Alain Berset apparaît à l’image, en premier plan sur fond brunâtre. Il prend aussitôt la parole. Pour qui a l'habitude de l'entendre, sa voix sonne faux, et pour cause: ce n'est pas la sienne.
La nature du propos surprend également: Alain Berset s’exprime face caméra contre la loi Covid. Il dénonce un bulletin de vote trompeur et incite les gens à aller voter contre le projet de loi, qui représenterait une dérive totalitaire et inutile puisque le certificat Covid ne servirait à rien.
Pour un œil averti, il est bien clair que cette vidéo (que nous renonçons à montrer ici) est truquée. Il s'agit d'un deep fake, soit une vidéo manipulée par l’intelligence artificielle. Le montage prêterait à rire, sauf qu'il ne circule pas dans une obscure discussion entretenue par des conspirationnistes sur Telegram ou sur un site internet de mèmes humoristiques. Cette vidéo a été partagée par message privé par Oskar Freysinger, membre de l’UDC, ancien conseiller national, ancien conseiller d’État du Valais, à ses contacts. Et ces derniers sont très nombreux.
La vidéo pourrait induire certaines personnes en erreur ou les dérouter. Alain Berset serait-il soudainement en train de militer contre la loi qu’il soutient publiquement?
«Pour une fois que Berset dit la vérité!»
Dans sa dernière ligne droite, la campagne est-elle en train de déraper? Pas pour Oskar Freysinger. Celui qui est sorti de sa retraite politique pour militer contre la loi Covid en rit: «C’est super comique», nous dit-il au téléphone, goguenard. «Pour une fois qu’Alain Berset dit la vérité!» Le Valaisan affirme ne pas être l'auteur de la vidéo et dit l'avoir reçue en copie par email. Il n’en connaît pas l’origine. Interrogé sur le potentiel de confusion, il s’exclame: «Celui qui prend ça au sérieux n’est pas de cette planète. D’ailleurs, parmi mes contacts, tout le monde a ri.»
Diffuser une telle vidéo, est-ce problématique sous l'angle du droit? L’avocat Nicolas Capt estime que non. Pour lui, la vidéo ne peut que difficilement être prise pour une vraie intervention du ministre de la Santé: «Elle n’est pas très bien réalisée et le propos est grossier. J’ai de la peine à admettre qu’on puisse sérieusement lui accorder du crédit.»
Selon le juriste, rien ne va: Alain Berset s’exprime comme s’il faisait une allocution télévisée et tient des propos extrêmement outranciers. Nicolas Capt explique que s’il s’était agi d’une simulation convaincante d’un prétendu «instant volé», soit d’une fausse vidéo d’Alain Berset tenant en privé des propos différents de ceux qu’il tient en public, l’affaire serait bien plus complexe. «Dans la vidéo en cause, nous nous situons dans une zone grise du droit à la personnalité. Un politicien doit souffrir des niveaux d’attaques supérieurs à celui d’une personne moyenne, surtout sur un sujet d’intérêt public.»
Le département d'Alain Berset ne rit plus
C’est par exemple ce qui s’est passé ces derniers jours: une photo (vraie, celle-ci) circule, montrant Alain Berset sans son masque dans le train. Selon la communication du ministre, c’était uniquement le temps d’avaler quelque chose après une intervention à la télévision alémanique.
Mais revenons à la vidéo. Porte-parole d'Alain Berset, Christian Favre nous avoue ne plus prendre ce genre de détournements à la légère. Il dénonce une dérive de la campagne qui met en danger la culture du débat suisse: «Notre démocratie est faite de débats parfois durs, mais toujours réguliers et basés sur les faits. Nous condamnons ce genre de dérapage».
Au final, faute d'une enquête minutieuse qui ne sera jamais menée, on ne saura probablement jamais qui se cache derrière ce montage vidéo, si ce n'est qu'il s'agit assurément d'une personne opposée à la loi Covid. Un citoyen qui espère peut-être fausser le débat. Sachant que les opposants à la loi s'érigent en chantres de la démocratie et amis de la Constitution, le moyen utilisé pour combattre le texte soumis au peuple le 28 novembre est, lui, encore plus déroutant que la vidéo en question.