Explications d'un météorologue
Cet été de sécheresse change durablement la nature suisse

La pluie se fait attendre, le niveau d'eau des lacs baisse, les poissons meurent et les glaciers fondent. La Suisse souffre de la canicule. Vivons-nous actuellement une sécheresse record? Un météorologue explique.
Publié: 13.08.2022 à 20:31 heures
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Dernière mise à jour: 13.08.2022 à 21:13 heures
Anastasia Mamonova

La Suisse connaît un été de sécheresse. Depuis des semaines, il ne pleut presque plus. La chaleur assèche les sols et les cours d’eau, comme à Bad Ragaz, une commune du canton de Saint-Gall. «Notre magnifique lac Giessensee ressemble désormais à une flaque», expliquait cette semaine à Blick Paul Bollhalder, responsable du nettoyage du parc autour du lac.

Les agriculteurs ressentent également les conséquences de la sécheresse. La salade récemment plantée par Daniel Frey dans la commune de Moosleerau, en Argovie, a déjà des feuilles jaunes. En effet, son entreprise n’a plus le droit de pomper l’eau de la Suhre toute proche pour l'arroser. Ordre du canton – le niveau est trop bas.

Les chalets du Club Alpin Suisse manquent également d’eau. Un hiver sans beaucoup de neige et un printemps chaud ont fait disparaître les réserves d’eau des cabanes de montagne. L’aubergiste Dario Andenmatten de la cabane Britannia en Valais se plaint: «Nous n’avons jamais eu un été aussi sec!»

Mais pourquoi la sécheresse actuelle dure-t-elle depuis si longtemps? Selon Michael Eichmann, cette situation est liée à la présence d'un anticyclone au nord de l'Europe.
Photo: Sebastian Babic

Seulement 142 mm de précipitations

Il ne croit pas si bien dire, «l’été 2022 est certainement l’un des plus secs depuis le début des mesures», déclare Michael Eichmann de Meteo News à Blick.

Il montre l’exemple de la station de mesure de Zurich: En temps normal, il tombe 326 mm d’eau de pluie entre juin et août. En été 2015, il est tombé 175 mm de pluie et en 2018, 194 mm. Cette année, il y a eu jusqu’à présent 142 mm. Toutefois, le mois d’août a encore deux semaines pour se rattraper. C’est pourquoi il ne s’agira probablement pas d’un été record. «Il faut s’attendre à de nouvelles précipitations la semaine prochaine», annonce Michael Eichmann.

Mais celles-ci ne compenseront que partiellement le déficit élevé d'eau. Le météorologue le souligne: «Le sol a besoin de temps pour absorber l’eau.» Lors d’orages, beaucoup d’eau tombe en peu de temps. Un sol sec n’est pas en mesure de l’absorber rapidement, de sorte que la majeure partie ruisselle en surface.

Mortalité des poissons d’une ampleur historique

Avec la sécheresse, le monde animal vit une situation unique. La Fédération suisse de pêche parle d’une mortalité des poissons d’une ampleur historique. «C’est une véritable catastrophe, on ne peut malheureusement pas le dire autrement», constate Roberto Zanetti, président de la Fédération suisse de pêche.

Les espèces qui ont besoin de froid, notamment les truites et les ombres, sont particulièrement touchées. La fédération craint que d’autres espèces soient également touchées.

Des rivières à niveaux inégaux

Michael Eichmann observe lui aussi la situation inquiétante des cours d’eau. «Le niveau du lac de Constance est actuellement inférieur de près d’un mètre à la moyenne de cette période de l’année.» Dans le lac de Zurich, il manque environ 30 cm. «Le lac des Quatre-Cantons bat même des records! Là-bas, le niveau d’eau est 40 cm plus bas qu’il ne devrait l’être.»

La situation dans les rivières varie selon les régions. La différence réside dans le fait qu'une rivière est alimentée par un glacier ou non. Comme la fonte est actuellement très importante, les régions qui sont reliées à des glaciers voient leurs rivières quasiment en crue. «Le débit du Rhône à Brigue est de 100 mètres cubes par seconde. C’est une valeur normale. L’Aar près de Berne, en revanche, a un débit de 127 mètres cubes par seconde. La moyenne à cette époque de l’année est normalement de 200 mètres cubes par seconde», explique Michael Eichmann.

Pour certaines rivières, la fonte des glaciers est une catastrophe. Pour d’autres cours d’eau, elle a néanmoins un effet positif, car le déficit de précipitations est compensé. Mais ce n’est pas une raison pour se réjouir. «C’est une compensation à crédit. Parce qu’à un moment donné, l’absence de masse des glaciers va se faire sentir», explique le météorologue.

Les glaciers fondent

La fonte des glaciers donne aussi du fil à retordre aux alpinistes. Là où il y avait de la glace, il y a maintenant de la roche. Rien qu’entre le 15 et le 21 juin, les glaciers suisses ont perdu 300 millions de tonnes de glace et de neige, comme le montrent les données du réseau suisse de mesure des glaciers Glamos.

Dans certains endroits, il y a presque trop d’eau, dans d’autres beaucoup trop peu – comme dans les Alpes fribourgeoises. L’armée doit même acheminer de l’eau par avion dans les exploitations alpines. En service jusqu’à fin août, les hélicoptères de l’armée sont très appréciés, car ils transportent en une seule fois une tonne et demie d’eau – jusqu’à cinq fois plus qu’un hélicoptère civil.

L’air sec du continent provoque la sécheresse

Mais pourquoi la sécheresse est-elle si conséquente actuellement? Selon Michael Eichmann, cette situation est liée à la présence d’un anticyclone au nord de l’Europe. Nous nous trouvons au sud de celui-ci, dans un courant de bise. Le vent vient actuellement du nord-est, où l’air continental est plutôt sec. Lorsque le vent vient du sud-ouest, il apporte de l’air marin et des orages.

Au printemps, nous sommes plutôt dans une zone de haute pression qui stagne au-dessus de l’Europe centrale. Elle reste longtemps stationnaire et dévie vers le nord la zone de basse pression venant de l’ouest. Michael Eichmann rappelle que «ces situations étaient particulièrement marquées en mars». En certains endroits, ce fut le mois de mars le plus sec depuis le début des mesures.

Ces dernières années, les experts observent en outre que le temps s’est en quelque sorte ralenti. Une situation météorologique donnée a désormais tendance à s’installer plus durablement qu’il y a quelques décennies. En clair: «Lorsque nous sommes dans un anticyclone, celui-ci a tendance à durer plus longtemps qu’auparavant. Et quand il est humide, il reste humide plus longtemps», explique l’expert en météorologie.

(Adaptation par Lliana Doudot)

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