Monica Bonfanti, commandante de la police genevoise
«La police de Genève a saisi 3604 armes blanches depuis 2019»

À lire les gros titres, l'actualité genevoise a été marquée par plusieurs attaques au couteau, ces derniers mois. Est-ce un vrai phénomène? Faut-il s'en inquiéter? Blick fait le point avec la cheffe de la police du bout du Léman, Monica Bonfanti.
Publié: 14.08.2023 à 17:08 heures
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Dernière mise à jour: 14.08.2023 à 18:04 heures
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Une mère qui sort dans la rue ensanglantée, son bébé dans les bras. Un jeune de 18 ans poignardé peu avant minuit qui succombe à ses blessures. Un passant apparemment bienveillant qui se prend un coup de lame — en plein jour, dans l’une des artères les plus passantes de la ville — pour avoir voulu stopper une dispute…

Plusieurs attaques au couteau, parfois à l’issue fatale, ont en effet rythmé l’actualité et fait les gros titres à Genève, depuis le mois de mai de cette année. Faut-il s’en inquiéter? Vivons-nous dans une Suisse plus dangereuse qu’auparavant? Blick a passé un coup de fil à la commandante Monica Bonfanti, pour parler couteaux, statistiques de criminalité, et faire le point.

La cheffe de la police nous dévoile le nombre d’armes blanches saisies dans le canton ces dernières années. Et explique en quoi l’idée selon laquelle les atteintes à l’intégrité corporelle seraient devenues plus fréquentes est plutôt une illusion d’optique qu’une réalité. Interview.

La commandante de la police de Genève, Monica Bonfanti, est en place depuis presque deux décennies. Est-ce que la criminalité a augmenté, depuis son arrivée? On fait le point. (Image d'archives)
Photo: Police de Genève

Monica Bonfanti, plusieurs attaques au couteau ont fait les gros titres, à Genève ces trois derniers mois. Mais les chiffres ne semblent pas beaucoup varier d’année en année, en réalité. Le fait que ces agressions sont devenues plus courantes est donc une illusion, alimentée par les médias?
Au niveau des infractions contre la vie et l’intégrité corporelle, les chiffres n’ont en effet pas augmenté depuis 2019. Ils ont même baissé, en réalité. Après, il est clair que les affaires qui impliquent des couteaux ont toujours une très grande chambre d’écho médiatique. Ce qui donne lieu à des questionnements de la part de la population: que fait la police pour prévenir ces cas? Faut-il changer quelque chose?

Et que répondez-vous à cela?
Aujourd’hui, nous essayons d’occuper le terrain un maximum pour lutter contre tous types de violences, et pacifier au mieux la voie publique. En 2022, plus de 17’000 opérations de police et plus de 50’000 contrôles ont été effectués dans le canton. Cela a permis beaucoup d’actes de prévention. À titre d’exemple, pour revenir aux couteaux: entre l’année 2019 et fin juin 2023, la police genevoise a saisi 3604 armes blanches, dont 883 couteaux. Par ailleurs, nous avons également saisi 456 matraques et matraques télescopiques, 418 sprays OC et CS, et 349 poings américains. Le restant des objets saisis sont des pointeurs laser, des appareils à électrochoc, ainsi que des étoiles à lancer.

Ici, à titre d'exemple, un poing américain dissimulant une lame rétractable, saisi par la police de Genève.

Vous êtes en poste depuis presque deux décennies. Est-ce que vous diriez que la criminalité monte vraiment en flèche ces dernières années, comme semblent le dire certains partis politiques, à l’image de l’UDC?
C’est plus compliqué que cela. Certains délits, comme les cambriolages, ont nettement diminué depuis les années 1980. Mais, parallèlement, de nouveaux types d’infractions sont arrivés: tout ce qui est cybercriminalité, par exemple. Mais surtout, ce qui a changé, c’est que nous avons une vision beaucoup plus précise de ce qu’il se passe sur le terrain dans toute la Suisse. Car nous avons déployé des efforts considérables, depuis plus d’une décennie, pour avoir une vision d’ensemble de la criminalité au niveau national. Ce n’était pas le cas il y a vingt ans: chaque canton comptabilisait les infractions de façon différente, à l’époque. Même si certaines données sont encore sujettes à beaucoup d’interprétations.

Lesquelles, par exemple?
On peut prendre l’exemple de la problématique des stupéfiants. Les infractions qui sont répertoriées par la police sont davantage le reflet de l’action de la police que du nombre réel d’infractions commises. Et cela s’applique à beaucoup d’autres domaines: plus j’instaure de contrôles, plus je vais pouvoir recenser d’infractions sur mon territoire. Puis, il y a ce que nous appelons le «chiffre noir»: à savoir les infractions qui échappent à notre recensement. Ce chiffre varie beaucoup selon le type d’infractions dont on parle: il est très bas pour ce qui est, par exemple, des cambriolages — ces derniers étant reportés dans environ 95% des cas. Mais certainement bien plus haut en ce qui concerne les délits à caractère sexuel, dont moins de 20% sont dénoncés à la police.

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«Nous avons accès à des statistiques que nous n’avons jamais eues auparavant, ces dernières années»
Monica Bonfanti, Commandante de la police de Genève
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Donc, en réalité, chiffrer la criminalité, c'est mission impossible...
Évidemment, les chiffres ne disent pas tout. Mais, aujourd’hui, nous avons de plus en plus d’outils qui nous permettent de mieux la chiffrer, en tout cas. À savoir les sondages auprès des victimes, et les sondages de délinquance autoreportée, par exemple. Dans ce second cas, on demande aux gens quel type d’infraction ils ont commis, sous le sceau de la confidentialité. Puis, il y a le ressenti des policiers sur le terrain. Grâce à tout cela, une image plus précise de ce qu’il se passe dans la pratique se dessine. Nous avons accès à des statistiques que nous n’avons jamais eues auparavant, ces dernières années. Ça, c’est certain.

Vous êtes criminaliste, de formation. Le chercheur en criminologie suisse André Kuhn a récemment déclaré, sur les réseaux sociaux et sur nos plateformes, que moins de police dans les rues ne ferait pas forcément monter la criminalité. Qu’en pensez-vous?
C’est une approche de la sécurité que je qualifierais… d’académique. André Kuhn présente d’ailleurs lui-même ses propos comme étant une hypothèse. S’il souhaite étudier l’idée selon laquelle moins de police ne ferait pas forcément augmenter la criminalité, qu’il le fasse. Nous pourrons en reparler une fois qu’il a obtenu des résultats concrets.

D’après les derniers chiffres de la Confédération (2022), le canton de Genève est celui qui affiche le plus haut taux de vols et d’actes de violence (homicides, menaces, lésions corporelles, viols…) de la Suisse romande. Comment expliquer cela?
J’ai l’impression que, lorsqu’on fait des comparaisons intercantonales comme ceci, on compare un peu des pommes et des poires. Nous savons que la criminalité se concentre davantage en milieu urbain. Genève est, justement, marquée par son caractère urbain, et son positionnement au cœur de la région transfrontalière. En matière de criminalité, Genève est un pôle d’attraction, notamment pour les criminels de France voisine — et plus largement encore. Quoi qu'il en soit, c'est au niveau des villes que devraient se faire les comparaisons, afin d’être pertinentes.

Et si on compare Genève à Lausanne, par exemple, ça donne quoi?
En se basant sur cet indicateur, la ville de Genève avait un taux de 8,5% d'infractions de violence pour mille habitants en 2021, et de 9,4% en 2022. La ville de Lausanne enregistrait, quant à elle, un taux de 11,5% en 2021 et de 12,2% en 2022.


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