L'argent avant la morale
Voici comment la ville de Berne a obtenu des milliards de la FIFA

En six ans, la Fédération internationale de football (FIFA) a prêté 1,8 milliard de francs à la ville de Berne. Comment cela a-t-il pu être possible? Grâce à une faille dans la loi.
Publié: 15.01.2023 à 20:53 heures
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Dernière mise à jour: 15.01.2023 à 20:59 heures
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Reza Rafi

Les observateurs du paysage politique suisse ont été étonnés pendant la Coupe du monde de football. C'est justement la ville de Berne, plutôt de gauche, qui s'est distinguée par son attitude libérale face à cet événement moralement controversé au Qatar.

La projection des matches dans le domaine public a été rendue possible sans trop de problèmes. Et ce, alors que dans de nombreuses grandes villes en Suisse romande et alémaniques avaient interdit les fan zones.

Depuis 2017, des prêts à hauteur de 1,8 milliard

La raison de l'orientation favorable au Qatar de la capitale pourrait avoir une dimension politico-financière, dont l'ampleur n'est connue que depuis ce samedi 14 janvier. L'exécutif bernois et le président de la FIFA Gianni Infantino y ont participé.

Cela a été rendu public: Berne aurait reçu un peu plus d'un milliard de la part de la FIFA.
Photo: Shutterstock
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Voici le contexte: deux parlementaires du Centre et du PLR sont tombés sur des crédits de la FIFA dans les comptes annuels bernois. Sollicitée, la ville a révélé qu'elle avait reçu l'année dernière 158 millions de francs de la fédération sportive.

Samedi, les autorités ont joué cartes sur table et ont stupéfié toute la nation. Depuis 2017, la capitale suisse a perçu des prêts à hauteur de 1,8 milliard de francs – sans compter des intérêts négatifs qui ont représenté trois millions de francs sur la période en question. L'affaire s'est déroulée via Loanboox, une plateforme de capital étranger.

Un politicien du PS défend la FIFA

Avoir la FIFA comme source de liquidités suscite des interrogations et révèle une morale à deux vitesses. Le responsable des finances de la ville de Berne, Michael Aebersold, s'exprime comme un lobbyiste de la FIFA.

Dans l'interview qu'il a accordée aux journaux de Tamedia, ce penchant apparaît clairement. Lorsque Michael Aebersold différencie les problèmes liés au Qatar jusqu'à les rendre méconnaissables, lorsqu'il indique que l'exécutif décide «sur la base de faits» plutôt que d'aspects moraux, lorsqu'il souligne que la fédération n'a «jusqu'à présent pas été condamnée» pour corruption et que la FIFA a certes attribué la Coupe du monde à l'émirat «il y a des années» - mais, selon lui, elle ne l'a pas construite là-bas. D'ordinaire, les politiciens du PS prennent moins de pincettes lorsqu'il s'agit de critiquer la FIFA et la Coupe du monde 2022.

La question de l'origine des moyens financiers se pose avant tout. Depuis son ascension au rang de machine à brasser des milliards, des accusations de cas présumés de corruption, de gestion déloyale et de fraude circulent dans l'entourage de la FIFA. Pourtant, elle conteste toutes ces accusations et se présente comme partie lésée dans les procès.

L'Inspection des finances a fait des contrôles

Selon la ville de Berne, les fonctionnaires du monde du football ont toujours fait la meilleure offre pour combler les trous des rentrées fiscales. Mais les pouvoirs publics ne se placent-ils pas ainsi dans une zone à risque?

«La FIFA ne dispose d'aucune autorisation en tant que banque ou pour d'autres services financiers soumis à autorisation en Suisse», précise Tobias Lux de l'Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma).

Les 1,8 milliard se sont pourtant frayé un chemin à travers une faille légale. Les crédits peuvent être octroyés en Suisse sans autorisation. Seulement, ceux qui le font à titre professionnel sont soumis à la loi sur le blanchiment d'argent, donc à des règles de conformité et de contrôle strictes.

Mais les deux parties contractantes à Berne et à Zurich bénéficient d'une exception. «C'est le cas, par exemple lorsque les prêts sont accordés sans intérêt ni frais», détaille Tobias Lux. Ainsi, tant que la FIFA ne perçoit pas d'intérêts, cela se passe sans autre surveillance.

L'Inspection des finances de la ville de Berne avait déjà examiné de près les emprunts d'argent via Loanboox, comme l'explique sa directrice Shanna Wagner. En 2022, une nouvelle enquête de routine a été menée sur cette pratique. «En janvier, le respect des directives sur la gestion des dettes et des actifs a été contrôlé», explique la directrice. L'enquête s'est notamment concentrée sur les «questions de technique financière», et le résultat était «bon».

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