Notre journaliste Luisa Ita a testé l'armée
«L'exercice de nuit était impressionnant»

L'armée a mal à ses effectifs. Viola Amherd a annoncé sa volonté d'obliger les femmes à assister à la journée d'information. Alors que cette mesure fait débat au Parlement, notre journaliste Luisa Ita a voulu tenter l'expérience sous les drapeaux. Reportage.
Publié: 02.11.2022 à 06:13 heures
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Dernière mise à jour: 02.11.2022 à 07:15 heures
Luisa Ita

Il fait nuit noire. Me voilà allongée sur le sol en béton d'une grange, emmitouflée dans le sac de couchage militaire qu'on m'a distribué à mon entrée en service pour deux jours. Le bout de mon nez est glacé. Soudain, une lumière rouge typique des lampes de poche militaires perce l'obscurité. Tout le monde s'agite aussitôt. Moi pas — je viens de commencer mon aventure et la nuit a été très courte.

«Soldat Ita! Nous avons été repérés par un drone ennemi! Debout!», me hurle une voix masculine. Je réagis sans réfléchir, à l'instinct. J'enroule mon sac de couchage, j'enfile ma tenue de camouflage et je m'aligne avec mes camarades, presque tous des hommes, pour recevoir les ordres. Ma seule «alliée»: Joelle Känzig, 24 ans, aspirante officier.

Joelle Känzig a commencé l'armée en 2019. Elle va bientôt devenir lieutenante.
Photo: Thomas Meier

Seulement 1,4% de femmes

Le fait que l'armée manque de soldats n'est un secret pour personne. «À la fin de la décennie en cours, il nous manquera environ un quart des effectifs», s'inquiétait récemment dans une interview à Blick le chef de l'armée, Thomas Süssli.

Notre journaliste Luisa Ita a testé l'armée suisse, pendant deux jours. Elle a été agréablement surprise par cette aventure, dit-elle.
Photo: Thomas Meier

Voilà qui représente pas moins de 30'000 soldats, soit l'équivalent de la population de Sion. Mais le chef-lieu valaisan compte des hommes et des femmes. À l'armée, celles-ci ne représentent que 1,4% de l'effectif. Sont-elles la solution à ce manque de personnel?

Viola Amherd semble le penser. La conseillère fédérale valaisanne a annoncé récemment que la journée d'information serait bientôt obligatoire pour tous. En réalité, ce n'est pas si simple: la mesure nécessite rien de moins que la modification de la Constitution — et donc une votation populaire. La proposition est donc très controversée sous la Coupole.

Aucun traitement spécial

À quoi cela ressemble, la vie d'une femme dans l'armée? Moi, Luisa Ita, 27 ans, j'ai voulu le savoir. Et cela tombe bien: l'armée a accepté ma requête. Le commandant d'école Dominik Belser m'attendait ce matin pour mon essai sur mesure de deux jours à la place d'armes de Thoune, dans le canton de Berne.

«Chez nous, à l'école d'officiers d'artillerie, nous avons moins de femmes que la moyenne. Peut-être qu'elles ont moins confiance en elles parce que c'est une arme particulièrement éprouvante, m'explique l'officier de 48 ans. Mais je suis convaincu que chaque femme pourrait y arriver sans problème.»

Mon premier salut militaire.
Photo: Thomas Meier

Il n'y a pas de traitement spécial pour les femmes. C'est important pour l'acceptation par les camarades masculins, m'a soufflé celui qui a le grade de colonel EMG, pour état-major général.

Un maquillage... de camouflage

En réalité, moi, j'ai le sentiment que je vais devoir faire mes preuves. Je suis nerveuse lorsque le haut-gradé m'envoie à l'arsenal. Je dois m'y habiller rapidement pour pouvoir aller directement dans la forêt où m'attend Joelle Känzig.

La jeune femme est aspirante officier. «J'aimerais bien qu'on m'appelle 'aspirant', parce que je n'aime pas trop ce terme féminisé», me dit-elle en guise d'introduction. Nous ne perdons pas trop de temps avec les salutations: elle me donne directement un pot de peinture de camouflage. Le maquillage est un peu différent, ce matin.

Me voilà avec ma supérieure d'un jour.
Photo: Thomas Meier

Cette Argovienne a tout de même l'occasion de me raconter qu'elle a fait son apprentissage d'employée de commerce à l'armée, avant un deuxième apprentissage en tant que mécanicienne en automobile.

«Vous avez besoin d'aide, soldat Ita?»

Cela fait depuis 2019 qu'elle effectue son service militaire, de manière fractionné. Elle est actuellement éclaireuse (ou éclaireur, préférera-t-elle) de chars et possède le grade de sergent. En attendant celui de lieutenant(e), si elle finit son école d'officiers avec succès. Elle en est à la huitième semaine.

Pourquoi avoir voulu faire l'armée alors qu'elle n'y était pas tenue? «J'aime diriger des gens et j'apprécie beaucoup la camaraderie. Je ne connaîtrai probablement jamais une telle cohésion dans la vie civile», m'explique Joelle Känzig.

En outre, ma nouvelle sœur d'armes, qui est en réalité ma supérieure pour deux jours, m'explique qu'il y avait une composante de défense de l'égalité des genres. Elle aimerait qu'hommes et femmes soient traités de la même manière sous les drapeaux: «Normalement, le règlement stipule que j'ai le droit à une place séparée en tant que femme. Mais je ne le réclame pas: je suis simple.»

Je découvre les joies du camouflage.
Photo: Thomas Meier

Pas de toilettes

Nous poursuivons notre route vers Müntschemier (BE), à la frontière avec le canton de Fribourg. Nous nous installons dans la grange d'une ferme pour un exercice nocturne. Objectif: observer un pont sans se faire repérer. «Vous avez besoin d'aide pour porter votre sac, soldat Ita?», me demande Joelle Känzig. «Non, ça va», réponds-je en le mettant sur mon dos. L'Argovienne sourit: «C'était la bonne réponse.»

Les heures défilent rapidement. Après l'installation du poste d'observation et du camp de nuit, le repas du soir est servi. La nourriture, toute prête, n'a pas beaucoup de goût. Mais elle fait le travail, comme l'on dit. Il est déjà l'heure d'aller dormir. Je m'allonge dans mon sac de couchage avec une seule pensée: il n'y a pas de toilettes, ici. Je dois donc tenir bon.

Le début effréné de la journée du lendemain ne me fait même pas repenser une seule fois à ces histoires de toilettes. Et les hommes ont beau être en surnombre, la différence entre eux et nous ne se fait pas du tout sentir. Pas le temps de pavoiser pour autant. Le rugissement d'un gradé me ramène à la réalité. «Qu'est-ce que c'est que cette salade de câbles?», demande-t-il en regardant dans la remorque où est rangé le poste démonté un peu plus tôt.

Un bilan très positif

Il faut se dépêcher de tout recommencer correctement, pour que nous puissions rentrer à Thoune. Là, c'est un Eagle qui m'attend. Une sorte de char d'assaut. Nous roulons par monts et par vaux, traversons des immenses flaques. L'eau gicle face à la puissance du véhicule. Joelle Känzig rayonne de bonheur et je dois bien avouer que j'y prends aussi un plaisir non dissimulé.

Notre Eagle est vraiment tout terrain.
Photo: Thomas Meier

De retour à la caserne, c'est déjà la fin de mon expérience militaire. Mon uniforme retrouve l'arsenal, et je peux enfiler mon jean. Si je me réjouis de retrouver un vrai lit et une douche chaude, j'ai été agréablement surprise par cette aventure. Et la simplicité avec laquelle les femmes et les hommes ont collaboré, tout au long de cette expérience.

Avec ce qui se passe en Ukraine, l'exercice de nuit était d'une terrifiante actualité.
Photo: Thomas Meier
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