À la rencontre des agents
On a bu un café et parlé crack avec les policiers des Pâquis à Genève

Une fois par an, les agentes et agents municipaux de Genève descendent dans la rue… pour aller boire un café avec les citoyens. Blick est allé à la rencontre des policiers aux Pâquis, pour parler de deal et de ce que veut dire être une police de proximité. Reportage.
Publié: 01.10.2022 à 05:59 heures
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Dernière mise à jour: 06.10.2022 à 17:48 heures
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

Connu pour ses dealers, ses vitrines de prostituées, mais aussi ses nombreux et (souvent très bons) restaurants orientaux, le quartier des Pâquis est en réalité un havre de paix… vendredi à 9h du matin, du moins. Je pousse la porte du café Amat: ambiance conviviale, beaucoup de personnes âgées.

Paisible matinée ou pas, les gens sont venus ici pour parler de nuisances, de drogue, d’excréments et bien plus encore aux agents et agentes de la police municipale.

Une opération spéciale qui a déjà fait ses preuves: c’est la troisième édition de «Café avec un-e agent-e», lancé sous l’égide de Madame la maire de Genève, Marie Barbey-Chappuis. Et, si ça continue, c’est que ça fonctionne: «L’une des lignes du département, depuis le début de ma législature, c’est de renforcer les liens de proximité entre l’administration municipale et les habitantes et habitants.» Christophe Nardo, communiquant de la police municipale, appuie l’intention: «Nous voulons être comme une police de village en ville.»

Yvonne, 85 ans, a vécu toute sa vie aux Pâquis. Vendredi matin, elle a rencontré les agents de son quartier pour parler cambriolage.
Photo: Daniella Gorbunova

«Un poste de police, ce n’est pas toujours très accueillant. Nous voulions casser cette barrière», explique à son tour Christine Camp, cheffe de service et commandante du corps de police municipale, qui dit beaucoup aimer échanger avec les citoyens. Elle fait la tournée des différents «stands» ouverts ce vendredi (autant que faire se peut): Acacias, Champel, les Charmilles, les Eaux-Vives, les Grottes, la Jonction ou encore le Petit-Saconnex, en plus des Pâquis. Mais elle a choisi de commencer sa journée ici.

Car les Pâquis, malgré leur convivialité animée, sont entre autres le bastion de choses illégales comme la drogue. Ce qui rend la zone particulièrement sensible: «Les gens qui viennent prendre un café avec nous ici ne nous parlent pas que des dealers. Mais il est vrai que c’est une problématique qui ressort plus que dans d’autres quartiers», concède Marie Barbey-Chappuis.

Des déjections sur le mur

«C’était plus calme avant, de mon temps, c’était plus vivable. Mais ce n’est pas non plus terrible», me lance Yvonne, pâquisarde de 85 ans, alors que le sergent Richard s’approche de sa table pour écouter ses doléances, carnet en main. En réalité, à part le bruit, la riveraine n’est pas mécontente de son quartier. «Ce matin, j’ai l’impression que les personnes qui sont venues me voir sont plutôt venues simplement pour discuter avec un agent, et pas forcément pour aborder une problématique en particulier», confie le policier, qui a entamé sa carrière ici même il y a presque vingt ans.

Mais ce n’est pas forcément le cas de son collègue l’agent Sylvain. On ne va pas mentir: un vendredi à 9h du matin, le public était principalement composé de retraitées et retraités. Excepté le jeune homme assis en face du policier, qui habite dans le quartier depuis plus de dix ans, et a voulu préserver son anonymat. Il est un peu agacé par certains aspects de la vie de quartier.

A la rue de la Navigation 21, dans l'entrée d'un immeuble, il raconte avoir été témoin de deux scènes quelque peu particulières: une personne en situation de handicap s'y injectait une substance dans sa blessure. Une autre fois, ce même individu «avait laissé une surprise», c'est-à-dire des excréments, «sur le palier, et fait une fresque digne des grotte de Lascaux sur le mur avec...» Mais le jeune homme n’a pas appelé la police. «Sur le moment, cela me faisait plus mal au cœur qu’autre chose. Je lui ai amené de quoi se désinfecter.»

Le policier rétorque: «Souvent, les gens nous relatent ce genre d’histoire à posteriori, mais ne nous appellent pas forcément sur le moment… Mais nous passerons davantage à la Rue de l’Ancien-Port.»

«Il avait un couteau dans la main»

Assis à une table à côté, l'agent Richard affirme que le crack est la principale problématique du quartier. Notamment dans le tristement connu préaux des Pâquis. Il explique: «Depuis bientôt deux mois, nous occupons le terrain aux préaux des Pâquis de 7h du matin à 3h du matin environ. Je dirais que, depuis cette présence, la consommation et la vente à cet endroit précis ont diminué d’environ 80%. Après, évidemment, la problématique se déplace.»

Crack ou pas, s’il y a bien une fois où le quidam assis en face de Sylvain a signalé un incident à la police, c’est celle-là: «Souvent, un homme, toujours le même, rôde dans cette rue. Une fois, il se baladait avec un couteau dans la main, alors qu'il avait menacé de mort le gérant de l'Hôtel Balzac la veille.»

Autre histoire qui a marqué le quidam à la Rue de la Navigation 21: «Il n’y a pas si longtemps, quelqu’un a voulu utiliser la poubelle comme bang. Ça aurait pu partir en incendie, dans ce vieil immeuble en bois non-entretenu par le propriétaire... J’ai appelé les pompiers, cette fois-ci.» Je lui demande s’il appelle beaucoup la police ou les sauveteurs. «De toute évidence, oui quand cela est nécessaire.»

Et d'ajouter que la circulation reste, selon lui, le plus gros problème du quartier: «Les points de mécontentement les plus grands sont les nuisances des véhicules motorisés, qui font des rodéos sur la rue des Pâquis... Ainsi que les nombreuses épaves de vélos qui jonchent le quartier.» L'agent Sylvain note scrupuleusement les doléances.

Yvonne est toujours dans les parages, avec son chihuahua Cookie et son déambulateur. «Moi, je suis là juste pour savoir comment déclarer correctement un vol. J’ai peur que ça se reproduise. Il y a environ cinq ans, j’étais malade, couchée dans mon lit. J’avais laissé ma porte ouverte pour que mon voisin puisse m’apporter des commissions. Quelqu’un est rentré et a été directement au salon. Il m’a volé tout mon argent, et tous mes bijoux… J’avais une bague en aigue-marine, et une autre en émeraude offerte par mon fils. Et d’autres choses en or. Tout a disparu, ils n’ont jamais rien retrouvé.»

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