«Pas vu ça en 20 ans de CFF!»
Des passagers se cotisent pour payer le billet d'un Syrien

Lundi soir, un Syrien voyageait sans billet entre Zurich et Genève. Pour éviter que la police ne doive intervenir, les passagers se sont cotisés pour lui payer son titre de transport... sous les yeux d'un journaliste de Blick. Récit.
Publié: 21.06.2022 à 11:31 heures
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Dernière mise à jour: 21.06.2022 à 11:38 heures
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

C'est ce qu'on appelle être aux premières loges. Difficile de faire abstraction du «je» dans cet article, puisque l'auteur de ces lignes était par un heureux hasard dans le wagon («voiture», dans le jargon CFF) où s'est produite cette belle histoire, que je ne résiste pas à vous raconter.

Tout a commencé peu après 20h32, lorsque l'InterCity 1 au départ de Zurich s'est mis en branle. Un passager entre dans la voiture 8. L'homme semble agité, et pour cause: lorsque le contrôleur arrive, il n'a pas de titre de transport valable. Ni de papiers d'identité. Ognjen Popovic tente tant bien que mal d'établir la communication.

L'apprenti de 1ère année pour devenir agent de train est polyglotte, mais rien n'y fait: français, allemand, anglais, serbe, russe — les efforts du jeune homme de 21 ans sont vains, le voyageur masqué ne s'exprimant qu'en arabe. Celui-ci parvient tout de même à faire comprendre au contrôleur qu'il veut se rendre chez un ami à Genève. Il exhibe un numéro de téléphone sur un bout de papier.

«Il m'a dit que j'étais un de ses frères», raconte le jeune agent de train en formation.
Photo: Adrien Schnarrenberger

La police en renfort?

«Dans ces cas-là, où la personne ne peut ni présenter de billet, ni de papiers d'identité, la procédure est claire, raconte l'employé des CFF. Je suis obligé de contacter la police pour que celle-ci détermine l'identité du fraudeur. Ensuite, c'est soit la police, soit l'agent de train qui rédige un constat.» Ognjen Popovic a eu la délicatesse d'expliquer cette situation au passager clandestin dans le couloir. Mais, dans la voiture 8, tout le monde a entendu.

Lorsque le Syrien revient dans la voiture, il craque. Pleurant à grosses gouttes, il marmonne quelques mots difficilement compréhensibles, mais surtout un: prison. Cette perspective le fait trembler et semble raviver des traumatismes. À côté de lui, un homme en costard est bien emprunté. Il voudrait aider, tente maladroitement de consoler son voisin de siège tout en respectant une certaine distance physique. Il finit par mettre la main dans sa poche et tend un billet de 20 francs au passager hors-la-loi.

«Geneva, OK?», demande celui-ci, espérant couvrir les frais du voyage. Il est encore loin du compte: l'aller-simple entre les deux centres économiques du pays coûte, sans demi-tarif, 88 francs. Le financier zurichois est emprunté. Il a sorti ce billet spontanément mais n'envisageait pas forcément de payer près de cent francs pour un inconnu. Surtout, le doute s'installe dans la voiture: s'agit-il d'un stratagème pour soutirer de l'argent aux voyageurs crédule?

Berne, hub de générosité

Pas le temps de réfléchir à cette piste, puisqu'une autre voyageuse tend un autre billet rouge. Puis deux autres, 10 francs chacun. Une dernière passagère complète la somme avec 20 francs assortis d'une mise en garde: je vous donne ce billet à condition que vous ne preniez plus le train sans être dans les règles. Le Syrien a-t-il compris? Il continue de pleurer à chaudes larmes, mais pas pour les mêmes raisons.

Entre-temps, tous les Robins des Bois sortent à Berne, visiblement un hub de générosité. À peine le train reparti vers Fribourg, les portes s'ouvrent sur le contrôleur, venu poursuivre la procédure avec la police (prévue pour le terminus à Lausanne). Plot twist, comme disent les scénaristes. «J'entre dans la voiture et voilà que l'homme me tend 80 francs en cash. Je venais de dire à ma formatrice qu'il avait ni sou ni document sur lui!»

L'imbroglio est dénoué par l'auteur de cet article: je raconte à Ognjen Popovic que les autres voyageurs se sont cotisés pour financer le titre de transport du jeune homme. L'apprenti de 21 ans est bouche bée, tout comme sa collègue. «En vingt ans de CFF, je n'ai jamais vu ça», confesse l'employée. Le Serbe non plus: face à ce geste de solidarité, les larmes lui monte aux yeux. En guise de reconnaissance de l'entreprise, l'agent de train en formation m'offre (!) un bon de 6 francs. Malaise: je n'ai pas cotisé, n'ayant que des pièces.

«Désormais, je suis un de ses frères»

«Bon, il manque 8 francs pour arriver au total», fait remarquer l'employée de l'ex-régie fédérale, qui ne perd pas le nord. «Je les mettrai de ma poche», promet l'apprenti, très touché par la scène. Pas la peine: je rassemble la somme manquante et demande aux deux nouveaux compères si je peux leur tirer le portrait. Le passager acquiesce et me tend la main en me disant son prénom, Abdelkader, avant que je ne file à Fribourg.

Ognjen Popovic complète le récit, ce mardi matin. «Je suis revenu vers lui peu avant Lausanne, terminus de cet IC1 Nous avons utilisé Google Traduction pour que je lui explique comment changer de train pour Genève, une manœuvre qui lui faisait un peu peur. Je lui ai détaillé comment se rendre sur la voie 7 à 22h51 et il m'a quitté en me disant que désormais, j'étais un de ses frères.»

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