Hausse de 600%!
«Docteur Gab's peut risquer la faillite à cause du prix de l'électricité»

Les frais d'électricité de la Brasserie Docteur Gab's bondiront de 80'000 à 500'000 francs en 2023. Parmi les scénarios possibles pour la PME vaudoise: des licenciements, une hausse du prix des bières, voire le dépôt de bilan, s'inquiète Reto Engler, cofondateur.
Publié: 13.09.2022 à 17:09 heures
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Dernière mise à jour: 13.09.2022 à 17:23 heures
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Amit JuillardJournaliste Blick

Pourrez-vous encore étancher votre Swaf en sirotant une Ipanema en 2023? Avis de Tempête! La période s’annonce Ténébreuse et Houleuse pour la célèbre Brasserie Docteur Gab’s et ses bières aux noms bien identifiables, distribuées dans l'ensemble du pays, y compris en grandes surfaces. L’effet Placebo risque de ne pas suffire.

Un rapide retour vers le futur (proche) à bord de la Delorean fait craindre le pire à Reto Engler, cofondateur: en 2023, les frais d’électricité de la PME basée à Puidoux (VD) exploseront pour atteindre 500’000 francs — au lieu de 80’000 en 2022, a-t-il annoncé dans «24 heures». En clair, parmi les scénarios possibles, le licenciement d’un tiers des effectifs, une hausse des prix des produits, voire la faillite, confie-t-il ce mardi à Blick.

D’autres solutions sont aussi à l’étude — pensez panneaux solaires et mini-éoliennes, par exemple. Mais l’entrepreneur lance surtout un appel à l’aide aux pouvoirs publics.

Malgré ces hypothèses peu réjouissantes, Reto Engler continue de voir le fût à moitié plein: «Nous allons nous en sortir, tant au niveau de la brasserie que de la situation économique en général.»
Photo: DR

Quels risques vous fait courir une telle hausse de vos frais d’électricité? La faillite?
Jusqu’ici, depuis notre création en 2001, nous avions pris l’habitude d’être en forte croissance, de 20 à 25% par an, de créer des emplois. Mais avec une augmentation de près de 600% de notre facture d'électricité pour 2023, la faillite est un scénario possible, que nous devons considérer.

Sérieusement?
L’an prochain, si nous n’arrivons plus à produire en générant du bénéfice, la faillite est un risque. Mais ce serait le dernier recours, évidemment. Nous avons toute une série de pistes à explorer avant de l'envisager.

Lesquelles?
Nous pourrions devoir nous imposer un plan d’austérité, limiter notre production, l’optimiser, et — par voie de conséquence — devoir nous séparer d’un tiers de nos 35 équivalents plein-temps.

Allez-vous toucher au prix de vos bières?
Je ne sais pas. Mais nous pourrions être forcés à augmenter le prix de nos produits de peut-être 4 à 5%, alors que nous avons déjà dû les augmenter de 2 à 3% en avril 2022 à la suite de la pandémie. Mais à ce stade, aucune décision n’a été prise. Nous allons dans un premier temps passer chaque facture et chaque dépense au crible trois fois avant de dépenser un franc. Et nous allons faire en sorte de produire davantage d’électricité nous-mêmes.

C’est-à-dire?
Par chance, nous avions déjà pris la décision de doubler la surface de panneaux solaires sur notre toit. Nous réfléchissons aussi à installer des mini-éoliennes sur notre terrain. Peut-être que nous pourrions aussi faire fonctionner certaines machines la nuit, lorsque le courant est moins cher. Autre piste: actuellement nos déchets de malt sont transformés en biogaz par une entreprise externe. Nous pourrions le faire à l’interne et réutiliser cette énergie pour notre chauffage. En ce moment, nous explorons toutes les pistes possibles et imaginables.

Si vous arriviez à mettre tout ceci en place, ce serait suffisant pour faire face à vos nouvelles charges?
Non. Nous n’arriverions probablement même pas à compenser un dixième de cette hausse. Si nous devons y faire face, il sera difficile d’éviter des licenciements et/ou de toucher au prix de vente.

Alors quelle est la meilleure solution? Une intervention de l’État?
Il faut que les pouvoirs publics prennent cette problématique au sérieux. Ce n’est pas une affaire qui concerne uniquement le secteur privé. Le tissu économique de la Suisse est fait de PME comme la nôtre. Lorsqu’elles sont en difficulté, cela a des effets sur le pouvoir d’achat, les rentrées fiscales, le taux de chômage. Une sorte d’effet domino néfaste pour tout le monde.

Concrètement, que demandez-vous?
Je vois plusieurs options. Les pouvoirs publics pourraient décider de plafonner les prix de l’électricité. Ou de réguler le marché libre, où les prix se basent sur de la spéculation et non sur les coûts réels de production. À défaut, l’Etat devrait au moins permettre aux entreprises ayant quitté le marché régulé d’y retourner moyennant un contrat de plusieurs années, ce qui leur est aujourd’hui interdit.

Des aides comme celles pratiquées durant la période Covid ne vous semblent pas opportunes?
Il faut s’attaquer au problème à la racine. De telles aides court-termistes ne régleraient rien.

Vous êtes sous contrat avec Romande Energie. Vous avez donc préféré le marché libéralisé, plus volatil, au marché régulé par l'État, où l'augmentation des prix pour 2023 tourne autour de 20%. Vous regrettez?
Non, parce qu’il y a quatre ans, en arrivant à Puidoux, ce choix était une évidence. Nous passions dans la catégorie des grands consommateurs (ndlr: plus de 100’000 kW/h par an — 500’000 dans le cas de Docteur Gab’s actuellement), les prix étaient un peu moins élevés et il y a une usine de la Romande Energie juste de l’autre côté de l’autoroute, qui nous fournit aussi notre chauffage à distance. Nous regrettons en revanche de ne pas pouvoir revenir sur ce choix.

Malgré une inquiétude certaine, vous ne semblez pas trop affecté moralement...
Je suis de nature optimiste, je vois toujours le verre à moitié plein. Malgré les difficultés et les hypothèses peu réjouissantes évoquées avec vous, je reste confiant: nous allons nous en sortir, tant au niveau de la brasserie que de la situation économique en général.


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