Charlie Winston chante les algorithmes
«On a davantage d'interactions avec notre portable qu'avec les humains»

Le chanteur britannique Charlie Winston revient sur le devant de la scène avec son nouveau single «Algorithm» et annonce son prochain album conçu avec le Français Vianney. Dangers du numérique, dépression ou encore solitude: l'artiste se livre. Interview.
Publié: 14.06.2022 à 06:08 heures
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Dernière mise à jour: 14.06.2022 à 10:16 heures
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Antoine HürlimannResponsable du pôle News et Enquêtes

Charlie Winston enchaîne les rendez-vous avec les journalistes, un à un dans le hall de l’Alpha Palmier. Je suis le neuvième à me présenter. Rien de bien surprenant à ce défilé: l’artiste britannique, à qui l’on doit le tube «Like a hobo», n’a pas posé ses valises dans l’hôtel lausannois pour prendre du bon temps dans la capitale vaudoise en toute discrétion. Il y fait la promo de son nouveau single et de son prochain album, qui sortira à la rentrée.

À force d’être assis, le chanteur a les jambes raides. Il se lève, je plaisante: «Ça va, vous n’en avez pas encore marre de répondre en boucle aux mêmes questions?» Il se marre. Et m’assure dans un français quasi parfait que les sujets abordés ce lundi après-midi sont très variés. Tant mieux! Maintenant, entrons dans le vif du sujet, si vous le voulez bien.

Vous ne portez pas votre célèbre chapeau. Le Charlie Winston de «Like a hobo», c’est de l’histoire ancienne?
Aaah! Ça c’est une question qu’on ne m’a pas posée aujourd’hui. Oui, c’est fini. C’est le passé. Enfin… Pas vraiment, je ne peux dire ça. Disons que je n’ai plus envie de porter mon chapeau pour l’instant.

Le chanteur de «Like a hobo» a laissé tomber le chapeau depuis la sortie de la chanson qui l'a propulsé sur le devant de la scène en 2009.
Photo: Thomas Chéné
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Ce tube qui vous a fait connaître du grand public en 2009, vous le portez comme un fardeau?
Non! C’est juste le bonheur. Comme dans ma vie en général, actuellement. Vous savez, je suis passé par des moments plus difficiles que d’autres. Mais, maintenant, je suis très bien installé dans le sud de la France et je suis très content de tout ce qui m’arrive.

On retrouve les sonorités très pop-folk qui ont fait votre succès dans votre dernier single, «Algorithm». Pourtant, l’homme derrière ce morceau semble avoir beaucoup changé. Aujourd’hui, Charlie Winston, c’est qui?
C’est vrai, j’ai changé. (Il réfléchit plusieurs secondes) Je suis quelqu’un de plus à l’aise avec lui-même.

Vous ne l’étiez pas avant?
Ça dépendait des moments et des circonstances. Aujourd’hui, je suis plus conscient de ce qui a vraiment de la valeur. Il y a quelques années, j’ai eu des problèmes au dos. Ces douleurs chroniques empiraient avec le temps. Au point que j’ai arrêté la musique en 2017 à cause de ça. Cette période m’a forcé à changer de perspective et à questionner beaucoup de choses de ma vie.

À ce moment-là, vous avez touché le fond?
Comment dire… Je ne suis pas dépressif «naturellement». Normalement, je suis quelqu’un de joyeux, de cool. J’ai essayé de comprendre et de travailler sur moi. J’avais refoulé beaucoup de choses. J’ai passé ces cinq dernières années à identifier ce qui se passe dans mon subconscient. Mon prochain album, qui sortira à la rentrée, en parlera.

Aujourd’hui, vous êtes apaisé?
Oui. Même si j’ai toujours des questionnements et qu’il m’arrive parfois de me réveiller au milieu de la nuit et de ne pas réussir à me rendormir pendant deux heures. C’est normal: je ne vais pas trouver toutes les réponses à mes questions existentielles immédiatement. Donc on pourrait dire que, aujourd’hui, Charlie Winston est à la fois simple et compliqué. Et humain.

Pour le coup, dans le clip qui accompagne votre single, vous n’êtes plus humain mais une espèce d’humanoïde qui connaît absolument tous les besoins et toutes les envies de sa conjointe grâce à la technologie. Des bugs prennent cependant rapidement le dessus et étouffent cette relation. En gros, votre message c’est: pour vivre une belle histoire d’amour, déconnectez-vous?
Je veux dire aux gens de faire attention à la manière dont ils utilisent les différents outils numériques. Par exemple, leur smartphone, leur frigidaire… Particulièrement leur smartphone, avec les applications. Quand on accepte des conditions générales d’utilisation, on offre énormément d’informations personnelles.

Mais ça, les gens en sont maintenant conscients, non?
Souvent, ça n’est pas le cas. C’est comme si nous étions un peu endormis face à ces enjeux, alors que ce sont des algorithmes qui manipulent notre comportement.

Comment ça?
Ils nous proposent toujours davantage de ce dont on croit avoir besoin, de ce qu’on veut. Et ça nous enferme. En parallèle, on perd en compassion envers les gens et envers les idées différentes des nôtres. Conséquence: les échanges en ligne sont de plus en plus tendus et clivants. Il faut qu’on continue de dialoguer dans la vraie vie, c’est important.

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Les réseaux sociaux vous inquiètent?
D’un côté, oui. Il y a des camps et les opinions sont toujours plus tranchées. Cela dit, nous sommes responsables de la manière dont nous utilisons les différents outils à notre disposition. Je pense qu’une révolution éducative sur ces questions-là est nécessaire. Nous ne sommes pas obligés d’être constamment sur des écrans, nous devons garder un lien avec la réalité.

Alors pourquoi sommes-nous toujours plus accros à la technologie? Pour fuir notre solitude?
(Il secoue la tête) Nous avons aujourd’hui plus d’interactions avec notre téléphone portable qu’avec la plupart des autres humains. Ça nous plonge dans une immense solitude, qui peut être mortelle — this loneliness is a killer, right? La réalité, c’est que nous sommes toujours seuls.

Vous aussi?
Pour moi, la solitude est désormais un cadeau: j’arrive à être de plus en plus connecté avec moi-même. Et la qualité de cette solitude-là n’a rien à voir avec celle de la personne qui reste en permanence sur un réseau social. La solitude est belle si vous la regardez en face, pas si vous la fuyez.

Revenons à la musique. Vous avez conçu votre nouvel album à paraître avec le chanteur parisien Vianney. C’est parce que votre public a toujours été majoritairement francophone?
Non! Notre collaboration n’était pas préméditée. On ne se connaissait pas avant de travailler ensemble. Nous nous sommes donc rencontrés pour voir si c’était un bon match. L’énergie était super, on a compris qu’on pourrait faire de belles choses. Et j’imagine que c’était très fatigant pour Vianney de travailler avec moi! (Rires) Je pose beaucoup de questions à chaque étape du processus tandis que lui est plus simple.

Ça a été une frustration de ne pas connaître le même succès avec vos compatriotes britanniques?
Avant, oui… Ça le reste encore un peu. Mais, maintenant, je me fous de mes frustrations.

C’est vrai?!
Oui, parce que ça ne m’apporte rien de bien d’être frustré, inquiet ou déçu… Ça n’est pas important. Je laisse venir ces émotions, je les regarde. Je suis un observateur de moi-même, tout en restant distant: un jour, il y a du soleil, un autre, des nuages… Je laisse passer tout ça. Car ça passe toujours! Je le sais, désormais. Je me concentre sur le bonheur. Et regardez: il est partout.

Vous vivez maintenant en France, votre femme est française… Vous avez déjà eu envie de prendre la nationalité de ce pays?
Pas encore, je suis uniquement résident pour l’instant.

Ça veut dire que vous pourriez le faire?
C’est possible. Mais je n’ai entamé aucune démarche encore.

Vous n’avez pas peur d’offenser sa Majesté la Reine en lui tournant le dos?
Pas du tout, je m’en fous! (Rires) J’imagine qu’elle est gentille mais je ne l’ai jamais rencontrée. Elle n’a pas d’impact sur ma vie.

Prochains concerts de Charlie Winston en Suisse: 15 novembre, Alhambra, Genève et 16 décembre, Bierhübeli, Berne.

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