Privilège ou bon exemple?
Philippe Nantermod a reçu sa troisième dose avant vous!

Les parlementaires — à risque ou non — se sont vu offrir le booster contre le Covid le 30 novembre sous la Coupole fédérale. Problème: à Berne, les inscriptions étaient officiellement réservées aux plus de 65 ans jusqu'au 6 décembre.
Publié: 04.12.2021 à 06:19 heures
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Dernière mise à jour: 06.12.2021 à 18:24 heures
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Amit JuillardJournaliste Blick

Le message se voulait sans doute incitatif mais il a piqué la curiosité des internautes. «Personnellement, j’ai fait une troisième dose (du vaccin contre le Covid-19, ndlr.). Et je me porte bien», écrivait mercredi sur Facebook Philippe Nantermod, jeune conseiller national libéral-radical (PLR) valaisan. Sous cette publication, à l’origine problématique à plusieurs égards, des sourcils se froncent.

«Beaucoup dans les commentaires demandent: comment as-tu fait, Philippe, pour avoir la troisième dose à l’âge de 37 ans? Certains parlent de passe-droit…» Motif: en Valais, le rappel pour toutes et tous n’est pas possible avant la mi-décembre. Réponse du président du PLR suisse: «J’en sais rien. On nous a proposé le booster avec le vaccin anti-grippe habituel…»

La publication de Philippe Nantermod a soulevé de nombreuses questions.
Photo: DR

«C’est vrai, c’est une forme de privilège»

De quoi parle-t-il? Vérification faite, sous la Coupole fédérale, les parlementaires se sont bien vu offrir ce mardi 30 novembre la piqûre contre la grippe et celle contre le Covid, y compris la troisième injection. Problème: dans le canton de Berne, celle-ci est pour l’instant — et officiellement — réservée aux plus de 65 ans et aux personnes à risque. Le reste de la population bernoise y aura accès dès le 6 décembre.

Le booster contre le Covid a été offert aux parlementaires en même temps que le vaccin contre la grippe (ici, Daniela Schneeberger, conseillère nationale PLR bâloise).
Photo: Inselgruppe

En début de semaine, 78 parlementaires volontaires ont tendu le bras dans le cadre de la Journée parlementaire de vaccination contre la grippe, dont 58 pour recevoir le booster anti-coronavirus. Action de prévention organisée chaque année lors de la session d’hiver par les Journées suisses de la santé sous le patronage de la Fédération des médecins suisses (FMH) et de la Croix-Rouge.

«C’est vrai, c’est une forme de privilège puisque dans certains cantons toute la population n’y a pas encore accès, concède Roger Konrad, organisateur de l’événement pour le compte de l’agence de communication zurichoise Iaculis. Mais les parlementaires sont à risque: durant la session, ils sont 200 à siéger au même endroit et sont en contact avec beaucoup de monde.» La prophylaxie contre le Covid a été financé par la Confédération, celle contre la grippe par l’Hôpital universitaire de l’Île.

Comme à Ikea

Pas de trace de Big Pharma. «Les Journées suisses de la santé ne sont pas financées par l’industrie pharmaceutique, coupe Roger Konrad. Mais, chaque année, nous avons un sponsor pour le vaccin contre la grippe, qui ne le produit pas. En 2019 (en 2020, l'action a eu lieu de manière plus confidentielle et n'a pas été sponsorisée, ndlr.), c’était Johnson&Johnson. Pharmacieplus a par exemple aussi participé par le passé.»

L’opération de mardi a été autorisée par le Canton de Berne, assure-t-il encore. «C’est juste, confirme Gundekar Giebel, porte-parole de la Direction bernoise de la santé. En fait, depuis le 15 novembre, nos équipes mobiles, notre camion de vaccination et nos stands dans les centres commerciaux comme à Ikea offrent le booster à tout le monde.»

Et ce donc, même si les moins de 65 ans ne peuvent officiellement prendre rendez-vous qu’à partir du 6 décembre. «Dans le canton, les personnes à risques ou de plus de 65 ans qui le souhaitaient y ont eu accès. Nous avons plus de 100’000 possibilités de rendez-vous encore ouvertes.» Circulez, il n’y a rien à voir.

Montrer l’exemple

Même la gauche radicale, d’habitude si prompte à dénoncer les inégalités de traitement, ne bronche pas. «Je comprends l’impatience et l’énervement de certaines personnes dans l’attente de leur troisième dose dans différents cantons romands, glisse la conseillère nationale Stéfanie Prezioso (Ensemble à Gauche). Je suis moi-même à risque puisque je souffre d’un emphysème pulmonaire et je n’ai pas pu obtenir de rendez-vous avant le 11 décembre. Mais la vaccination de rappel des parlementaires un peu avant le reste de la population peut se justifier.»

Le 1er décembre, Stéfanie Prezioso demandait la levée des brevets sur les vaccins contre le Covid lors d'une manif' à Genève.
Photo: DUKAS

Comment? «La Suisse a connu de fortes mobilisations de coronasceptiques et d’antivax. Par conséquent, c’est bien que les élues et élus puissent montrer la voie à suivre et en faire la promotion sur les réseaux sociaux, se réjouit la Genevoise. D’autre part, nous siégeons à 200 dans une salle mal aérée et nous venons des quatre coins de la Suisse, où le virus circule rapidement.»

«La campagne de vaccination est trop lente»

Et sa réflexion va plus loin. «Le problème n’est pas que les parlementaires aient pu déjà recevoir leur rappel contre le Covid, mais que la campagne de vaccination avance trop lentement dans certains cantons! Il faut mettre davantage d’énergie pour aller à la rencontre des gens, dans les quartiers et sur les lieux de travail.»

En réalité, un seul élément chiffonne Stéfanie Prezioso: le financement de l'immunisation des parlementaires contre la grippe par Johnson&Johnson en 2019. «Ce lien est quand même malsain. Dans un pays où l’on refuse de rendre publics les contrats signés avec les entreprises pharmaceutiques productrices de vaccins contre le Covid et où le Parlement vote contre la levée des brevets, ça pose question.» Il aura été difficile de trouver quelqu’un pour hurler avec la meute.

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