Les clients ne reçoivent rien
Les banques préfèrent empocher les bénéfices sur les intérêts

Les banques distribuent les revenus des opérations d'intérêts sous forme de bonus à leurs collaborateurs. Les épargnants de leur côté n'en profitent pas. Deux dirigeants de banque se défendent de la répartition de bénéfices exceptionnels.
Publié: 21.08.2023 à 15:17 heures
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Dernière mise à jour: 22.08.2023 à 12:40 heures
Beat Schmid*

C'est arrivé sans crier gare: la Banque cantonale d'Argovie (AKB) est désormais l'une des banques les plus rentables de Suisse. La banque, propriété du canton de la Rüebli, a réalisé un brillant résultat au premier semestre. Le ratio coûts/revenus a baissé de 7 points de pourcentage pour atteindre le niveau record de 41,8%. Cela signifie que pour gagner un franc, la banque ne doit dépenser que 41,8 centimes – une situation spectaculaire.

En d'autres termes, pour chaque franc encaissé, 58,2 centimes restent dans les caisses en tant que bénéfice. Dans l'économie réelle, on parlerait d'une marge bénéficiaire de 58,2%. Aucun autre secteur n'atteint des marges aussi élevées que celles des banques – pas plus que l'industrie pharmaceutique très rentable ou les groupes de luxe.

A titre de comparaison, dans le monde de l'industrie orientée vers l'exportation, des marges de 10% sont généralement le summum. Si une entreprise gagne plus, la pression sur les prix vient inévitablement pour les clients. Un exemple: le constructeur de trains Stadler Rail a réalisé en 2022 une marge bénéficiaire brute de 5,5%. Même les fournisseurs de niche extrêmement performants au niveau mondial, qui ont un énorme pouvoir de fixation des prix, comme l'entreprise de climatisation Belimo, réalisent des marges d'à peine 20%.

La hausse des taux d'intérêt permet aux banques de réaliser des bénéfices records – sur le dos des épargnants et des PME.
Photo: Getty Images/Imagebroker RF
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Avec un ratio coûts/revenus de 41,8%, la Banque cantonale argovienne se rapproche de la Banque cantonale de Fribourg (BCF), considérée comme l'établissement le plus rentable de Suisse. Dans un autoportrait, la BCF écrit qu'elle est «souvent citée en exemple en matière d'efficacité». Si l'on jette un coup d'œil aux comptes de résultats des banques, on comprend vite ce qui a fait grimper les bénéfices au premier semestre: ce sont les revenus des opérations d'intérêts qui ont connu une croissance à deux chiffres. A la BCF, ils ont augmenté de 36%, à l'AKB de 44% et chez Swissquote de 587%.

Des gains aléatoires sans effort

Les revenus en hausse des opérations d'intérêts sont des gains aléatoires classiques ou des bénéfices exceptionnels. Ce sont des bénéfices qui tombent tout simplement du ciel. Les banques n'ont pas besoin de faire d'efforts pour cela, il n'y a aucune performance derrière. Depuis que la Banque nationale suisse (BNS) a relevé son taux directeur en plusieurs étapes à 1,75%, les liquidités des banques commerciales sont rémunérées à ce taux. Au premier semestre, la BNS a versé aux banques un total de 3,3 milliards de francs d'intérêts.

Celles-ci gardent cet argent pour elles. Elles ne répercutent pas largement les intérêts sur les épargnants. Elles ne le font souvent que pour des produits de niche comme les obligations de caisse ou des plans d'épargne spéciaux. Pour les comptes d'épargne normaux, les taux d'intérêt des banques dominantes comme UBS et Raiffeisen sont modestes (UBS: 0,75% jusqu'à 50'000 francs, 0,3% au-delà); Raiffeisen: 0,6%). Pour les comptes salaires, il n'y a toujours pas d'intérêt.

D'un autre côté, les banques ont immédiatement adapté les taux d'intérêt hypothécaires à l'évolution des taux. Elles ont également renchéri les crédits pour les PME. La plupart du temps avec la justification aventureuse que les risques de défaillance ont augmenté en raison de la hausse des taux d'intérêt et qu'il faut donc exiger encore plus.

Tout cela a pour conséquence que les marges d'intérêt des banques suisses crèvent le plafond. Comme pratiquement toutes les banques se comportent de la même manière, il n'y a pas de pression sur les différents établissements. De même, personne ne tape fort sur la table, ni les politiques, ni le surveillant des prix, ni la commission de la concurrence. Un impôt sur les bénéfices exceptionnels, tel que celui imposé aux banques par la cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni, serait impensable en Suisse.

Les politiques se taisent également parce que de nombreuses banques appartiennent à l'Etat et améliorent les finances cantonales grâce aux bénéfices qu'elles distribuent. Mais les banques elles-mêmes empochent aussi les bénéfices excédentaires. Ainsi, l'AKB a nettement augmenté les salaires au premier semestre. Au total, la masse salariale a augmenté de 9,9%. Elles peuvent largement se le permettre.

Pas de mauvaise conscience?

Un chef de banque n'a-t-il pas mauvaise conscience? Le patron de la Banque cantonale d'Argovie (AKB), Dieter Widmer, affirme que les membres de la direction n'ont pas reçu d'augmentation de salaire. L'augmentation de salaire pour tous les autres collaborateurs serait «légèrement» supérieure à celle de la branche. Le résultat n'a pas non plus été obtenu «au détriment des clientes et clients», selon Widmer. Comme toutes les banques, l'AKB a «souffert de la phase des taux d'intérêt négatifs». Aujourd'hui, sa banque offre une «rémunération supérieure à la moyenne» sur les avoirs en compte.

Les collaborateurs de Swissquote profitent encore plus du changement de taux. Les charges de personnel ont augmenté de 31% au premier semestre. La banque distribue justement l'argent sous forme de bonus. Pour le CEO Marc Bürki, les revenus d'intérêts font «partie du quotidien et de la performance globale d'une banque». «La situation actuelle en matière d'intérêts n'est pas simplement un bénéfice exceptionnel, mais une normalisation après des années de taux d'intérêt négatifs», dit-il. «Les taux d'intérêt négatifs étaient fondamentalement une situation anormale, qui a été corrigée.»

Les banques, victimes des taux d'intérêt négatifs? La situation actuelle n'est-elle qu'une normalisation? La réponse est non: les bénéfices et les marges bénéficiaires de nombreuses banques n'ont jamais été aussi élevés qu'aujourd'hui.

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