Après l'annonce du départ de Livia Leu
La Suisse n'a rien à gagner à jouer encore la montre avec ses voisins européens

Il faut regarder les choses en face: ce n'est pas la Commission européenne et ses exigences que redoute le Conseil fédéral. C'est d'abord sa fragilité politique qui est un obstacle à la reprise des négociations avec Bruxelles.
Publié: 12.05.2023 à 11:29 heures
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Dernière mise à jour: 12.05.2023 à 18:01 heures
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Richard WerlyJournaliste Blick

Désormais partante pour devenir ambassadrice à Berlin, Livia Leu a eu raison de tourner la page. À quoi sert de demeurer négociatrice en cheffe avec la Commission européenne si son propre gouvernement n'est pas prêt à négocier ?

En un peu plus d’un an depuis la reprise des pourparlers «exploratoires» avec Bruxelles en février 2022, des clarifications ont été obtenues. Oubliée l’idée d’un «accord institutionnel» avec l’Union européenne qui chapeauterait l’ensemble les relations bilatérales entre la Suisse et son incontournable premier partenaire commercial! Place à la vieille formule d’un «paquet» d’accords sectoriels, avec trois nouveaux domaines: santé, sécurité alimentaire et électricité.

Nouvel emballage. Nouvelle formulation. Moins de risques pour la Confédération de se retrouver, un jour, piégée par une «super clause guillotine» qui exposerait l’ensemble de ses accords à la présumée foudre communautaire en cas de désaccord sur telle ou telle interprétation du droit européen. Dont acte. En un an, le terrain a été aplani.

Le problème est que ce débroussaillage bilatéral est toujours en attente du seul facteur qui peut faire la différence du côté de Berne: le courage politique. Soyons clairs: en rejetant le 26 mai 2021 le projet «d’accord-cadre», le Conseil fédéral a, au moins, tranché dans le vif avec un «nein» en forme de gifle adressée à Bruxelles. Soit. Présumé invendable auprès des chambres, des partis, des partenaires sociaux et du peuple, ce texte était devenu un boulet ingérable.

Photo: keystone-sda.ch
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Mais après? À quoi sert d’avoir annoncé, en mars dernier, la délivrance prochaine d’un mandat de négociation avec l’UE si c'est pour continuer à procrastiner? À quoi sert d’agiter en permanence devant la Commission, comme un chiffon rouge, les élections fédérales d’octobre, l’intransigeance souverainiste de l’UDC et les exigences sociales têtues de la gauche? Ceci, alors que le sujet se résume à une question simple: la Suisse a-t-elle besoin, ou non, de sécuriser ses relations économiques avec ses partenaires dans une période transformée en zone de turbulences maximales par la guerre en Ukraine?

Le Conseil fédéral, entièrement responsable

Le Conseil fédéral est le premier responsable de cette épuisante galère diplomatique. À force de guetter le sens du vent telle une girouette, Ignazio Cassis s'est logiquement retrouvé en première ligne. Chef du Département fédéral des affaires étrangères, il a donné le tournis à tout le monde, à Bruxelles comme dans les principales capitales européennes.

Mais l’accuser seul est injuste. C’est le collège du Conseil fédéral qui est en cause. Est-il capable de s’élever au-dessus de la mêlée pour prendre l’initiative du mandat de négociation annoncé? Et si ce n’est pas le cas, aurait-il l’obligeance de dire pourquoi, au lieu de jouer la montre en espérant peut-être que la prochaine Commission, après les élections européennes de mai 2024, sera sous l’influence de la vague politique souverainiste attendue et donc moins exigeante vis-à-vis de la Suisse.

Des intérêts à défendre

La Confédération a des intérêts à défendre. Les milieux économiques suisses et les syndicats ont raison de poser leurs conditions. Sauf que tout cela est aujourd’hui connu, balisé, calé, étudié, délimité. Alors, arrêtons le cinéma. Cette Commission européenne a l’avantage de tendre la main à Berne et de se préoccuper (encore) de la Suisse. Ouvrir avec elle de vraies négociations, sans se fixer de date butoir, mais avec la ferme intention de parvenir à un accord, est la meilleure option.

À force d’avoir peur de lui-même, le Conseil fédéral ne fait qu’éviter ce qui, de toute façon, ne se dissipera jamais: la réalité de la géographie. Et l’obligation, pour un gouvernement, de savoir prendre des risques.

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