Chaoran Chen chasse les mutations du Covid
«Un variant suisse est improbable d'un point de vue statistique»

À l'EPFZ, le bio-informaticien Chaoran Chen traque tous les jours de possibles nouveaux variants du Covid. Avec ses collègues, il fait office de véritable radar de l'état des mutations du coronavirus dans le pays, tout en espérant ne jamais rien trouver.
Publié: 28.01.2022 à 06:04 heures
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Dernière mise à jour: 28.01.2022 à 06:06 heures
Michael Sahli (texte), Siggi Bucher (photos)

C'est la question sur toutes les lèvres et qui décidera de l'avenir de la pandémie: quelles variants le coronavirus a-t-il encore en réserve? Jusqu'à Oméga, cela en fait des lettres de l'alphabet grec. Les scientifiques du monde entier mènent leurs recherches dans une ambiance fébrile. Chaoran Chen et Timothy Sykes sont deux d'entre eux. À Zurich, ils séquencent des frottis prélevés sur des personnes infectées par le Covid en Suisse.

Pour Blick, ils ouvrent les portes des laboratoires de l'EPFZ et du campus de l'université de Zurich. Chaoran Chen est doctorant. Son domaine de prédilection? L'informatique. «Si nous sommes à la recherche de nouvelles mutations, nous préférerions ne rien trouver», lance-t-il. Il n'y a en effet pas encore eu de «variant suisse», «ce qui serait d'ailleurs assez improbable d'un point de vue statistique», complète-t-il.

Omicron représente 90% des cas de Covid

Mais le Functional Genomics Center des chasseurs de virus zurichois remplit encore une autre fonction. C'est un radar qui permet d'avoir une vue d'ensemble de l'évolution des variants en Suisse. La pièce maîtresse du matériel des deux scientifiques est une machine de séquençage, ressemblant à une photocopieuse surdimensionnée (et très coûteuse). Timothy Sykes, spécialiste du génome, y transforme chaque semaine quelque 1200 échantillons en données numériques que Chaoran Chen, bioinformaticien, peut ensuite analyser sur ordinateur.

Chaoran Chen traque de possibles mutations du Covid en Suisse.
Photo: Siggi Bucher
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«Au cours des dernières semaines, nous avons systématiquement recherché la présence d'Omicron dans les échantillons», explique Chaoran Chen. Les résultats permettent de tirer des conclusions sur la présence actuel du variant dans le pays. «Nous sommes à environ 90% de cas Omicron, qui coexiste avec le Delta», résume le scientifique.

Des mesures de sécurité particulières doivent-elles être prises dans le laboratoire? «Ce qui arrive chez nous, c'est l'ARN, c'est-à-dire uniquement l'information génétique du virus», explique Timothy Sykes. Cela signifie que les échantillons ne sont plus contagieux.

Repérer les mutations à grande échelle

Chaoran Chen effectue un véritable travail de détective au Département des biosystèmes de l'EPFZ, situé à Bâle. Il cherche des modèles récurrents dans le chaos apparent de la masse de données de séquences génomiques virales. Toutes diffèrent les unes des unes, même légèrement, et il y en a des milliers.

«Les échantillons présentent des caractéristiques différentes, ce qui est habituel, explique Chaoran Chen. Mais si nous commençons à repérer la même mutation dans un grande nombre d'échantillons et que nous pouvons observer une progression en nombre de celle-ci, on peut conclure qu'il s'agit d'un variant qui pourrait finir par devenir dominant et potentiellement dangereux.»

Comparer les données avec celles du Royaume-Uni

Mais la haute technologie ne fait pas tout. Dans le laboratoire de séquençage, beaucoup de travail manuel est nécessaire après que les échantillons ont été livrés réfrigérés avec de la neige carbonique. Chaque échantillon doit être transvasé et préparé selon un processus compliqué, afin que l'appareil de séquençage puisse lire l'information génétique.

Les chercheurs du laboratoire viennent de pays très différents: Chaoran Chen a ses racines en Chine, Timothy Sykes est australien. Tous discutent et se concernent en anglais. Ils échangent constamment leurs données avec des confrères de l'étranger. «Nous recevons beaucoup de données du Royaume-Uni, par exemple, où le travail de séquençage est beaucoup plus soutenu. Nous recherchons concrètement quelles divergences existent avec les données britanniques pour situer l'état du Covid en Suisse», explique Chaoran Chen.

Les médecins cantonaux signalent les frottis suspects

Devant la masse de matériel acheminé au laboratoire, il s'agit de décider quels échantillons seront séquencés. «Parfois, quand je me trouvais devant cet énorme réfrigérateur, je choisissais simplement des échantillons au hasard», concède le doctorant.

Mais certaines situations impliquent de travailler de manière ciblée. «Lorsque le variant Alpha est arrivé, fin 2020, avec de nombreux signalements en provenance du Royaume-Uni, la situation était inquiétante. Nous avons séquencé spécifiquement des échantillons provenant de cantons où il y avait beaucoup de touristes britanniques. Et il arrive aussi que des médecins cantonaux nous signalent directement des échantillons suspects.»

L'analyse des résultats récoltés par Chaoran Chen lui échappe ensuite des mains. La question de l'importance et de l'impact de la présence de mutations dans les échantillons par les autorités et les politiciens n'est plus de son ressort. «La suite des questions, il faut les poser aux virologues», indique-t-il. Une chose est sûre: les chasseurs de virus ne devraient pas manquer de travail de sitôt.

(Adaptation par Alexandre Cudré)

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