«Aucune contribution au dossier»
Attaqué dans l'affaire des écoutes à Genève, le procureur Aubert se défend

Le procès de deux promoteurs genevois a tourné au scandale institutionnel en 2022, après la découverte de l’exploitation douteuse de conversations téléphoniques. Mardi 27 février, Léman Bleu mettait en cause le procureur extraordinaire. Pierre Aubert réagit pour Blick.
Publié: 28.02.2024 à 17:56 heures
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Dernière mise à jour: 29.02.2024 à 18:33 heures
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Non, la procureure genevoise, Caroline Babel Casutt, mouillée dans l'affaire dite des écoutes à Genève — qui a explosé en 2022 (on y reviendra) — n'aurait pas eu pour «dessein de nuire à autrui». C'est du moins ce qu'affirme le procureur extraordinaire chargé d'instruire l'affaire, le neuchâtelois Pierre Aubert, «sur la base des éléments qui figurent au dossier, et des considérants de l’arrêt de la Chambre pénale de recours du 15 mars 2023».

Blick a interrogé le magistrat après les dernières révélations du média Léman Bleu, ce mardi 27 février. La chaîne de télévision a en effet publié un certain nombre de nouvelles informations sur ce que certains surnomment le «Watergate genevois», après s'être «procuré l’ensemble du dossier pénal du procureur extraordinaire» chargé du dossier.

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Le procureur n'aurait pas fait le job?

Pierre Aubert a été chargé par la République du bout du Léman de «déterminer si le Ministère public genevois et la police ont abusé de leur autorité en exploitant illégalement des conversations téléphoniques d’avocats», écrit le média. Et ce dernier d'épingler l'homme de loi neuchâtelois, qui n'aurait apporté «aucune contribution au dossier». Plus encore, le procureur extraordinaire n'aurait «procédé à aucune audition ni complément d’enquête, malgré la pile de preuves incriminantes», toujours d'après Léman Bleu.

Le procureur de Neuchâtel Pierre Aubert a été chargé de faire la lumière sur l'affaire des écoutes genevoises. (Image d'archives)
Photo: Keystone

Pour rappel, la police genevoise «a écouté des conversations entre prévenus et avocats dans l’affaire des constructions fantômes», écrivait «Le Temps» en 2022. Tout a commencé avec ce qui devait être un énorme dossier judiciaire lié à l'immobilier: quelque 188 parties plaignantes accusaient des promoteurs de les avoir trompés.

Un procès immobilier qui dérape

Les associés auraient encaissé des millions, en trompant des clients via le «mirage d’un rabais ultérieur, [de] biens inachevés, [de] maisons jamais construites ou proposées à plusieurs acheteurs en même temps», par exemple. Ainsi, «des centaines de personnes ont été laissées sur le carreau et n’avaient plus que leurs yeux pour pleurer», relayait également «Le Temps» en 2021, lorsque l'histoire avait été rendue publique. Où en est ce procès, aujourd'hui, exactement?

La procédure contre les promoteurs est toujours suspendue, à la suite de la découverte des écoutes téléphoniques des avocats de la défense, et ce, depuis novembre 2022. D'après le reportage réalisé par Léman Bleu, les présumés voyous de l'immobilier «contestent toujours avoir commis une infraction, mais ont reconnu devoir rembourser les lésés à hauteur de 30 millions de francs.» Quant aux écoutes problématiques, l'instruction — par le procureur neuchâtelois — est toujours en cours.

Une magistrate qui n’a pas dit la vérité?

«Pourquoi de très nombreuses conversations d'avocats, dont la loi protège le secret le plus absolu, ont-elles été écoutées et retranscrites illégalement?», s'interrogent nos confrères de la télévision genevoise dans leur reportage. Ils citent des mails, qu'ils se sont procurés, en plus de «l’ensemble dossier pénal du procureur extraordinaire Pierre Aubert». Ceux-ci incrimineraient la procureure Caroline Babel Casutt: elle aurait été, d'après le média, la grande marionnettiste de ces écoutes problématiques. Elle est aujourd'hui récusée de l'affaire des promoteurs, depuis novembre 2022, et officie comme juge au Tribunal civil.

Léman Bleu résume les accusations en ces termes: «Une magistrate qui n’a pas dit la vérité, jamais interrogée sur ses contradictions. Des e-mails perquisitionnés illustrant les tentatives répétées de Caroline Babel Casutt de supprimer des données compromettantes, alors que d’autres courriels sont écartés de l’enquête avec l’assentiment d’Olivier Jornot (nldr: le procureur général du canton de Genève).»

La nouveauté, c'est que Léman Bleu met en cause le procureur extraordinaire neuchâtelois chargé de faire la lumière sur l'illégalité — ou non — de ces écoutes. Le principal intéressé indiquait par ailleurs à Léman Bleu, dans un échange d'e-mail, n’être là que «pour rendre service à son collègue de Genève». Le média stipule que Pierre Aubert envisagerait de classer l’affaire.

Des écoutes «pas illicites»

Confronté aux éléments ci-dessus, le procureur de Neuchâtel Pierre Aubert rétorque à Blick: «On sait que la procureure visée pas la plainte a effectivement ordonné des écoutes qui étaient susceptibles d’inclure des conversations couvertes par le secret professionnel de l’avocat. Ce fait n’est pas illicite.»

L'homme de loi nuance cependant: «On sait aussi que ces conversations n’ont pas bénéficié des mesures de protection nécessaires. Il s’agit d’une erreur procédurale. Tout cela a été établi dans le cadre de la procédure de récusation (nldr: de la procureure Caroline Babel Casutt).»

Pour lui, ce qui reste à déterminer, c'est «s’il y a eu un 'dessein de nuire à autrui' selon les termes de l'article (...) du Code pénal qui réprime l’abus d’autorité». Alors, d'après le procureur externe mandaté, était-ce le cas? Il rétorque: «Sur la base des éléments qui figurent au dossier et des considérants de l’arrêt de la Chambre pénale de recours du 15 mars 2023, le Ministère public est d’avis que cet élément constitutif de l’infraction n’est pas réalisé.»

Pierre Aubert précise encore, quant à sa nomination pour gérer ce dossier: «J’avais accepté d’être candidat à un poste de procureur extraordinaire pour rendre service à mon collègue Jornot, puisque le canton de Genève avait de la peine à recruter les quatre personnes dont il aurait besoin en application de sa loi d’organisation judiciaire.» Mais, pour lui, «faire un lien entre cette disponibilité et le cours de cette enquête est hors de propos».

À noter que le même Pierre Aubert a également été mandaté pour «étudier le passé de l’Abbaye de Saint-Maurice», cela «afin de tirer au clair l’implication de certains de ses membres dans des cas d’abus sexuels au cours des dernières décennies», comme l'écrivait «Arc Info» le 26 février.

Toutes les personnes mentionnées sont présumées innocentes, à ce stade des procédures.

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