Grogne silencieuse à Genève
Fiscalité, mobilité, logement: les entrepreneurs genevois ne sont pas contents

Pas moins de 72% des entrepreneurs genevois envisagent de partir si les conditions fiscales se détériorent, révèle une étude de la nouvelle Fondation pour l'attractivité de Genève (FLAG). À sa tête, les grands noms de l'économie locale tirent la sonnette d'alarme.
Publié: 21.09.2022 à 17:12 heures
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Dernière mise à jour: 30.09.2022 à 11:31 heures
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

La célèbre Rade de Genève, qui accueille les marques les plus puissantes et prestigieuses, va-t-elle peu à peu perdre ses enseignes emblématiques? Vont-elles lui préférer les quais paisibles d’Ouchy à Lausanne, les charmes discrets de Zoug ou les lumières de la luxuriante Singapour? C’est ce que laisse craindre une étude privée, dont les résultats ont été rendus publics hier par la Fondation pour l’attractivité de Genève (FLAG).

Qui est cette FLAG, qui semble prendre Genève en flagrant délit de déliquescence, et laisse entendre que ce canton-ville serait en danger? Pour comprendre, il faut remonter au mois de juillet. Blick révélait alors l’existence d’une toute nouvelle Fondation pour l’attractivité de Genève, dont les buts étaient alors bien mystérieux.

Aujourd’hui, nous savons où se dirige cette barque, pilotée par quelques (très) grands noms de l’économie genevoise: Gilbert Ghostine, patron de Firmenich, Renaud de Planta, senior partner de Pictet, ou encore Jean-Frédéric Dufour, CEO de Rolex, pour ne citer que les plus connus. Leur mission? Tirer la sonnette d’alarme. Montrer, via des études périodiques et ciblées, une photographie réelle de l’économie genevoise.

Qui est cette FLAG, qui semble prendre Genève en flagrant délit de déliquescence, et laisse entendre que ce canton-ville serait en danger? Désormais, nous connaissons son cahier des charges.
Photo: Shutterstock

Et le premier sondage élaboré par la FLAG est sans appel: le manque de logements, le coût de la vie et la fiscalité décourageraient les talents (c’est-à-dire la main-d’œuvre qualifiée) de rejoindre Genève et les entreprises d’y rester. C’est du moins ce qu’ont mis en avant les deux chevilles ouvrières du projet, l’ancien directeur du département des associations professionnelles de la Fédération des entreprises romandes (FER) Arnaud Bürgin, aujourd’hui à la tête de la FLAG, et sa responsable de la communication Karine Curti, lors de leur conférence de presse de ce mercredi 21 septembre.

Pour sa première rentrée, la toute nouvelle fondation mise sur l’écho qu’aura sa première grosse enquête, composée d’une soixantaine de questions adressées à des chefs d’entreprise genevois, tous secteurs confondus. Le verdict devrait donner des sueurs froides à la classe politique: «Parmi la cinquantaine d’entrepreneurs – start-up et PME comprises – que nous avons interrogés, un tiers a déjà envisagé de délocaliser leur siège social en dehors de Genève. En cause: la fiscalité et le manque de talents.» À noter que les entrepreneurs qui ont répondu à l’enquête, 47 personnes précisément, représentent environ 10% des emplois à Genève.

Peur de payer plus

«Les entreprises ne parviennent plus à attirer les talents dans la Cité de Calvin, principalement pour les raisons suivantes: le coût de la vie, le manque de logement, la mobilité et la fiscalité des personnes physiques, en particulier en ce qui concerne les hauts cadres.» Conséquence: selon la fondation, les entreprises iront là où les conditions-cadres sont favorables, et donc là où sont les «talents». C’est-à-dire pas à Genève.

Soyons honnêtes: la fiscalité figure tout en haut de la liste des préoccupations de la FLAG. «4% des contribuables financent 50% du montant total des impôts cantonaux», peut-on lire dans sa brochure de présentation. Dans ce contexte, ces 4%, dont un certain nombre de «patrons», commenceraient à grincer des dents. Il faut rappeler qu'au Grand conseil genevois – dans un mouvement inverse – la gauche lance l’initiative «pour une contribution temporaire de solidarité sur les grandes fortunes», qui vise à «imposer les contribuables qui disposent de plus de 3 millions de francs, d’un montant de 2,5 pour mille supplémentaires», comme l’écrivent nos confrères de Radio Lac.

Infographie fournie par la FLAG.

Un projet qui n’est certainement pas du goût des sondés: «76% des personnes interrogées considèrent que les conditions-cadres au sein du canton de Genève ne sont plus attractives. 62% de ces individus pensent que la charge fiscale actuelle à Genève est problématique, notamment en ce qui concerne la taxation de l’outil de travail», nous explique Arnaud Bürgin. Si la charge fiscale devait encore augmenter, 72% d’entre eux seraient prêts à partir, selon le sondage.

Un cadre de vie plutôt… bof

Autre symptôme d’un exode entrepreneurial à venir, selon la FLAG? «Nous avons demandé aux patrons si, au cours des dix dernières années, ils et elles avaient créé de nouvelles activités. Une grande majorité a répondu par un oui… Mais pas dans le canton de Genève, poursuit Arnaud Bürgin. Ces nouvelles activités sont ainsi plutôt localisées dans d’autres cantons suisses: Vaud ou Zurich, par exemple». Où l’accès au logement est par ailleurs plus facile.

Ce qui, au contraire, est un (gros) problème de notoriété publique au bout du lac. À la conférence de presse, Renaud de Planta mentionne un exemple concret de chez Pictet: «Nous voulions transférer un haut cadre zurichois à Genève. Malgré la revalorisation salariale que nous lui avons proposée, ce dernier était au final perdant, en raison de la fiscalité genevoise.»

Il en va de même pour les «talents» recrutés à l’international: «Une personne étrangère qui envisage de venir travailler à Genève aura une certaine image de cette ville. Puis, en arrivant, elle sera déçue par l’accès au logement, par la mobilité. Il y a aujourd’hui un certain décalage, qui crée des désillusions. Et les gens repartent.» En effet, 46% des sondés pensent que la situation du logement au bout du Léman est problématique.

Contre les voitures, pour la culture

L’enquête de la FLAG révèle également que 87,5% des sondés sont mécontents de la mobilité genevoise, qui péjore selon eux l’attractivité de la ville. Pas moins de 72% la qualifient même de «mauvaise».

Et, contrairement à ce que prônent souvent les élus de droite, traditionnellement alliés naturels des entreprises et des patrons, les entrepreneuses et entrepreneurs interrogés ne veulent pas forcément plus de routes et plus de libertés derrière le volant: 64% des personnes interrogées par la FLAG sont en faveur d’un centre-ville piéton, et d’un péage urbain.

Car «les gens aiment vivre dans une ville agréable, riche sur le plan culturel, où il se passe des choses, souligne Renaud de Planta. Nous avons besoin de plus de projets porteurs, qu'il s'agisse de l'événementiel ou de nouvelles infrastructures. L'innovation ne peut pas se limiter au Léman Express.»

Alors, que propose la FLAG?

Ces chiffres désormais imprimés, quelle est la prochaine étape, demande-t-on à la fin de la conférence de presse? Gilbert Ghostine, patron de Firmenich, estime que «face à ces résultats inquiétants», il faut «être dans l’action, car nous aimons cette ville, et nous voulons qu’elle reste dans la liste des dix villes au monde avec les meilleures conditions de vie. Aujourd’hui, nous mettons nos résultats sur la table pour créer un dialogue avec tous les acteurs concernés.»

Concrètement, cela signifie partager les résultats des enquêtes que réalisera encore la FLAG, et sensibiliser la population aux sujets comme la fiscalité via les réseaux sociaux, explique Arnaud Bürgin. Est-ce en réalité un lobby? «Non», rétorque le dernier nommé. La Fondation va de fait «collaborer avec des politiques», mais ne fera jamais de recommandations de vote.

Et l’Etat de Genève, là-dedans? L’attractivité du canton ne figure-t-elle pas tout en haut du cahier des charges de Fabienne Fischer, ministre de l’Economie? «Nous avons des relations respectueuses avec tous les membres du Conseil d’Etat, avec qui nous allons par ailleurs partager les résultats de notre enquête», répond simplement Gilbert Ghostine. À ses côtés, Renaud de Planta souligne par ailleurs que l’effort sera de longue haleine: «Nous n’avons pas créé une Fondation pour raisonner à court terme. Nous allons continuer pendant des années s’il le faut, jusqu’à ce que la barque se redresse».

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