Pas de preuves suffisantes
Un juge calabrais acquitte les mafieux de Frauenfeld

La Cour d'appel de Reggio Calabria a innocenté mercredi neuf accusés d'appartenir à la 'Ndrangheta. Ils ne pouvaient pas être considérés comme des membres de la mafia. Avant eux, cinq autres personnes avaient été autorisées à rentrer chez elles sans être punies.
Publié: 06.11.2021 à 06:15 heures
Myrte Müller

En août 2014, le monde entier a pu voir ce qui s’était passé trois ans plus tôt dans le club de pétanque d’un pub de Wängi (TG). Une vidéo publiée par la police italienne montre 15 hommes assis à une longue table en bois. Giuseppe B.*, 76 ans prend la parole. Comme un parrain, l’Italien du Sud parle d’honneur, de respect, de tradition et de la «Très Sainte-Mère». C’est le jargon de la 'Ndrangheta. Giuseppe B. baptise les nouveaux membres, promeut les anciens à des rangs plus élevés. Ils viennent tous du nid de la mafia calabraise de Fabrizia.

Puis le porte-parole passe aux choses sérieuses: «Vendez plus de drogues, de la cocaïne, de l’héroïne, tout ce que vous pouvez». Il pouvait livrer une bonne vingtaine de kilos par jour. Ce que le groupe ne soupçonne pas à ce moment-là, c’est que l’arrière-boutique est sur écoute. Une caméra cachée filme tout. Depuis 2010, les «chasseurs de mafia» Nicola Gratteri et Antonio de Bernardo ont la «cellule Frauenfeld» dans leur ligne de mire. Avec l’aide des autorités suisses, ils ont réussi à espionner les hommes suspects en 2011 dans le cadre de l’opération dite «Helvetia».

«Aucun lien avec la mafia ne peut être prouvé»

Finalement, le piège se referme. Les 15 hommes sont arrêtés un par un, jugés en Italie et condamnés à de longues peines de prison, entre 8 et 13 ans dans un premier temps. La «cellule Frauenfeld» semble être dissoute. Sauf que les choses se passent tout autrement.

La vidéo a fait les gros titres dans le monde entier. Elle montre une réunion dans l'arrière-salle d'un pub thurgovien où 15 Italiens du Sud ont été entendus et soupçonnés d'appartenir à la cellule mafieuse de la 'Ndrangheta.
Photo: Blick
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L’homme qui a appelé ses compatriotes à faire le commerce de la drogue lors de l’opération d’écoute et son adjoint sont acquittés en deuxième instance en 2019. L’année dernière, trois autres accusés ont été acquittés. Depuis mercredi, les derniers suspects de la mafia du canton de Thurgovie ont également été blanchis.

D’après le juge de l’affaire, «aucun lien avec la mafia ne peut être prouvé». Lors de la réunion dans l’arrière-salle du pub thurgovien, il n’y a pas eu de tentatives de chantage ou d’intimidation typiques des organisations criminelles. Aucun des deux hommes n’était «mafioso», et il n’y avait jamais eu de cellule de la 'Ndrangheta à Frauenfeld. C’est comme si ces sept années d’investigation n’avaient servi à rien.

«La mafia est désormais plus active à l’étranger qu’en Italie»

La décision du juge scandalise Klaus Davi. Le «chasseur de mafia» et journaliste suisse de 55 ans a vécu l’acquittement comme une douche froide. «Avec tout le respect que je dois à la Cour de cassation, le verdict me perturbe. Les enquêtes menées en Italie et en Suisse m’ont paru extrêmement élaborées et convaincantes, et les efforts du parquet de Reggio Calabria ont été impressionnants», explique le journaliste à Blick. Les photos et les conversations entendues contredisent l’avis du tribunal selon lequel il n’y avait pas de cellule mafieuse à Frauenfeld.

Klaus Davi prévient: «La 'Ndrangheta est désormais plus active à l’étranger, par exemple en Suisse, en Allemagne, au Canada ou en Australie, que dans son pays d’origine». Paolo Bernasconi, ancien procureur et ancien chasseur de mafia, connaît les difficultés du système judiciaire: «La simple appartenance à une organisation criminelle est punissable, mais elle est extrêmement difficile à prouver. C’est le problème des tribunaux italiens». Néanmoins, l’ancien procureur précise à Blick que les enquêtes, les publications et les procès, quels que soient les verdicts finaux, affaiblissent à eux seuls la mafia.

Le chapitre des mafiosi de «Frauenfeld» n’est pas encore complètement clos. Les procureurs ont encore une chance d’écrouer les accusés. En cas d’appel, l'«Opération Helvetia» sera encore portée devant la troisième instance judiciaire. La dernière.

*Le nom a été modifié


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