Immersion à Genève
Voici l'homme qui répartit les rentes AVS

Pour que tous les retraités reçoivent leur AVS chaque mois, il faut un système bien huilé. La Centrale de compensation à Genève est particulièrement importante à cet égard. Son directeur, Adrien Dupraz, explique comment son administration répartit les milliards.
Publié: 11.03.2024 à 16:02 heures
Lynn Scheurer

Lorsqu'Adrien Dupraz arrive à l'aéroport de Zurich après ses vacances, il jette un coup d'œil sur son téléphone portable et apprend que la votation sur une 13e rente a été acceptée. Le directeur de la Centrale de compensation (CdC) prend une grande inspiration. Sa première pensée: «Cela va nous donner beaucoup, beaucoup, beaucoup de travail.» La deuxième: «Mais nous allons le faire. Le peuple a toujours raison.»

A Genève, un immeuble de bureaux tout ce qu'il y a de plus classique: moquette grise, grandes fenêtres. Le chef a son poste de travail au dernier étage, mais sa chaise est poussée dans un coin de la pièce – «je préfère rester debout.»

Adrien Dupraz veille à ce que nous puissions tous bénéficier de l'AVS. Pour comprendre, une petite digression s'impose: supposons qu'un retraité veuille toucher sa rente. Sa caisse de compensation – par exemple celle de son canton ou de son association professionnelle – communique à la CdC le montant dont elle a besoin pour verser la rente. La CdC transfère le montant. Le principe vaut pour tous les bénéficiaires de l'AVS. C'est ainsi que, depuis cet immeuble de bureaux genevois, près de cinq milliards de francs de rentes AVS, AI et autres atterrissent chaque mois dans le porte-monnaie des Suisses via les caisses de compensation.

Derrière la façade discrète de la Centrale de compensation se cache le centre de commandement de l'AVS.
Photo: Kurt Reichenbach
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800 employés et quelques colonies d'abeilles

Sur le toit se trouvent des ruches qui produisent le miel de la Centrale de compensation. «Les abeilles sont nos travailleuses au noir», plaisante Adrien Dupraz. Sous le toit, il a plus de 800 employés, des humains cette fois. Dans une salle de réunion avec vue sur le jet d'eau, le directeur prend le temps d'expliquer les particularités de son administration presque inconnue.

Le fait que ses collaborateurs manipulent quotidiennement des millions n'angoisse pas Adrien Dupraz. «Nous n'avons jamais eu de panne – tout au plus un retard.» Et Adrien Dupraz est habitué aux «sommes astronomiques»: avant de devenir directeur de la CdC, il a été pendant 18 ans à la tête de la Caisse fédérale de compensation – c'est elle qui verse notamment l'AVS aux employés de la Confédération.

Cela fait presque 30 ans qu'Adrien Dupraz s'occupe de cette gestion. «Même si je ne voulais rester qu'un an:» Le juriste fribourgeois avait suivi sa femme à Genève. «A l'époque, je venais de faire mon stage d'avocat et je me suis dit: maintenant, tu vas prendre le premier job que tu trouves à Genève.»

L'AVS, «une assurance fondamentalement solidaire»

S'il est désormais expert en matière de retraite, c'est semble-t-il en raison de son enthousiasme pour l'AVS. «C'est tout simplement une assurance fondamentalement solidaire. C'est un service pour tous les habitants de ce pays. Nous savons que les gens ont besoin de toucher cet argent. C'est pourquoi tout doit super bien fonctionner chez nous.»

Adrien Dupraz semble non seulement trouver sa tâche de dispensateur suprême de l'AVS intéressante, mais parfois même drôle. Premier exemple: «Nous avons eu le cas d'une personne qui voulait changer son numéro AVS, ce qui n'est en fait pas possible – elle avait trois fois de suite un six et ne se sentait pas à l'aise avec ce chiffre du diable.» C'est la CdC elle-même qui attribue les numéros AVS.

Deuxième exemple: autrefois, le numéro AVS comportait un chiffre qui indiquait si quelqu'un était un homme ou une femme. «Cela posait des problèmes aux personnes trans. Pour cette raison et parce que la norme internationale a été modifiée, ce numéro n'existe plus aujourd'hui.»

Troisième exemple: «S'il existe des caisses de compensation pour différentes professions, c'est parce que les patrons de l'économie voulaient éviter que le montant des salaires qu'ils versaient soit connu. Et parce que les cantons voulaient conserver certaines compétences. C'est pourquoi nous avons encore aujourd'hui un système décentralisé – avec la CdC comme organe de référence.»

Quid de la 13e rente?

Et c'est justement cet organe qui est aujourd'hui confronté à un nouveau défi: il doit mettre en place la gestion centralisée de la 13e rente. «Nous ne sommes que des exécutants, précise Adrien Dupraz, mais l'exécution doit être correcte. Nous aimerions que le paiement de la 13e rente se fasse mensuellement plutôt qu'une fois par an. Nous pourrions ainsi adapter plus facilement notre système.»

Plongeons encore un peu plus dans le sujet: Les cotisations AVS, versées par tous les actifs, atterrissent également sur le compte de la CdC. La CdC envoie cet argent à Compenswiss (anciennement Fonds de compensation AVS). On parle d'un montant de plusieurs centaines de millions chaque jour. Compenswiss place ensuite l'argent et veille à ce qu'il y ait toujours suffisamment de liquidités.

Versements dans 180 pays

«Les sommes sont impressionnantes, dit Adrien Dupraz, mais seule une petite partie de nos collaborateurs s'occupe de ce trafic des paiements.» La majorité s'occupe d'autres affaires qui se déroulent de manière moins automatisée. Les paiements de l'AI, par exemple. Ou les paiements de l'AVS pour les Suisses de l'étranger et les personnes qui ont travaillé en Suisse et qui vivent aujourd'hui dans pas moins de 180 pays.

Même si Adrien Dupraz explique bien son métier, cette organisation a de quoi donner le tournis. Finira-t-il même par rêver de l'AVS la nuit? «Je ne fais jamais de cauchemars sur le manque d'argent. Mais parfois, une bonne idée pour l'avenir me vient à l'esprit.»

L'AVS peut toujours s'adapter

D'une manière générale, le directeur est confiant. Il est certes vrai que l'AVS est en retard sur le coût de la vie, dit-il. «Mais je crois que l'AVS peut toujours s'adapter à la population.»

Adrien Dupraz constate régulièrement que les gens sont surpris de ne pas recevoir plus d'argent à la retraite – surtout lorsqu'ils ont eux-mêmes beaucoup cotisé. «Mais c'est l'idée de la solidarité», dit-il. Est-ce que l'introduction de l'AVS serait encore acceptée aujourd'hui? Adrien Dupraz réfléchit. «Heureusement que nous l'avons déjà!»

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