Ce qu'implique la méga-fuite
Le nouveau scandale de Credit Suisse est-il si grave que cela?

Une fuite de données accable lourdement Credit Suisse. La banque aurait accepté pendant des années des criminels comme clients. Mais à quel point cette révélation est-elle grave pour la banque? Blick répond aux principales questions.
Publié: 21.02.2022 à 16:06 heures
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Dernière mise à jour: 21.02.2022 à 21:52 heures
Nicola Imfeld et Lea Hartmann

Affaire de filature, scandale Greensill, scandale Achegos, violation de la quarantaine, départ du président António Horta-Osório… Credit Suisse enchaîne les problèmes et se trouve à nouveau dans la tourmente. Sous le titre «Suisse Secrets», une enquête internationale menée par 47 groupes de médias, dont la «Süddeutsche Zeitung», le «New York Times» et le «Guardian», accable la grande banque suisse.

Blick répond aux principales questions concernant cette affaire.

Que reproche-t-on à Credit Suisse?

D’avoir hébergé les comptes de criminels et de dictateurs. Un lanceur d’alerte a transmis à la «Süddeutsche Zeitung» des données concernant plus de 18’000 clients de Credit Suisse. Celles-ci commencent dans les années 1940, mais deux tiers des comptes incriminés ont été ouverts depuis l’an 2000. Elles montreraient que la grande banque suisse a accepté durant des décennies des criminels et des dictateurs comme clients. Selon le rapport, ces personnes ont pu ouvrir des comptes ou les conserver même «lorsque la banque aurait pu savoir depuis longtemps qu’elle avait affaire à des criminels». La valeur totale des fonds se serait entre-temps élevée à plus de 100 milliards de dollars.

Credit Suisse est cloué au pilori.
Photo: keystone-sda.ch
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Y a-t-il des personnalités connues parmi les clients?

Oui, les deux fils du dirigeant égyptien Hosni Moubarak (1928-2020), par exemple. L’actuel roi de Jordanie, Abdallah II, avait lui aussi un compte au Credit Suisse, tout comme l’ex-président arménien Armen Sarkissian.

Quelle est l’ampleur des révélations?

Comme la plupart des données remontent à des décennies et ne sont pas vraiment surprenantes, les dégâts restent limités. «Il faudrait que d’autres choses remontent à la surface dans les jours à venir pour que cela devienne vraiment problématique pour Credit Suisse», explique à Blick Peter V. Kunz, expert juridique à l’université de Berne. Par exemple, le fait que le roi de Jordanie Abdallah II ait eu un compte auprès de la banque n’est pas très surprenant. Toutefois, cette affaire met de nouveau à mal l’image de la banque qui, après les nombreux scandales de l’an dernier, avait décrété que 2022 serait une «année de transition». Peter V. Kunz est formel: «Ces révélations s’accompagnent de nouveaux gros titres négatifs. Credit Suisse ne sortira pas de cette crise sans dégât d’image».

Comment la fuite de données a-t-elle pu se produire?

«C’est bien l’aspect le plus problématique de cette histoire pour Credit Suisse», affirme l’expert juridique. Comment les données de plus de 18’000 clients ont-elles pu être divulguées? «Une telle fuite entraînera une perte de confiance, en particulier chez les clients étrangers de la banque», estime-t-il. Certains pourraient même décider de retirer leurs fonds après cette affaire. «L’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma) va certainement s’intéresser à cette question», prédit Peter V. Kunz. Selon lui, une enquête concernant la sécurité des clients de Credit Suisse sera ouverte.

Quelles sont les conséquences possibles pour Credit Suisse?

La Finma serait déjà en train de se pencher sur les révélations, apprend-on ce lundi. Outre la menace d’une procédure de la Finma et la perte de confiance due à la fuite de données, c’est la réputation de Credit Suisse qui est une nouvelle fois en jeu. Les investisseurs ont réagi aux révélations. L’action Credit Suisse a ouvert lundi en baisse de 1,4%, et vers midi, le titre valait déjà 1,9% de moins que vendredi soir.

Que reste-t-il de l’enquête?

«Un goût d’inachevé», tranche Peter V. Kunz. Le consortium de recherche, qui avait déjà publié les Panama Papers et les Paradise Papers, s’est concentré pour la première fois sur une seule banque. «Jusqu’à présent, les recherches portaient toujours sur des secteurs entiers ou sur plusieurs pays. Mais là, on s’est concentré sur une seule institution, sur la base d’une source anonyme… Cela soulève la question des intérêts qui se cachent derrière», interroge l’expert. Les médias se seraient-ils laissés piéger? Peter Kunz n’ira pas jusque-là. «Mais il est pour le moins étrange que les recherches ne concernent que Credit Suisse», concède-t-il.

Comment a réagi Credit Suisse?

Dans une prise de position publiée dimanche soir, Credit Suisse rejette catégoriquement les reproches et les insinuations concernant les «prétendues pratiques commerciales de la banque». Les faits présentés seraient pour la plupart historiques et remonteraient en partie aux années 1940, poursuit-elle. Ils reposeraient sur des informations incomplètes ou sélectives, sorties de leur contexte. Pour des raisons juridiques, la banque ne peut pas s’exprimer sur ses relations potentielles avec des clients, affirme-t-elle. La banque prend l’accusation très au sérieux et poursuivra l’enquête avec une Task Force interne faisant appel à des experts externes spécialisés.

Credit Suisse dispose de contrôles solides en matière de protection des données et de prévention des fuites de données afin de protéger ses clients, assure-t-elle encore.

Que va-t-il arriver au lanceur d’alerte?

La banque suisse refuse de s’exprimer à ce sujet. Elle ne veut pas non plus dire si elle connaît déjà son identité.

Pourquoi aucun média suisse n’a-t-il participé à la recherche?

Contrairement aux fuites de données précédentes, aucun journaliste suisse n’a pris part au collectif de recherche – bien que ce soit une banque suisse qui ait été dans le collimateur. Nous avons dû renoncer à participer, écrit la rédaction de Tamedia. La raison? La législation suisse. Dans notre pays, les journalistes sont punissables s’ils publient les données qu’un tiers a obtenues en violant le secret bancaire. L’article de loi correspondant est en vigueur depuis 2015. En cas de condamnation, les journalistes auraient risqué au mieux une amende, au pire jusqu’à trois ans de prison.

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Comment le monde politique réagit-il à ces révélations?

Dans l’immédiat, ce n’est pas la révélation en elle-même qui a provoqué les réactions les plus vives, mais l’article évoqué plus haut, interprété comme un «muselage». La norme interdit aux médias de révéler la criminalité fiscale, s’est énervée la conseillère nationale socialiste Samira Marti sur Twitter. «Il faut que cela change». Elle annonce que le PS lancera une intervention au Parlement lors de la session de printemps qui débute la semaine prochaine. La conseillère nationale des Verts Regula Rytz est quant à elle déjà passée à l’action: elle veut que la commission économique du Conseil national agisse et a déposé une proposition en ce sens. La gauche demande en outre que les banques soient sanctionnées plus sévèrement en cas d’infraction.

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L’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma) doit notamment pouvoir prononcer des amendes, affirme une intervention déposée il y a quelques mois par la conseillère nationale socialiste Prisca Birrer-Heimo. Cette motion a également été cosignée par des représentants des Vert’libéraux et par le président du Centre Gerhard Pfister.

(Adaptation par Lauriane Pipoz)

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