Gen Z vs baby-boomers
Les employeurs suisses sont dépassés par les attentes des différentes générations

Quatre générations ou plus travaillent ensemble dans de nombreuses entreprises suisses. Leurs exigences vis-à-vis du travail sont différentes et les employeurs n'en tiennent pas toujours compte. Explications avec une chercheuse spécialiste de la question.
Publié: 07.11.2023 à 16:36 heures
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Dernière mise à jour: 07.11.2023 à 17:09 heures
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Sarah Frattaroli

Deux générations et deux visions très différentes du travail. Bianca Acklin a 28 ans, Marcel Schwyter en a 58. Ils travaillent à temps plein pour le fabricant d’appareils électroménagers suisse V-Zug. Mais vis-à-vis de leur employeur, leurs besoins et leurs exigences ne sont pas les mêmes.

«La flexibilité est importante pour moi, souligne Bianca Acklin, qui travaille dans les RH de l’entreprise. J’apprécie de pouvoir décider moi-même de l’heure à laquelle je commence à travailler, et si je travaille depuis la maison ou au bureau.»

«En tant que cadre, être flexible n’est pas toujours possible pour moi», lance Marcel Schwyter, un sourire en coin. Il dirige une équipe de dix personnes dans le domaine du contrôle de gestion.

Trente ans séparent Marcel Schwyter et Bianca Acklin. Ils travaillent tous les deux pour V-Zug.
Photo: Thomas Meier
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Le savoir quitte le marché du travail

Pour les employeurs, concilier les envies de leurs collaborateurs les plus jeunes et les plus âgés devient une tâche herculéenne. Dans la plupart des entreprises suisses, quatre générations ou plus travaillent main dans la main. Elles ont toujours eu des attentes différentes. Mais à cause de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, il est désormais indispensable pour les employeurs de répondre à ces exigences.

«S’ils ne s’adaptent pas, les employés vont les fuir», prévient l’économiste Anina Hille, chargée de cours à la Haute école de Lucerne. Elle a récemment publié une étude sur le management pour les différentes générations dans l’économie suisse. Elle s’est notamment penchée sur le transfert de savoir des anciens vers les jeunes. C’est un enjeu, car de plus en plus de baby-boomers partent à la retraite, emportant leurs connaissances. Mais seules 15% des grandes entreprises interrogées indiquent qu’un transfert de savoir entre générations se produit en leur sein, selon l’enquête de la chercheuse.

«Beaucoup d’entreprises n’ont pas les connaissances nécessaires pour s’attaquer à ce problème de manière ciblée», analyse Anina Hille. La façon la plus efficace d’assurer la transition est de créer des équipes d’âges mixtes. Mais déjà à ce niveau-là, à peine une entreprise sur trois a délibérément pris cette mesure, selon les chiffres de l’étude. «On peut aussi organiser un tirage au sort pour la pause de midi, pour réunir deux personnes pendant qu’elles mangent. Cela favorise le transfert informel de connaissances», suggère la chercheuse. Les programmes de mentoring et les tandems partent du même principe.

Les plus de 50 ans ont peur de perdre leur emploi

La problématique ne se résume toutefois pas au transfert de connaissance. Il s’agit aussi de répondre aux besoins des différents groupes d’âge, qui sont parfois très éloignés les uns des autres. Selon l’étude, les seniors accordent par exemple une grande importance à la sécurité de l’emploi. Ce n’est pas surprenant: à partir de 50 ans, il est difficile de retrouver un emploi.

Avant d’être engagé chez V-Zug, Marcel Schwyter a passé un an et demi à chercher du travail. «Les employeurs ont le sentiment qu’à plus de 50 ans, tu es inflexible et que tu ne peux plus t’adapter, malgré le trésor d’expérience que tu apportes», confie-t-il.

Par ailleurs, les entreprises craignent de devoir automatiquement payer davantage les employés plus avancés dans leur carrière. Couplé à des cotisations plus élevées à la caisse de pension, cela complique les choses. «Notre étude montre pourtant que les travailleurs sont prêts à renoncer à un salaire plus élevé uniquement en raison de leur âge, à qualification égale, précise Anina Hille. Pourtant, il y a encore des entreprises qui préfèrent les candidats plus jeunes dans ces circonstances.»

Bosser après l’âge de la retraite

Les plus de 50 ans pourraient contribuer à lutter contre la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Surtout s’ils décident de rester dans l’entreprise au-delà de l’âge ordinaire de la retraite. Dans l’étude, 80% des entreprises indiquent qu’elles souhaitent employer davantage de ces travailleurs à l’avenir. Toutefois, le personnel n’est pas convaincu.

«Je ne peux pas m’imaginer continuer à travailler après 65 ans, soutient le cadre de V-Zug Marcel Schwyter. Il faut non seulement avoir la forme physiquement, mais aussi mentalement. On finit par être épuisé par une fonction de cadre, on n’est plus aussi frais et agile qu’on voudrait l’être.» Il pourrait envisager de travailler dans une fonction de conseil et avec un faible taux d’occupation. «Mais les entreprises ne répondent pas encore aux exigences de flexibilité en termes de temps et de lieu, de taux d’occupation ainsi que de responsabilité en cas de travail après l’âge de la retraite», constate Anina Hille.

Mais cela semble être amené à changer: travailler au-delà de l’âge de la retraite est de plus en plus accepté. «Je pense que ma génération ne pourra pas s’en passer», soupire Bianca Acklin, 28 ans, en haussant les épaules.

Le travail n’est pas tout

La jeune génération doit également faire face à des préjugés sur le marché du travail: certains employeurs estiment que les jeunes abandonnent trop rapidement et ne sont pas prêts à s’impliquer. «On ne peut tout de même pas mettre toute une génération dans le même panier», critique la chercheuse.

L’étude de Lucerne révèle que les jeunes travailleurs accordent davantage d’importance à la notion «plaisir de vivre» que leurs aînés. Mais chez les plus âgés, c’est la famille qui prime. «Indépendamment de l’âge, le travail est moins important que d’autres valeurs», conclut Anina Hille.

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