Cette sexagénaire est «restée baba» devant la façade de la grande salle de son village de Forel (Lavaux), dans le canton de Vaud, lors de sa promenade du lundi 15 avril. «Tu n'es pas un chien, tu es un consommateur de filles», «Je te mettrais bien la main au cul, mais c'est malpoli»: voici les phrases relevées par l'habitante de la petite commune sur de grands panneaux rouges et verts.
Derrière ces «décorations»? La Jeunesse campagnarde de Forel, qui organise son édition du «concours théâtral» de la Fédération vaudoise des jeunesses campagnardes (FVJC). Pendant cinq jours, entre mercredi et dimanche, 1000 à 2000 personnes sont attendues à cette manifestation, qui «fédère» tous les deux ans les Jeunesses du canton autour des arts de la scène.
«Ce n’est pas possible, témoigne pour Blick la citoyenne. Ces trucs-là, à la vue de tout le monde et même des enfants, ce n’est pas très adéquat.» Elle voit derrière ces phrases «une image dégradante pour les filles et les femmes». Du sexisme dans l'espace public, en somme.
Avant d'assumer, le président se justifie...
Avec sa commune en copie, elle transmet par e-mail ses inquiétudes au président d'organisation de l'événement, Corentin Zingg. Le Forellois de 26 ans, président de sa Jeunesse six ans durant, se défend des accusations de sexisme. Sous couvert d'un «but humoristique», il botte en touche: «Peut-être que, hors contexte, ces phrases sont déplacées, mais en prenant le métro cet après-midi, j’ai entendu bien pire», peut-on lire dans sa réponse à la riveraine.
Il avance aussi comme parade le nombre de femmes dans sa Jeunesse, ainsi que la composition du trio dédié à la décoration: deux femmes, un homme. «Ces affiches ont été imaginées par des filles/garçons et peintes par des filles qui, je peux vous le dire, trouvaient ces phrases drôles et non sexistes.» Contacté jeudi par téléphone, il insiste sur ce point: «Nous sommes 33 membres de l'organisation du concours théâtral, dont 17 femmes… enfin, filles puisqu'elles ne sont pas mariées.»
S'excuser et retirer les panneaux
Après le mail de l'habitante, un appel avec le Syndic de Forel et des membres de la FVJC, puis un premier contact avec Blick mercredi soir, le comité décide jeudi matin de se débarrasser de ces affiches. «C'est une faute de notre part, dont on est conscients. Ces panneaux vont être retirés, pour éviter les quiproquos ou les malentendus», explique le responsable au téléphone.
En deux jours, le discours de Corentin Zingg a changé. «Nous avons fait cette décoration dans un but de sensibilisation. La FVJC a fait une campagne contre le harcèlement, que nous avons voulu parodier.» Quelques clarifications s'imposent. En 2022, l'arrivée de Lucie Theurillat à la présidence de la «Fédé» accélère le débat sur l'inclusion et le respect de toutes et tous au sein des Jeunesses vaudoises, explique à Blick le vice-président, Daniel Turin — la présidente étant absente. «Nous avons par exemple formé les responsables de bar au dispositif 'Angela', qui permet de faire appel à de l'aide en cas de harcèlement», souligne le responsable des médias.
Rapidement après sa nomination, la deuxième femme de l'histoire à accéder à ce poste constitue un groupe de travail «prévention et intégration». Elle «lance des campagnes portant sur ces sujets d'actualité», se souvient le vice-président et porte-parole. Des affiches aux messages forts sont créées, puis placardées autour des sanitaires, des stands d'information et des tonnelles lors des «événements fédérés». Ce sont ces phrases, insistant sur ce qui est «ok» ou non de faire, que «parodie» l'équipe d'organisation du concours théâtral de Forel (Lavaux).
La fédération et la commune répondent
Le vice-président de la FVJC ne voit pas de moquerie dans la décoration incriminée, mais souligne une «maladresse». «La FVJC salue la décision d'enlever ces affiches qui ont pu heurter, et espère que la Jeunesse de Forel a eu l'occasion de discuter avec les personnes concernées. Il n'y avait pas de volonté de blesser.»
Contacté, le syndic Bernard Perret s'en réfère à la loi et se félicite d'avoir participé à désamorcer la situation. «Lors de notre contact, nous leur avons rappelé le règlement communal en vigueur, raconte l'élu. Il n'y a pas eu besoin d'insister. La Jeunesse regrette ces affiches inopportunes et a corrigé le tir. Ce qui est important, c'est que la fête soit belle.»
Daniel Turin note encore que sur les cinq membres du bureau central vaudois, dont il fait partie, trois responsables sur cinq sont des femmes. En ce mois d'avril 2024, au sein des comités des Jeunesses du canton, la proportion est de 57% d'hommes pour 43% de femmes. Sur l'ensemble des membres vaudois et vaudoises, le décompte de la FVJC arrive à 61% d'hommes pour 39% de femmes.
La Jeunesse de Forel prépare le concours théâtral depuis janvier 2023, après avoir été sélectionnée face à d'autres villages de la campagne vaudoise. Elle a reçu le soutien de sa commune dans la location de la salle des fêtes, redécorée par des phrases sexistes durant quelques jours.