ce domaine. Ce sont surtout les femmes aisées qui profitent de la politique d’égalité actuelle – mais pas les caissières, les aides-soignantes et les gardes d’enfants.

Malgré tout, les femmes de ce pays n’ont sans doute jamais été aussi bien loties qu’aujourd’hui. N’êtes-vous pas trop exigeante?
Chaque année, les femmes fournissent un travail de soin (ndlr: aussi appelé travail de «care») non rémunéré d’une valeur de 248 milliards de francs. Elles gagnent 43% de moins que les hommes, bien qu’elles travaillent autant en termes d’heures. Depuis 2015, les inégalités salariales se creusent même. Et actuellement, nous avons sur la table deux initiatives qui veulent restreindre le droit à l’avortement. Alors non, nous, les femmes, ne sommes pas trop exigeantes. L’égalité est notre droit. Nous ne faisons que réclamer ce à quoi nous avons droit légalement.

Certains disent que les femmes jouent le rôle de victimes.
Qu’on m’explique ce que cela signifie. Que nous devrions nous taire et accepter la discrimination? Je ne l’accepte pas.

Les hommes aussi ont des problèmes!
Absolument! Je m’engage d’ailleurs pour que la situation des hommes s’améliore. Qu’ils aient la possibilité de travailler à temps partiel. Ou que l’âge de la retraite ne soit pas augmenté, que ce soit pour les femmes ou pour les hommes. Je suis donc absolument solidaire. Et j’invite les hommes de ce pays à lancer un mouvement masculin émancipateur. Je porterai leur drapeau avec plaisir. Mais ne projetez pas votre mécontentement sur les femmes – ne leur dites pas d’arrêter de se battre parce que vous avez aussi des problèmes. Ce n’est pas une solution.

À propos de défense de droits: qu’attendez-vous de la grève des femmes?
En 2019, nous avons prouvé que le mouvement peut entrer au Parlement lorsqu’il y a une pression de l’extérieur. Maintenant, nous devons montrer que nous ne partirons pas à nouveau. Nous sommes nombreuses, nous sommes là et nous nous engageons pour du temps, de l’argent et du respect, pour nos corps, notre travail et nos enfants.

Espérez-vous que la grève vous permettra de voter à nouveau pour les femmes?
Je ne l’espère pas, je me bats pour que cela arrive. Pour qu’il y ait suffisamment de femmes, de manière représentative et dans tous les partis. Et je me bats pour que soient élues celles qui s’engagent pour des salaires et des pensions plus élevés, des horaires de travail plus bas, des places de crèche plus nombreuses et moins chères, ainsi qu’une protection contre la violence.


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