Darius Azarpey est soulagé
Les haters d'un élu genevois font sortir l'un de ses proches de prison

C'est une histoire de vie insolite. Le politicien genevois d'origine iranienne, Darius Azarpey, nous raconte comment ses «haters», qui l'ont harcelé sur la toile, ont fini malgré eux par... sauver un membre de sa famille d'une prison à Téhéran.
Publié: 11.12.2022 à 06:00 heures
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Dernière mise à jour: 11.12.2022 à 15:09 heures
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Lorsque Darius Azarpey s’est retrouvé pris dans ce qu’on appelle un shitstorm sur les réseaux sociaux, il était loin d’imaginer que ses détracteurs finiraient, malgré eux, par éviter une lourde peine de prison à un membre de sa famille à Téhéran. Grâce à un coup du hasard assez cocasse.

Tout commence le 22 octobre, alors que l'élu à la municipalité de Collonge-Bellerive est sur le plateau de la chaîne locale Léman Bleu. Sans surprise, il y est convié pour parler de la situation en Iran, son pays d’origine secoué par une vague de contestations violemment réprimée. «Je suis un politicien genevois qui fait de la politique à Genève, pas en Iran», nous glisse le libéral-radical a posteriori. «Mais, sous la pression de ma communauté, qui estimait que c’était mon devoir, j’ai fini par m’exprimer, alors que j’ai encore de la famille proche à Téhéran…»

Face aux caméras, le vice-président de la section genevoise du parti bourgeois fustige la police des mœurs et la violence de la répression des manifestantes et manifestants, sans pour autant appeler ouvertement à renverser le pouvoir en place. Contrairement à beaucoup d’Iraniennes et d'Iraniens expatriés en Suisse.

Incroyable mais vrai: les haters de Darius Azarpey ont sauvé une personne de sa famille de la prison en Iran. On vous raconte l'histoire.
Photo: Daniella Gorbunova

Nuance qu’il dit, après coup, avoir apporté à son discours pour protéger sa famille qui vit à Téhéran. Mais dans le petit reportage, une phrase en particulier met le feu aux poudres: «Darius Azarpey […], lui, ne condamne pas le régime actuel», affirme la journaliste (le politicien reprochera ensuite au média genevois d'avoir sorti cette citation de son contexte).

Cette intervention ne laissera pas la communauté iranienne de Genève indifférente. Sur la toile, les premières réactions ne tardent pas. C’est le début d’une spirale infernale de cyberharcèlement qui durera des semaines.

«Un traître pour les Iraniens»

Comme dans tous les shitstorms, la violence et la quantité de propos haineux qu’a reçu Darius Azarpey via les réseaux sont montées crescendo. Sous ses publications Facebook, des «expats» pas si anonymes dégainent les critiques acerbes en commentaires: «Un traître pour les Iraniens», «traître à la nation», «espion du gouvernement iranien»... À tel point que des personnes de son entourage lointain finissent par lui demander s’il n’est pas vraiment un agent secret.

Les jours passent — nous sommes toujours en octobre — et ça ne s’arrête pas. Pire: les insultes prennent un tournant plus systématique, plus méthodique. Le Genevois comprend que ce déferlement de haine ne s’essoufflera pas de lui-même. «Là où on est réellement passé dans le domaine du grave, du pénal, c’est quand j’ai commencé à recevoir quelque 80 fois le même commentaire, en l’occurrence 'traître à la nation', sous une vingtaine de mes publications Facebook. C'est, légalement, du harcèlement.»

La tension s'accroît encore. Darius Azarpey sort son téléphone pour nous montrer une capture d’écran. Sur un groupe WhatsApp de la diaspora, où figurent également des amis du politicien, une Iranienne de Genève appelle par exemple à le «découper en morceaux».

À l’occasion d’une manifestation pour l’Iran prévue à Genève, une autre personne propose d’imprimer des pancartes avec le visage de Darius barré d’une croix (voir photo ci-dessous), à côté de celui du guide suprême d’Iran. Quand le jeune politicien prend connaissance de ces messages, c’est la goutte de trop. «C’est clair que c’était un sale moment de ma vie», s'exclame-t-il.

Personnalité publique, il sait qu'il en verra d'autres, mais il l'admet volontiers: «C’est clair que c’était un sale moment de vie!»

Celui qui a passé sa petite enfance à Téhéran décide de réagir. Grâce à son entourage, et la petite taille de la diaspora locale, il connaît l’identité de ses six principaux calomniateurs. Même celles de ceux qui ont agi sous pseudonyme. Il prépare des plaintes pénales pour harcèlement, diffamation et menaces de mort avec son avocat, mais décide de ne pas les déposer tout de suite. Il souhaite d'abord parler à ses bourreaux, dans «une démarche de médiation».

«Je vis du regard des autres»

Ces rendez-vous se sont plutôt bien passés. «C’est fou. On le rappelle souvent, mais là, j’en mesure vraiment l’impact: les gens peuvent dire les pires horreurs derrière leur écran. Et, soudain, lorsqu’ils sont face à vous, ils deviennent doux comme des agneaux. Tous se sont excusés, tous ont retiré leurs propos, et certains ont même publié des mea culpa à la place de leurs commentaires haineux.»

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«En tant que politicien, je vis du regard des autres»
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Mais pourquoi s’être ainsi retroussé les manches, alors que c’est le job de la police? «Je ne vais pas mentir. En tant que politicien, je vis du regard des autres. C’est peut-être une faille chez moi, mais je voulais m’assurer que ce n’est pas moi qui avais blessé ces personnes, les poussant à agir ainsi. Et, apparemment, ce n’était pas le cas.» Happy ending, donc: les plaintes ne seront jamais déposées, puisque les détracteurs ont eux-mêmes réparé leurs torts.

Quand tes haters sauvent une vie

L’histoire ne s’arrête toutefois pas là. Pendant ce temps, à Téhéran, une personne de la famille proche de Darius Azarpey, que nous appellerons Azad*, et avec qui il correspond presque tous les jours, vaque tranquillement à ses occupations.

Une manifestation éclate alors que cet homme passe à proximité. Réflexe typique d’un citadin de notre siècle: il sort instinctivement son téléphone et prend des photos en rafale. Il les envoie à l'élu genevois. Puis, silence radio pendant deux jours. Impossible de joindre Azad. Personne, de leur entourage là-bas, ne sait où il est.

Alors que Darius Azarpey, inquiet, était sur le point de se rendre à l’ambassade, il reçoit finalement un coup de fil de ce parent proche. Il n’en croit pas ses oreilles. Quelques secondes après avoir sorti sa caméra, Azad s’est retrouvé plaqué au sol par des miliciens. Avant d’atterrir dans une cellule, où il s’est fait questionner pendant des heures. Car quiconque prendrait des photos des manifestations serait immédiatement considéré comme… un «espion de l’étranger».

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«Il y a si peu de gens qui soutiennent profondément le régime»
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L’homme a beau nier, rien n’y fait. Il risque bel et bien, pour ce simple geste, de se retrouver dans la tristement célèbre prison d’Evin, où les ONG déplorent régulièrement «des homicides illégaux». Mais, contre tout espoir, le vent tourne lorsque les agents du gouvernement décident de remonter dans la pellicule photo du téléphone d’Azad, à la recherche de preuves accablantes.

Pour y découvrir la fameuse photo du visage de Darius barré d’une croix — que ce dernier a partagée avec son proche — et des captures d’écran d’insultes à son attention en perse. Mais aussi des images du politicien passant à la télé.

Les miliciens demandent alors à Azad qui est cet homme. C’est sa chance. Il leur explique que c’est un membre de sa famille, qu'il s'agit d'une personnalité politique en Suisse et qu'il a refusé de renier le régime alors même que toute sa communauté d’expatriés l’a sommé de le faire. Evidemment, il en rajoute quelques couches.

Et ça fonctionne: Azad est relâché. Avec des louanges chantées à son proche, en prime. «Vous avez de la chance, si on vous laisse partir, c’est uniquement grâce à lui», auraient précisé les miliciens à propos de Darius Azarpey.

En réalité, vous l’aurez compris, c’est plutôt grâce… aux haters du politicien genevois que cet homme a retrouvé sa liberté. «Il y a si peu de gens qui soutiennent profondément le régime que le simple fait de ne pas le fustiger a suffi pour se faire passer pour un allié», analyse Darius, qui en rit désormais — bien qu'un peu jaune.

*Après consultation avec l’ambassade de Suisse en Iran, Darius Azarpey nous a demandé de ne pas préciser de quel membre de la famille il s’agissait afin de protéger cette personne vis-à-vis du gouvernement iranien.

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