Mais pourquoi? Un expert répond
«La pauvreté reste fortement stigmatisée. Beaucoup ont honte de faire appel à l'aide sociale»

Les dépenses pour l'aide sociale ont baissé de manière significative en 2022. Le directeur de la fondation SOS Beobachter et Humanitas explique les raisons de ce changement. Interview.
Publié: 29.03.2024 à 20:21 heures
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Dernière mise à jour: 29.03.2024 à 20:27 heures
Andri Gigerl

Ce sont des chiffres surprenants: Les dépenses pour l'aide sociale ont baissé de 9,2% en 2022 par rapport à l'année précédente. Moins de personnes la perçoivent et les dépenses par bénéficiaire ont nettement diminué. C'est ce qu'a récemment expliqué l'Office fédéral de la statistique (OFS).

Mais que disent ces chiffres? La fondation SOS Beobachter soutient les personnes touchées par la pauvreté là où les pouvoirs publics ne le font pas. Elle a ainsi un aperçu de la réalité de ceux pour qui leur revenu ne suffit pas pour vivre. Beat Handschin, directeur de la fondation, fait le point. Interview

Beat Handschin, des dépenses en baisse et moins de bénéficiaires de l'aide sociale en 2022: les pauvres se portent-ils mieux en Suisse?
Non, je pense que cette conclusion est malheureusement prématurée. On ne peut pas simplement déduire des chiffres de la Confédération qu'il y a fondamentalement moins de pauvreté.

«Aujourd'hui, beaucoup de gens ont honte d'être pauvres», explique le président de la fondation SOS Beobachter. Pour lui, les choses doivent changer.
Photo: KEYSTONE

Pour quelle raison?
Ce n'est pas parce que nous avons moins de dépenses et moins de bénéficiaires qu'il y a moins de personnes qui ont droit à l'aide sociale. Nous le constatons tous les jours dans notre travail: beaucoup renoncent volontairement à l'aide sociale ou, en tant que «working poor», n'y ont tout juste pas le droit. Mais les chiffres publiés ne tiennent pas compte de tout cela.

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«La pauvreté reste fortement stigmatisée. Beaucoup ont honte de faire appel à l'aide sociale»
Beat Handschin, directeur de la fondation SOS Beobachter
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Pourquoi renoncer volontairement à l'aide?
Nous y voyons principalement deux raisons. D'une part, la pauvreté reste fortement stigmatisée. Beaucoup ont honte de faire appel à l'aide sociale. Les personnes qui n'ont pas la nationalité suisse risquent en outre d'avoir des problèmes avec leur permis de séjour ou leur naturalisation si elles font appel à l'aide sociale. Elles renoncent donc souvent par peur et vivent dans certains cas bien en dessous du minimum vital.

Les chiffres montrent aussi que les dépenses par bénéficiaire ont baissé de 6,2%. Pourtant, avec l'inflation et la crise énergétique, le coût de la vie n'a fait que d'augmenter en 2022.
Cela pourrait notamment s'expliquer par le fait que ces frais quotidiens ne sont souvent pas pris en charge par l'aide sociale. La plupart des gens doivent les assumer eux-mêmes. Une facture d'électricité plus élevée doit par exemple être payée par les besoins de base et ne pèse pas directement sur les dépenses sociales. Mais les personnes concernées le ressentent naturellement dans leur porte-monnaie. Le fait que les services sociaux soient très restrictifs et qu'il y ait peu de marge de manœuvre va également dans ce sens. Les économies sont souvent réalisées sur le dos des personnes concernées.

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«Est-il juste que des personnes doivent craindre des conséquences négatives en cas de recours à l'aide sociale, par exemple pour leur permis de séjour?»
Beat Handschin, directeur de la fondation SOS Beobachter
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Où les services sociaux voient-ils des possibilités d'économie?

Il y a de nombreux exemples. Souvent, les cours ou les formations continues ne sont pas payés. Bien que ceux-ci aideraient les personnes en situation de pauvreté à améliorer leur situation financière à long terme. Ou bien, on fait preuve de peu d'indulgence lorsqu'une personne se présente trop tard à l'aide sociale, mais qu'elle doit peut-être déjà payer un loyer. Mais cela varie évidemment beaucoup d'une commune à l'autre.

Faut-il que les choses changent sur le plan politique?
C'est difficile à dire. On peut certainement se poser la question suivante: est-il juste que des personnes doivent craindre des conséquences négatives en cas de recours à l'aide sociale, par exemple pour leur permis de séjour? Mais je souhaiterais surtout un changement au niveau social.

Lequel?
Que la pauvreté ne soit plus stigmatisée. Aujourd'hui, beaucoup de gens ont honte d'être pauvres. Et là, je veux être clair: la pauvreté peut toucher tout le monde, nous le voyons régulièrement. Il n'y a pas lieu d'en avoir honte. Mais il faut changer l'état d'esprit de la société. Pour que les personnes concernées fassent réellement appel aux prestations auxquelles elles ont droit.

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