Contournement des sanctions
Les exportations suisses vers les pays voisins de la Russie sont-elles suspectes?

Depuis les sanctions contre la Russie, les entreprises suisses livrent de plus en plus de biens dans ses pays voisins. Cela éveille les soupçons: s'agit-il d'opérations de contournement? Les politiques estiment que «le Conseil fédéral doit enfin agir».
Publié: 20.08.2023 à 06:06 heures
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Dernière mise à jour: 20.08.2023 à 10:27 heures

Les chiffres de l'Office fédéral des douanes et de la sécurité des frontières sont clairs: de plus en plus de marchandises sont exportées de Suisse vers l'Asie centrale. L'année dernière, les exportations vers l'Arménie ont augmenté de 170%, celles vers le Kazakhstan de 39% et celles vers l'Ouzbékistan de 24%. Elles sont principalement dues aux exportations de produits pharmaceutiques, comme l'a rapporté le «Tagesschau» de la SRF.

Cette année encore, les exportations vers ces pays continuent de croître – jusqu'à 30% et plus. En plus des produits pharmaceutiques, les entreprises suisses fournissent de plus en plus de montres, d'instruments de précision, de bijouterie et de machines. Ce qui est frappant, c'est que tous ses pays ont un point commun – ils se trouvent à proximité immédiate de la Russie. Cela éveille le soupçon: c'est certainement une stratégie de contournement.

En effet, le boom des exportations vers ces pays est essentiellement dû aux sanctions contre la Russie. Les produits de luxe tels que les montres, les bijoux ou le caviar figurent notamment sur la liste des restrictions établie par le Secrétariat d'État à l'économie (Seco).

Depuis les sanctions contre la Russie, de plus en plus d'entreprises suisses livrent des biens dans les pays voisins de la Russie, par exemple au Kazakhstan.
Photo: imago
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L'UE et les Etats-Unis également à l'affût

Dans l'UE aussi, on observe que les exportations vers les pays voisins de la Russie ont parfois fortement augmenté. Le onzième train de sanctions de l'UE de juin doit normalement empêcher le contournement des sanctions déjà existantes.

Les États-Unis sont également alertés. Après avoir récemment sanctionné un système de paiement russe pour les transactions entre la Russie et les pays voisins, les banques kazakhes et ouzbèkes ont suspendu les paiements correspondants.

«Les augmentations des chiffres d'exportation pour certains biens peuvent être le signe de tentatives de contournement des sanctions sur les biens», explique-t-on au Seco à propos de l'augmentation des exportations de produits de luxe. Mais on constate souvent de fortes fluctuations des exportations au fil des ans et, dans le cas de volumes d'exportation relativement faibles, des commandes isolées peuvent aussi avoir une influence déterminante sur les statistiques.

Le Seco a déjà empêché des exportations critiques

Les exportations sont particulièrement délicates lorsqu'elles concernent des biens à double usage. Il s'agit de biens qui peuvent être utilisés aussi bien à des fins civiles que militaires. Ils sont soumis à une autorisation d'exportation. «Outre l'utilisation finale et le destinataire final, les demandes sont également examinées pour savoir si les biens seront ensuite acheminés vers des pays tiers problématiques», explique-t-on au Seco. Ainsi, des achats russes de biens sensibles via le Kazakhstan, l'Ouzbékistan et l'Arménie ont déjà été empêchés. «Il s'agit notamment de machines-outils et d'autres biens industriels qui peuvent être utilisés à des fins militaires.»

Alberto Silini, Senior Director Global Consulting chez Switzerland Global Enterprise, promoteur des exportations, confirme la tendance à l'exportation. «Depuis les sanctions contre la Russie, les PME suisses – surtout dans l'industrie des biens de consommation et des technologies médicales – poursuivent de nouvelles stratégies et tentent de conquérir de nouveaux marchés en dehors de la Russie.»

Des entreprises russes basées dans d'autres pays

«Les entreprises suisses sont suffisamment sensibilisées pour savoir quel dommage de réputation, en plus des conséquences juridiques, elles risquent de subir si elles participent à des affaires de contournement», estime Alberto Silini.

Et pourtant, il a été constaté que des entreprises d'origine russe ont été créées dans différents pays voisins de la Russie. «Nous conseillons donc aux PME suisses de toujours examiner attentivement les partenariats qui leur sont proposés et de vérifier les performances des partenaires potentiels.»

Selon Swissmem, l'association de l'industrie suisse des machines, des équipements électriques et des métaux, rien n'indique non plus que des entreprises de la branche aient sciemment effectué des opérations de contournement. «Depuis le début des sanctions contre la Russie déjà, nous formons, sensibilisons et conseillons régulièrement nos entreprises membres sur les dispositions en vigueur en matière d'exportation et sur le risque d'opérations de contournement.»

«Le Conseil fédéral doit prendre position»

Les exportations suisses vers les pays voisins de la Russie font également réagir les politiques. Selon le Centre, le risque que les sanctions contre la Russie soient contournées est bien réel. Le parti s'exprime: «Nous avons besoin d'une politique de sanctions cohérente et globale en Suisse, qui empêche de tels doutes de contournement.»

«C'est une évolution inquiétante», estime la conseillère nationale argovienne du centre Marianne Binder. En effet, «la Suisse est actuellement sous surveillance internationale en raison de son comportement. Être laxistes nous retombe déjà dessus.» En effet, la neutralité ne protège pas la Suisse dans cette situation. «Il faut que nous affirmions notre appartenance au système occidental de l'Etat de droit et de la sécurité», tonne-t-elle.

Marianne Binder poursuit: «J'attends enfin une stratégie claire et une communication transparente de la part du Conseil fédéral. Cela fait partie de ses tâches de direction.» Pour la conseillère nationale, le Conseil fédéral doit donc montrer à l'avenir ce qu'il fait en matière de coopération pour protéger les intérêts de la Suisse. «Notre pays ne doit pas être mise sous pression au niveau international» conclut-elle.

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